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Les réseaux sociaux, un malt pour un bien ?

L’utilisation des réseaux sociaux par les brasseurs de bières s’avère presque aussi disparate que leurs créations houblonnées. Quelle place les brasseries artisanales romandes accordent-elles à ces outils digitaux au cœur des retours d’expérience ? Décryptage.

C’est une véritable révolution en à peine 20 ans. Le marché de la bière en Suisse est passé de 81 brasseries en activité en l’an 2000 à plus de 1000 à la fin de l’année 2018, battant même au passage le record mondial du nombre de brasseries par habitant. Dans le même temps, la consommation moyenne est tombée de 70 à 55 litres par habitant entre les années 1990 et nos jours.

Dans un marché devenu hyper concurrentiel, les petites brasseries artisanales doivent rivaliser de créativité pour se faire remarquer. Mais l’originalité est-elle pour autant devenue indispensable pour exister ?

« Tout dépend de la brasserie, du type de public qu’elle vise et des bières qu’elle produit » nous répond la Brasserie de la Meute, sise à la Chaux-de-Fonds. « Mais il est vrai que maintenant il faut vraiment se démarquer pour aller chercher les gens ». Se créer une identité visuelle digne de ce nom fait désormais partie des questions fondamentales, au même titre que le montage financier ou les recettes des breuvages par exemple, auxquelles doit répondre tout brasseur en herbe au moment de se lancer.

Se pencher sur un concept, c’est ce qu’a fait Julien en 2018 lorsqu’il a lancé la Meltingpote à Genève. Il a décidé d’associer des artistes à la création de ses étiquettes et des sportifs urbains comme ambassadeurs de ses productions. Son idée est simple : comme son nom l’indique, la Meltingpote cherche à réunir divers horizons dans une seule bouteille pour toucher différents cercles, différents réseaux sociaux, au sens premier du terme.

Tout est question de dosage

Mais qu’en est-il de leurs alter-egos numériques ? Julien ne s’en cache pas, il est brasseur, il fait donc de la bière.

Comme j’essaie de faire les choses par moi-même, je me suis heurté au mur des réseaux sociaux. Les gérer prend énormément de temps et d’énergie et ce n’est pas quelque chose sur lequel j’ai souhaité m’axer.

Julien, brasseur à la Meltingpote.

Du côté de la Meute, le son de cloche est quelque peu différent.

Pour les entreprises, les réseaux sociaux sont le moyen le plus simple et économique pour se faire connaître. Pour nous, cela semblait évident de mettre un peu d’énergie là-dedans.

Brasserie la Meute.

Au point de payer pour obtenir plus de visibilité ? « Nous l’avons fait deux ou trois fois au début pour sortir du réseau de nos amis et lorsque l’on avait besoin de visibilité, comme lorsqu’on a lancé un crowd-funding. Mais éthiquement, nous n’avons plus envie de donner de l’argent à Facebook, donc nous nous contentons maintenant de publications normales ».

Je note, tu notes, il note…

Un autre moyen de se faire connaître gratuitement existe pour les brasseurs du monde entier : l’application Untappd. Lancée en 2010 en Californie, elle regroupe aujourd’hui une communauté de 9 millions d’amateurs de houblon partout autour du globe qui peuvent enregistrer, noter et commenter le contenu de leur verre et de celui de leurs amis. Les brasseries ont ainsi accès à une précieuse ressource : des retours directs d’expérience de la part de consommateurs anonymes.

Mais est-ce pour autant la panacée pour eux ? « Untappd est intéressante parce qu’elle nous permet d’obtenir des avis assez bruts, mais c’est aussi frustrant parce que l’on n’arrive généralement pas à entrer en contact et à discuter avec la personne qui n’aurait pas aimé une de nos bières » regrette la Meute.

A la Meltingpote aussi, on apprécie le fait de pouvoir recevoir des avis neutres.

Enfin, qu’en est-il des collaborations avec des « influenstateurs », ces dégustateurs suivis par des communautés conséquentes sur les réseaux sociaux ? Si la Meute y pense, elle n’a pas encore franchi le pas pour autant. « Nous savons que nous serons amenés à le faire et si l’occasion se présente, et ce serait d’ailleurs intéressant, mais ce n’est pas forcément le moment actuellement ». Quant à la Meltingpote, elle vient de lancer un brassin spécial réalisé avec la page Into the Beer, forte de 2’000 abonnés.

Une nouvelle vague de mousse sur les réseaux sociaux?

Il parait donc difficile de tirer un véritable bilan de la présence des brasseries romandes sur les réseaux sociaux sur la base de ces deux exemples, tant ils représentent à eux-seuls la variété d’opinions qui existe dans nos contrées sur les moyens de promouvoir leurs créations. Une certitude émerge néanmoins avec la pandémie mondiale actuelle: celle-ci a forcé les brasseries artisanales à repenser leur communication en raison de la fermeture prolongée des bars et restaurants, qui représentent une majorité de leurs clients.

L’avenir nous dira si cette période de disette forcée aura permis l’éclosion de nouveaux projets révolutionnaires ou si, au contraire, elle brisera le flot jusqu’ici ininterrompu de création brassicole en Helvétie.

Par Bastien Trottet

Ce travail journalistique a été réalisé dans le cadre du Master en journalisme et communication (MAJ).

Crédits photo : Bastien Trottet

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