La bonne utilisation des réseaux sociaux est cruciale pour les médias, tant ces plateformes rapportent une grande part d’audience. Le journal La Côte est conscient de l’importance de ces « infomédiaires » dans la diffusion de l’information (Smyrnaios & Rebillard, 2010) et utilise trois plateformes pour diffuser l’information au grand public: Facebook, X et Instagram.
Facebook et X, le quantitatif
Facebook et X sont utilisés par La Côte pour servir le quantitatif, soit toucher le plus grand nombre de personnes. « Facebook est le réseau qui nous ramène le plus de trafic sur nos sites. On y fait de la promotion », explique Audrey Afsary, responsable de la promotion des contenus digitaux du groupe ESH. Mais Facebook est aussi « devenu un réseau social de masse. C’est difficile d’y capter le public. » La plateforme est donc uniquement utilisée pour relayer et faire la promotion des articles du site web.
La Côte y publie « la plus grosse partie de ce qui est sur notre site ». Une tâche qui peut paraître colossale, mais qui est en fait complètement automatisée. Cela rejoint le travail de Pignard-Cheynel et Sebbah (2012), qui reste très actuel, bien qu’il ait été réalisé il y a plus d’une dizaine d’années. Il porte sur les titres de presse quotidienne régionale. Ceux-ci automatisent « la plupart des contenus délivrés sur les réseaux sociaux ». La Côte utilise l’outil Echobox, qui va relayer les articles sur Facebook et X, en choisissant le moment pertinent pour les diffuser. La forme est très simple, peu importe le contenu: un lien (accompagné de l’image) et le chapeau (repris à l’identique). « Le nombre de titres proposant des contenus autres que les simples liens vers leurs sites sont peu nombreux » (Pignard-Cheynel & Sebbah, 2012). Une méthode ultrarapide et en autonomie complète, moins coûteuse en temps et en argent. « S’il fallait faire des choix manuellement, mettre en ligne nous-mêmes, ce serait compliqué », se justifie Audrey Afsary. Quitte à perdre en qualité éditoriale ou d’écriture.
La Côte publie massivement sur Facebook et X. Pour autant, « si les médias publient plus souvent des liens menant à leurs articles, ce genre de contenu engendre beaucoup moins d’interactions; on remarque que ces contenus ne provoquent pas « d’engagement » de leurs publics » (Germain et Alloing, 2022). Facebook et X sont utilisés sans stratégie claire et dans l’unique but d’amener du tarif sur le site de La Côte. Au contraire d’Instagram. « On remarque que les six entreprises médiatiques publient quotidiennement huit fois plus sur Facebook que sur Instagram » (Germain et Alloing, 2022). À La Côte, ce chiffre monte même à 38. Entre le 1er et le 10 décembre, La Côte n’a publié que six fois dans son feed Instagram, contre 228 sur Facebook et X.
Instagram, le qualitatif…
Développer une vraie stratégie numérique sur Instagram plutôt que sur Facebook ou X s’explique simplement. « Facebook est devenu tellement gros, que l’on arrive plus à faire de différences », commente Audrey Afsary. Le quotidien régional réalise sur Instagram « un travail plus spécifique, car on voit que l’audience est plus qualitative ».
La Côte revendique « une vraie stratégie esthétique ». Elle reprend les codes classiques des sites d’information sur les réseaux sociaux (photo, court texte, logo) et colle à « la nécessité pour les médias d’offrir des publications conformes aux standards des plateformes » (Germain & Alloing, 2022).
La Côte n’oublie pas non plus le contenu. « Sur Instagram, on n’a pas envie de tout diffuser », pose Audrey Afsary. Un premier tri est fait par rapport aux algorithmes de la plateforme. « Les breaking news n’ont aucun intérêt sur Instagram. En retrouver une quatre jours après est un peu idiot », détaille-t-elle. Un deuxième tri est réalisé quant aux leviers affectif et émotionnel (Germain & Alloing, 2022). « Sur Instagram, on aime bien rester très positif », explique Audrey Afsary. Une stratégie efficace mise en avant par Berger & Milkman (2010): « Le sentiment positif avait un effet positif plus important sur la viralité que le sentiment négatif. » De plus, partager des contenus positifs donne une image positive du média qui les partage (Welbers & Opgenhaffen, 2019).
