Décryptage d’une résolution du Conseil des droits humains
Non, je n’ai pas vécu la chute de l’URSS et encore moins le conflit américano-russe des années 70. Alors, quand je lis la résolution (au conseil des droits humains) appelée de manière si peu sexy « A/HRC/34/L.13 : Cooperation with Georgia », je ne peux pas m’empêcher d’être submergée par une vielle odeur de livre d’histoire.
Mes dames et messieurs, mes damoiselles et mes damoiseaux, je crois que la guerre froide n’est pas aussi terminée que l’on pourrait le croire. Comprendre le conflit aujourd’hui gelé en Géorgie me l’a bien fait réaliser.
Du 27 février au 24 mars dernier a eu lieu le 34ème conseil des droits humains à l’ONU à Genève. A la fin de chaque session, on y vote des résolutions : des textes argotiques, écrits sous une forme qui ferait fuir n’importe quel amoureux de la littérature et résumant sous des formules diplomatiques des enjeux géopolitiques complexes et nécessaires. Un jeu d’échec (et de réussite) pour définir les relations de pouvoir entre Etats.
Ce qui est dit
En substance, la résolution de la Géorgie demande que les droits humains soient respectés au sein de son propre territoire. Elle se déclare
« gravement préoccupée par la situation humanitaire et des droits de l’hommes dans [certaines] régions géorgiennes. »
En effet, deux régions refusent systématiquement la visite des rapporteurs spéciaux de l’ONU. Il s’agit de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, des territoires auto-proclamés indépendants, mais officiellement toujours géorgiens.
Ce qu’il faut entendre : premier épisode
Comprendre la résolution ne veut pas dire comprendre les enjeux. Pour cela, ouvrons nos manuels d’histoire et faisons un saut d’environ 25 ans dans le passé. À la chute de l’URSS au début des années 90, de nombreux pays ont déclaré leur indépendance. La Géorgie en fait partie.
« A cette époque, ces pays ont été mué par un enthousiasme de nouvelles nations et cherchaient à créer une identité nationale. »
explique le professeur à l’EPFL en Russian Studies et journaliste Éric Hoesli. Cet engouement a du bon, mais il engendre aussi des dérives nationalistes : suppression de l’autonomie de certaines régions, négation de langues minoritaires et harmonisation de spécificités ethnoculturelles. Faisant partie de ces minorités, les Ossètes du Sud ne se sentent pas « géorgiens ». La région déclare son indépendance avec l’aide de la Russie en 1991. Elle est rapidement suivie en 1992 par l’Abkhazie qui, retour de bâton, persécute les minorités géorgiennes au sein de son territoire.
« Territoire sous occupation russe »
Avant d’en revenir à la résolution, il est important d’observer les événements de 2008. En août de cette année, le gouvernement de Tbilissi (capitale de la Géorgie) lance une attaque contre l’Ossétie du Sud. La Fédération de Russie contre-attaque et les troupes géorgiennes doivent se replier. Les Russes (et ils sont presque les seuls) reconnaissent l’indépendance des régions d’Ossétie du Sud ainsi que de l’Abkhazie. Le gouvernement géorgien déclare, quant à lui ces deux régions : « territoire sous occupation russe ». Les rapports diplomatiques sont complètement rompus.
Ce qu’il faut entendre : deuxième épisode
Alors pourquoi l’armée russe occupe-t-elle ces territoires ? L’une des réponses est relativement simple : la Russie veut bloquer l’expansion de l’OTAN. L’alliance atlantique (l’OTAN) servait initialement à maintenir la sécurité occidentale contre les forces soviétiques pendant la guerre froide. Aujourd’hui, cette alliance militaire lorgne vers l’est, vers la Moldavie ou l’Ukraine, que l’on sait également en guerre. La Géorgie est « en voie de démocratisation », selon Nicolas Hayoz, professeur en science politique à l’université de Fribourg et membre de l’ASCN (Academic Swiss Caucasus Net). Elle aurait donc également des intérêts à devenir membre.
« L’OTAN pousse ses frontières jusqu’au jardin potager de la Russie. »
décrypte Éric Hoesli. Et ce n’est évidemment pas au goût de la fédération russe. Alors pour contrer cela (et c’est en somme la même partie qui se joue en Ukraine), la Russie crée un conflit. Pourquoi ? Selon une règle de l’OTAN : les pays ayant un contentieux avec ses voisins, ne peuvent rejoindre l’alliance.
« C’est une forme de prise d’otage de la Russie. Et la situation en Géorgie est vouée à durer. » remarque Éric Hoesli. En effet, tant que le conflit restera, la zone tampon qu’est la Géorgie freinera l’expansion de l’OTAN.
Ce qu’il faut comprendre
En résumé, cette résolution sert à revendiquer :
- premièrement, la réouverture des discussions diplomatiques,
- deuxièmement, le retour de ces deux régions à la Géorgie,
- et pour finir, pour tous les états qui la soutiennent, un feu-vert à l’expansion de l’OTAN vers l’est. Les soutiens à la résolution viennent majoritairement des pays de l’ex-URSS, en frontières directes ou semi-direct avec la Russie. (Liste évidemment non exhaustive…)
Du discours policé de la résolution, au revendications sous-jacentes, on peut dire qu’il y a un décalage évident. Quoi qu’il en soit, la résolution a été acceptée (avec une majorité d’abstention tout de même, dont la Suisse). La communauté internationale a probablement entendu le message. « Le danger pour la Géorgie, c’est qu’on l’oublie. » déclare Nicolas Hayoz et pourtant : « Cette résolution ? La Russie s’en fiche complètement ! C’est eux qui ont le pouvoir dans ce conflit. »