Un usage massif d’Instagram exacerbe les troubles du comportement alimentaire et en particulier l’obsession du « manger sain ». Le caractère « image first » du réseau social est pointé du doigt.
Chaque jour est un combat pour accepter un aliment mauvais
Charlotte
Charlotte souffre d’orthorexie. Pour elle, un simple repas est source d’angoisse, de questionnement, de temps et d’énergie consacrés au compte, à l’analyse et à la pesée des aliments.
Une maladie insidieuse et discrète
L’orthorexie est définie comme une obsession pour la nourriture saine. Le terme trouve ses origines dans le mot grec « Orthos » qui signifie « correct » et « orexie » qui signifie « appétit ».
Malgré les nombreuses recherches sur le sujet, cette pathologie ne trouve pas encore sa place parmi les troubles du comportement alimentaire (TCA) reconnus dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM).
Les études scientifiques se concentrent, essentiellement, sur le Royaume-Uni et les Etats Unis. Toutefois, même en Suisse, les professionnels de l’alimentation et de la santé mentale posent quotidiennement des diagnostics d’orthorexie.
Si, au début de la maladie, les comportements se font discrets (manger beaucoup de fruits et légumes, moins de céréales, limiter les graisses, faire de l’exercice et diminuer la consommation d’alcool), sur le long terme les personnes souffrant d’orthorexie développent des restrictions de plus en plus significatives, une malnutrition et un isolement social.
Les personnes touchées par l’orthorexie finissent par ne plus se rendre aux sorties entre amis impliquant un repas et se retrouvent souvent totalement isolées, persuadées que personne ne les comprend. Tout écart aux règles auto-imposées du « manger sain » entraîne un sentiment de culpabilité qui peut déclencher de l’autopunition.
Une étude parue en 2017 montre le lien entre l’usage massif d’Instagram est l’apparition ou l’exacerbation de comportements orthorexiques.
Publiciser des habitudes saines, comme manger plus de fruits et légumes ou manger moins de produits ultra-transformés n’a rien de reprochable. Or, ces gestes, à première vue tout à fait nobles, peuvent déclencher des comportements obsessifs de la part de personnes déjà sensibles à l’image de soi et à la qualité de leur alimentation.
Les participantes à l’étude, considérées comme adeptes de la « eating community » d’Instagram, montrent en effet des symptômes liés à l’orthorexie et l’exposition constante aux contenus d’Instagram ne fait que les aggraver.
Pourquoi Instagram?
Les contenus sur l’alimentation ont un succès fulgurant. L’hashtag #food est l’un des plus populaires sur Instagram et sa déclinaison #healthyfood semble obtenir plus de réactions positives de la part des usagers par rapport à des contenus qui font l’éloge du junkfood. Positif ? Pas tout à fait !
Les adolescents qui regardent souvent des contenus liés à la nourriture saine (healthyfood) et/ou au fitness (des images de corps minces et bien entraînés) sont beaucoup plus exposés au développement du trouble du comportement alimentaire.
Les analyses ont montré que l’utilisation d’autres RS n’a qu’un très faible impact sur les symptômes orthorexiques, alors que l’utilisation d’Instagram augmente significativement l’exposition à ces derniers. Voici un exemple de contenus problématiques…
Trois particularités de ce réseau social peuvent expliquer cette causalité.
- La nature « image-focused » de ce réseau social fait de l’image (retouchée, parfaite) son point de force. Cette philosophie de « l’esthétisme d’abord » n’épargne pas les corps et les images de nourriture. Les usagers développent une idée du bien-être très poussée et clairement axée sur l’image.
- Encourage une exposition sélective, car les utilisateurs choisissent les comptes qu’ils souhaitent suivre, et sont donc continuellement exposés au type de contenu que ces comptes produisent.
- Les comptes ayant un grand nombre de followers peuvent être perçus par les usagers comme des références faisant autorité. Cela permet aux »célébrités » d’une alimentation saine d’influencer un grand nombre d’individus en transmettant à leurs abonnés un flux d’images constant et organisé.
Une image déformée du corps et de l’alimentation
Si on analyse les hastags d’inspiration #fit sur Instagram, c’est-à-dire des images postées pour inviter les gens à devenir mince et healthy, où l’on voit des femmes et des hommes minces et/ou musclé.e.s, il n’est pas difficile de s’imaginer à quel point ces images peuvent avoir un impact négatif sur l’estime de soi et sur la façon de voir le corps.
En effet, une image déformée du corps fait partie des symptômes de l’orthorexie. Les gens souffrant de cette maladie se voient généralement plus gros et moins fit que ce qu’ils sont en réalité.
Il est donc essentiel de retrouver un rapport sain avec le corps et la nourriture. Et pourquoi pas en passant aussi par Instagram: les contenus sur ce réseau social sont en constante évolution et des pages qui publient la bodypositivity sont en plein essor.
Photo à la une: Pixabay.com
Par Aron Guidotti
Ce travail journalistique a été réalisé dans le cadre du Master en journalisme et communication (MAJ)