Rapports sexuels entre profs et élèves: changer la loi, ça change quoi?

La salle du Grand Conseil au château de Neuchâtel. (Photo: KEYSTONE/Christian Beutler)

Le Conseil d’État neuchâtelois a tapé du poing sur la table. La loi doit être modifiée après qu’un professeur a couché avec plusieurs de ses élèves. C’est un cas rare qui révèle des failles sur le plan légal.

En février dernier, un rapport du Conseil d’État neuchâtelois a mis en lumière une affaire sombre. Tout a commencé en octobre 2023, quand la presse locale a révélé qu’un professeur du lycée Blaise-Cendrars, à La-Chaux-de-Fonds, avait eu des rapports sexuels avec des élèves âgées de 17 à 21 ans lors des faits.

L’enseignant est immédiatement écarté de sa fonction par la direction. Après avoir fait recours, il obtient gain de cause. La Loi sur le statut de la fonction publique (LSt) ne permet pas son licenciement. Néanmoins, l’enseignant signe un accord avec le lycée et finit par quitter son poste. Affaire close.

Ce sujet, loin d’être isolé, suscite une pétition d’anciennes étudiantes et étudiants et devient un sujet de débat politique cantonal début 2024. Un an plus tard, les mesures concrètes sont édictées dans le rapport du Conseil d’État.

Elles se résument par un code de déontologie au secteur secondaire II (en vigueur depuis janvier 2025), une directive interdisant les relations sexuelles entre profs et élèves, et un changement de loi permettant de licencier les professeurs (les deux dernières en attente d’être approuvées).

Aujourd’hui, ces choses sont dénoncées et la loi doit les sanctionner.

Clarence Chollet, députée verte

Genève et Vaud ont franchi le pas 

Cette affaire n’est pas surprenante pour Clarence Chollet, la députée verte à l’origine de la motion: « Bien qu’aujourd’hui encadrées par le mouvement #metoo, ces choses sont dénoncées et la loi doit les sanctionner. »

Or, l’article 50 de la Lst ne mentionne pas le licenciement pour des raisons graves: « Pour les apprentissages, les hautes écoles ou les universités, c’est là où la loi est insuffisante. Un-e apprenti-e peut avoir 40 ans ou les profs être plus jeunes que les étudiant-es », ajoute la députée.

Que ce soit dans le Code pénal, dans la LSt, dans le Règlement général d’application de la loi sur le statut de la fonction publique dans l’enseignement (RSten), ou dans le code de déontologie, rien n’indique que les rapports sexuels entre profs et élèves sont interdits.

Afin de clarifier cette confusion juridique, les cantons de Vaud et Genève ont déjà validé des directives interdisant explicitement tout rapport sexuel, même consenti, entre enseignant-es et élèves. Aujourd’hui, le canton de Neuchâtel attend encore le vote pour valider la législation demandée par Clarence Chollet et ses cosignataires-trices.

Difficilement mesurable

Pour savoir si une directive ou un changement de loi entraîne un réel changement de comportement, on pourrait se tourner vers les archives et les statistiques. Impasse. L’Office fédéral de la statistique (OFS) nous redirige « vers l’article de loi enfreint », soit l’article 188 du Code pénal disant : «Quiconque, profitant de rapports d’éducation, […] ou de liens de dépendance […] commet un acte d’ordre sexuel sur un mineur âgé de 16 ans au moins […] est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » Le nombre d’infractions lié seulement à cet article reste modéré et tombe dans la catégorie « autres infractions de violence sexualisée » dont la moyenne s’élève à 172 cas par an de 2009 à 2023.

Quand on demande à Cloé Dutoit, députée verte et avocate à Neuchâtel, s’il n’y a pas une certaine jurisprudence qui ciblerait un problème de société plus large, elle rappelle: « Le Code pénal englobe les mineurs de 16 à 18 ans, limitant ainsi les rapports de dépendance. Au-delà des 18 ans, les femmes sont considérées comme majeures et responsables. Il faudrait changer cette loi, mais agir au niveau cantonal, c’est plus rapide. »

Les leviers de changement

Pour Cloé Dutoit, un autre aspect est essentiel: « Si un professeur risque le licenciement après des rapports sexuels avec des élèves, changer la loi peut contribuer à modifier les comportements. D’autant plus qu’il figurera sur la liste noire. »

Par là, l’avocate renvoie à la « liste des enseignants sans droit d’enseigner » détenue par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP). Toutefois, l’inscription sur cette liste n’est pas assurée. Sans condamnation, le professeur garde tous ses droits. 

La chose doit avant tout être construite comme un problème.

Lucile Quéré, sociologue à l’Université de Lausanne

« Avec une loi, on parle de dissuasion, mais pas de disparition », souligne Philip Balsiger, sociologue de l’Université de Neuchâtel. En effet, pour modifier les comportements, d’autres moyens existent, comme la prévention et la sensibilisation.

Lucile Quéré, sociologue experte en inégalités de genre de l’Université de Lausanne, précise: « La chose doit avant tout être construite comme un problème. C’est comme ça qu’on change les mentalités. »

Pour la sociologue, le cas de la Chaux-de-Fonds souligne l’importance de repenser notre modèle social et légal. Même si « la réalité sociale perdure, l’éducation, la sensibilisation et la prévention menées par les services de santé sexuelle sont des leviers essentiels pour agir », ajoute l’experte. 

La combinaison entre loi et éducation est la clé d’une modification des comportements. Peut-être apprendra-t-on à agir avant de réagir.

Leander von Stetten
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse II », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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