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“Il est impossible de ne pas parler du coronavirus”

Depuis deux mois, la pandémie de Covid-19 monopolise l’agenda médiatique. Ce fléau étant encore bien présent dans la vie politique, économique et sociale, il est difficile pour les journaux régionaux de couvrir d’autres thématiques.

En plein confinement et au bout du 32ème rouleau de papier de toilette, la date du 11 mai, qui semblait se trouver à des années-lumière de ça, arrive enfin. Nous y voilà, lundi, jour du relâchement progressif des mesures sanitaires restrictives. Cela faisait huit semaines que nous étions enfermés à la maison – pour la plupart d’entre nous – et que nous avions pour seule fenêtre sur le monde: les médias. Journaux, radios et chaînes de télévision veillent à ce que l’on reste informé de l’évolution de la pandémie à coup de flashs infos et de suivis en direct des conférences de presse du Conseil fédéral. Daniel Koch, c’était le rendez-vous hebdomadaire, un peu comme avec les grands-parents.

“Nous avons été pris en otage par l’actualité”

De Wuhan à la Suisse romande, en passant par la Lombardie, le Covid-19 fait son petit bonhomme de chemin et prend au dépourvu tous les secteurs de la société sans exception. Celui-là, personne ne l’a vu venir.

Pendant cette crise sans précédent, le rôle des médias en tant qu’intermédiaire entre les sources et les audiences est d’autant plus renforcé et ce, malgré eux. “Nous nous sommes retrouvés otages de cette actualité qui a absolument tout bouleversé et qui s’est imposée de manière totalitaire dans notre agenda” constate Serge Gumy, rédacteur en chef du quotidien régional fribourgeois La Liberté. “Quand la pandémie a éclaté en Chine et a commencé à se répandre, j’ai pris des précautions et demandé de ne pas céder à une monomanie. Et puis fin février, à son arrivée en Lombardie puis au Tessin, le coronavirus est devenu un sujet incontournable.”

“Nous nous sommes rendus compte que nous étions de plus en plus tributaires de l’information généraliste.” Serge Gumy, rédacteur en chef de La Liberté

Plus qu’un travail, une mission

Les journaux régionaux redoublent d’effort pour tenir leurs lecteurs informés et pour se distinguer de la rude concurrence. “On a bien senti qu’on avait un rôle à tenir pendant cette période” confie Lea Gloor, rédactrice au quotidien neuchâtelois ArcInfo.

“Notre plus-value par rapport à la multitude de médias qui existent sont les informations qui concernent directement la région neuchâteloise et ses habitants. Notre mission est de dégager les enjeux régionaux de cette crise mondiale et de faire réagir les acteurs locaux.” Et pour cause, depuis le début du confinement, ArcInfo observe un trafic sur son site web jusqu’à trois fois plus important que lors d’un jour “non-Covid”. En pleine crise sanitaire, parler d’autre chose, c’est être à côté de ses pompes, en somme.

9 jours, 9 unes du quotidien neuchâtelois ArcInfo (dans l’ordre, du 29 avril au 9 mai 2020)

Les médias, plus virulents que le virus ?

Seulement voilà, depuis huit semaines, on nous le sert vraiment à toutes les sauces ce Covid-19. Et ce, du matin jusqu’au soir. Inévitablement, arrive un moment où l’on sature. Une quantité importante d’informations que nul n’a la capacité cognitive de traiter intégralement. Ce phénomène porte un nom: l’infobésité. Ce terme rappelle le fast food et à juste titre, puisqu’il associe information et obésité et désigne les risques physiques et psychiques que peut présenter l’excès d’informations chez le lecteur.

Qu’en est-il de la responsabilité des médias face à cette surabondance? L’écrivain américano-vaudois Jon Ferguson publie un “Corona Diary” dans lequel il parle entre autres de l’ambiance anxiogène nourri par les journalistes. “Le virus le plus dangereux, c’est les médias” s’insurge-t-il dans une interview pour Athle.ch.

Cette critique est à nuancer, selon les journaux régionaux. “Sur les réseaux sociaux, je ressens un ras-le-bol lié au coronavirus”, admet Serge Gumy. “Des collègues m’ont par ailleurs rapporté des remarques de lecteurs aspirant à ce que nous parlions d’autre chose mais je n’ai personnellement reçu aucune remarque de ce type.”

Les journaux comme reflet de la société

On peut enfin sortir de chez nous, ne serait-il pas temps de passer à autre chose? Cette question, les journaux régionaux n’ont pas fini de se la poser. Pour y répondre, le rédacteur en chef de la Liberté se réfère aux conversations dans son cercle privé: Allons-nous pouvoir partir en vacances? Pourrons-nous bientôt retourner au bureau? Pourrai-je fêter mon anniversaire avec mes amis? Qu’on le veuille ou non, le virus continue d’avoir une influence incontournable sur la vie politique, économique et sociale. “Finalement, notre journal est un peu le reflet d’une préoccupation générale”, souligne Serge Gumy.

“Tous les jours, il faut trouver un cocktail réussi d’informations qui mélangent les différentes thématiques.” Lea Gloor, rédactrice à ArcInfo

Au jour du déconfinement, lundi 11 mai, le coronavirus ne devrait plus monopoliser les flux d’informations. “Il est impossible de ne pas traiter du coronavirus dans une édition de La Liberté. Mais il n’est plus possible de n’y traiter que de ça.” En bref, préparez-vous, on n’a pas fini d’en parler.

Ce travail journalistique est issu du projet #médiasconfinés (cours “Compétences numériques pour le journalisme”) dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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