« Le loup est un risque maitrisable »

Thomas Pfeiffer chez lui en Alsace. Crédits : DR

Historien et spécialiste du loup, Thomas Pfeiffer est également président d’honneur de l’association franco-suisse Avenir Loup Lynx Jura. Il fustige les récentes décisions du Conseil fédéral en matière de régulation et dépeint un animal victime de son image, entre contes et légendes. Entretien.

D’où vous vient cette passion pour le loup ?

Thomas Pfeiffer : J’ai grandi dans la banlieue de Strasbourg. Un jour, à 9 ans, j’ai vu un monsieur entouré de deux loups sur ses épaules dans un numéro du magazine Okapi. Cet homme était Gérard Ménatory, créateur du plus grand parc à loups d’Europe. Je me souviens que cette photo m’avait beaucoup marqué. Des années plus tard, en 1998, je suis allé dans ce parc rencontrer le monsieur et c’est là que j’ai pu vivre l’expérience de suivre un loup pendant une heure. Le déclic s’est confirmé et depuis, je partage ma passion en écrivant des livres, en participant à des conférences et en travaillant sur mon projet de parc naturel en Alsace pour éduquer sur le retour de l’animal dans nos régions. J’ai même appelé mon fils « Loup », c’est pour dire à quel point je suis accro !

Le loup on le déteste ou on l’adore mais ce n’est jamais neutre.

Thomas Pfeiffer

Et d’où nous vient cette peur du loup ?

C’est un mille-feuilles culturel… Aux racines, il y a le début de l’élevage. Le loup devient l’ennemi du troupeau, en opposition au chien domestiqué. Avec l’arrivée des croyances chrétiennes et des récits écrits par les hommes d’Église dans l’Occident, le loup devient la male-bête, le diable. Plus tard, l’élément essentiel de la peur viendra, outre les attaques habituelles sur les troupeaux, de la rage que transmet le loup en mordant tout sur son passage. Ignorant les bêtes pour se ruer sur le berger ou la bergère. Une hécatombe qui justifiait alors la peur du loup, jusqu’à l’invention du vaccin par Pasteur au XIXe siècle. 

Quel a été l’impact des contes sur notre perception de l’animal ?

Les contes et légendes comme Le petit chaperon rouge ont été la couche finale de ce processus. Dans la version française, le loup dévore le chaperon et sa grand-mère tandis que dans la version originale des frères Grimm, les deux protagonistes sont sauvées en ouvrant le ventre du loup.

Je m’approche plus de cette culture germanique : en Alsace, le loup a des contes et légendes qui le célèbrent et véhiculent des aspects positifs. L’animal a un temps d’ailleurs été symbole de fécondité dans la culture gréco-latine. Tout cela crée un univers fantasmagorique : le loup, on le déteste ou on l’adore, mais ce n’est jamais neutre. 

Hurler avec les loups ne fait pas avancer le dossier sur le plan politique. 

Thomas Pfeiffer

Vous avez vous-même publié une sorte de suite au Petit chaperon rouge, nommé Le fabuleux voyage de Lisele et Wolfy en Alsace…

Mon idée, pour faire changer cette image du loup dans notre société en tant qu’enseignant, est de faire de la pédagogie avec les plus jeunes. Il ne s’agit pas de faire de l’idéologie et de véhiculer des messages qui sont faux mais d’essayer d’expliquer. Dans le livre, le loup revient naturellement sur son territoire, comme c’est le cas en ce moment en France et en Suisse, et rencontre le chaperon rouge des temps modernes. L’idée est de croiser histoire naturelle et fable pour faire comprendre ce qu’est le loup dans la réalité. C’est un animal curieux et qui craint l’Homme, même s’il vit dans le même environnement. Souvent, la peur du loup chez les enfants vient de leurs parents qui projettent cette peur sur eux. Les enfants que je côtoie ont plus des angoisses liées à l’éco-anxiété qu’au retour du loup. On peut dormir tranquille pour nos enfants, les temps des chaperons rouges est définitivement révolu.

En tant que président d’honneur de l’association de protection du loup Avenir Loup Lynx Jura basée en Suisse, que pensez-vous du climat de tension actuel dans la société helvétique concernant le retour du canidé ?

Là, on crie au loup, et hurler avec les loups ne fait pas avancer le dossier sur le plan politique. On est dans la résurgence des anciennes peurs et fantasmes plutôt que dans une tentative de compréhension d’un animal sauvage qui a tout à apporter à son environnement. Les meutes sont transfrontalières et nécessitent des solutions politiques réfléchies et basées sur des solutions qui existent. 

Quid des attaques sur les bovins ?

Le loup à un impact indéniable sur l’élevage : il y a eu des attaques, il y a des attaques et il y aura des attaques. Néanmoins, des nuits citoyennes comme celles dans le canton de Vaud sont organisées pour aider les éleveurs à surveiller leurs troupeaux. Je milite pour généraliser cette présence humaine qui, ajoutée à l’utilisation de chiens et de clôtures électrifiées, réduit massivement le risque d’attaques. 

Comment recevez-vous l’ordonnance Rösti, visant à autoriser les tirs préventifs afin de réduire de 60% la population de loups en Suisse, effective au 1er décembre ?

Tirer autant de loups n’a aucun sens. Cela va créer des mécanismes biologiques de surproduction de louveteaux pour compenser les pertes dans la meute, ce qui éclatera les meutes et provoquera encore plus d’attaques sur les troupeaux. Le loup est un risque maitrisable, à condition de s’en donner les moyens politiques et financiers, et la décision de M. Rösti va tout à fait à l’encontre. Aux cantons maintenant de voir s’ils vont appliquer ou non ce nouveau plan.

Mehdi El Ansari
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse », dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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