Les dangers qu’encourent les journalistes de par le monde concernent aussi l’Europe. L’impunité des élites qui s’en prennent à eux encourage cette tendance.
Il est vrai que beaucoup des assassinats de journalistes n’ont pas eu lieu en Europe. Toutefois, quelques cas ont choqué l’opinion : outre la très médiatisée affaire Khashoggi, on retient aussi le crime contre la bulgare Viktoria Marinova, ciblée par une cinquantaine de plaintes avant sa mort. Les assassinats de la maltaise Daphne Caruana Galizia, décédée dans l’explosion de sa voiture, et du slovaque Jan Kuciak, abattu avec sa fiancée dans leur maison ont aussi contribué à jeter la lumière sur la thématique.
Pourtant, dans ce dernier cas, les autorités avaient été prévenues. Pavla Holcova, une journaliste tchèque proche de Kuciak a révélé, durant une conférence au Festival international de journalisme à Perugia, que le reporter avait porté plainte contre Marian Kocner, un homme d’affaires qui l’avait menacé de mort un mois avant sa disparition.
Des ennemis plus nombreux
Alors, pourquoi tant d’insécurité pour les journalistes, eux qui ont longtemps été vus comme les détenteurs du quatrième pouvoir, les garants de la stabilité démocratique – du moins dans les pays dits démocratiques ?
Il est nécessaire de saisir d’emblée la multiplicité et la diversité des acteurs qui menacent les journalistes. Aujourd’hui, politiciens, hommes d’affaire, citoyens se sentent autorisés à critiquer, harceler, voire à menacer des journalistes pour leur œuvre.
Interview de Tom Gibson, Committee to Protect Journalists
La Slovaque Beata Balogova, a toutefois relevé que ce déferlement était principalement dû à l’impunité dont jouissent les politiciens qui menacent les journalistes.
Cela encourage les gens à faire de même. Aussi, une partie du public est convaincu que les médias sont payés par des forces étrangères afin d’essayer de déstabiliser l’ordre démocratique dans le pays.
Les menaces portent leurs fruits
Cecilia Anesi, une journaliste italienne, évoquait l’effet de cette défiance politique sur les médias. « De plus en plus de médias ne veulent plus publier d’articles d’investigation, à cause des implications légales. Si à chaque fois qu’ils publient un article, ils doivent faire face à des plaintes, cela les épuise financièrement. Alors ils disent : ‘Oui, c’est un super article, mais c’est dangereux de publier ça.’ Plus que l’argent, c’est l’exposition qui est cruciale pour l’investigation. »
Attaquer les médias libres fait croire aux politiciens corrompus que les critiques à leur encontre vont diminuer.
Beata Balogova
« Les propriétaires de médias qui sont aussi des politiciens et de puissants hommes d’affaire utilisent les médias qu’ils contrôlent pour détourner l’attention des affaires qui les concernent », renchérissait Pavla Holcova. « Certains partis politiques paient des trolls sur internet pour harceler. On reçoit une quantité inouïe de messages haineux. Un troll, qui a changé 92 fois de pseudonyme et d’adresse IP, m’a une fois écrit que j’aurais dû être brûlée dans les fours nazis comme mes ancêtres », reprenait Beata Balogova.
Les puissants attaquent, les petits suivent
Toutes ces attaques sont consécutives à des enquêtes portant sur de la criminalité en col blanc, que ce soit de la corruption, de la fraude fiscale ou autres délits financiers.
Ces infractions sont essentiellement à mettre à l’actif des politiciens et des hommes d’affaires, mais elles touchent en fait toutes les couches de la population. La chaîne de corruption peut impliquer autant le petit ouvrier que le grand patron, l’électeur que l’élu.
Cela peut contribuer à expliquer la tendance générale de défiance à l’égard des médias. Si chacun a quelque chose à se reprocher, chacun cherchera à se tenir à l’écart des journalistes, et à les dénigrer ou les menacer s’ils s’approchent trop près d’un secret mal gardé.
Néanmoins, face à cette situation difficile, la résistance s’organise et les solutions fusent. Pour Pavla Holcova, c’est à la société de se secouer. Beata Balogova propose que les grands médias s’allient avec les plus petits dans un effort corporatiste. Enfin, selon Cecilia Anesi, il faut donner plus d’espace et de visibilité aux enquêtes. Peut-être est-ce un peu de tout cela.