À noter également les contenus dits « natifs », à comprendre créés par La Côte spécialement pour Instagram et diffusés par le biais des reels. Ceux-ci ont d’abord été réalisés par des journalistes, souvent pour accompagner leur article. Puis La Côte a eu des community managers (CM), pour créer de vrais contenus natifs, uniquement pour les réseaux, et plus seulement renvoyer le public vers le site. « Cette tendance s’observe particulièrement au sein des grands médias qui possèdent des équipes complètes, pour accroître leur présence sur ces plateformes » (Germain & Alloing, 2022). Mais La Côte se heurte à des réalités économiques qui l’obligent à ne plus faire recours à des CM. « On sait quelle est notre réalité. Là, on va revenir à un apport de la rédaction et des services marketing », pose Gilles Biéler, rédacteur en chef adjoint. La Côte reste un quotidien régional qui ne dispose plus de « personnes en charge des plateformes sociales identifiées comme telles » (Pignard & Amigo, 2019).
…au service de la notoriété
C’est un fait, Instagram ne rapporte rien de concret. Les contenus, même natifs, sont gratuits. « Financièrement, ça ne rapporte pas », explicite Andrey Afsary. Problématique pour La Côte, qui dispose de moyens limités. « Ça ne nous rapporte pas directement d’abonnés, très peu d’audience et pas d’annonceurs, dans une réalité où on a besoin d’économiser du fric », tonne Gilles Biéler. La Côte n’emploie plus de CM, qui coûte mais ne rapporte pas d’argent. « Cette situation est problématique pour les publications de petite et moyenne taille, en particulier aux niveaux régional et local. Ils estiment que le nouveau paradigme est discriminatoire à leur égard. » (Bell & Owen, 2017)
Si la consultation de contenus sur Instagram se convertit rarement en abonnement au journal, « ça ne veut pas dire que ça n’aide pas, à un moment ou à un autre », explique Audrey Afsary. « Les réseaux sociaux restent un très bon facteur pour se faire connaître. » Si Instagram ne rapporte rien de concret, la plateforme apporte quand même, surtout en termes de notoriété. Face à un affaiblissement de la marque média au profit du « je l’ai vu sur Facebook » (Kalogeropoulos & Newman, 2017), les plateformes sont des espaces importants pour rendre visible la marque du média. « On a un moyen de rappeler aux jeunes qu’il y a un titre qui s’appelle La Côte et qui parle de la région. Quand vous serez installés, pensez à nous », explique Gilles Biéler, qui prouve qu’à terme, une consultation d’Instagram peut se convertir en abonnement. « Le but est de continuer d’être connu et vu du public. Il faut aller capter la nouvelle génération et se faire connaître sur les réseaux », éclaire Audrey Afsary.
Au-delà de cette recherche de notoriété et de nouveaux abonnés, La Côte met en avant la notion de plaisir. « Cette évolution offre de nouveaux défis et de nouvelles opportunités aux utilisateurs des médias et aux organisations médiatiques. » (Nielsen & Ganter, 2018) Les réseaux sociaux offrent de nouvelles occasions de produire, d’expérimenter. « On n’a jamais fait quoi que ce soit sur Instagram en pensant gagner quelque chose d’autre que de la notoriété. Et le plaisir de raconter nos sujets différemment », expose Gilles Biéler. Une approche « let’s try and see » (Nielsen & Ganter, 2018) qui utilise les multiples fonctionnalités de la plateforme (feed, reels, stories).
Mais la réalité rattrape bien vite les médias régionaux. « Malgré les nouvelles opportunités et les nouveaux modèles de publication offerts par la grande variété de plateformes, la plupart des organismes de presse n’ont pas été en mesure de trouver un retour sur investissement fiable. » (Bell et Owen, 2017) Une parfaite conclusion pour le cas de La Côte sur les réseaux sociaux.
Bibliographie :
Bell E. & Owen T. (2017). The Platform Press: How Silicon Valley reengineered journalism.
Germain, S. & Alloing, C. (2022). Engager, cliquer, liker. L’éditorialisation des contenus journalistiques sur les plateformes numériques. Quaderni, 107, 19-38.
Kalogeropoulos A. & Newman N. (2017). ’I Saw the News on Facebook’: Brand Attribution when Accessing News from Distributed Environments.
Nielsen, K. R., & Ganter, S. A. (2018). Dealing with digital intermediaries: A case study of the relations between publishers and platforms. New Media & Society, 20(4), 1600–1617
Pignard-Cheynel, N. & Amigo, L. (2019). Le chargé des réseaux socio-numériques au sein des médias: Entre logiques gatekeeping, marketing et participative. Réseaux, 213, 139-172.
Pignard-Cheynel, N. & Sebbah, B. (2012). La presse quotidienne régionale sur les réseaux sociaux : Etude de la présence des titres français sur Facebook et Twitter. Sciences de la Société, 84-85, pp.171 – 191.
Welbers, K., & Opgenhaffen, M. (2019). Presenting News on Social Media. Digital Journalism, vol. 7, 1, p. 45‑62.
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Information et médias numériques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.