Juliette de Rivero, Julie pour tout le monde, parle surtout des autres: ceux qui violent les droits humains, ceux qui en sont les victimes, ceux qui utilisent les institutions internationales pour maquiller des situations insoutenables. Par timidité? Plutôt par habitude. On n’en attend pas moins, après sept ans à la tête de l’équipe de Human Rights Watch (HRW) à Genève, un emplacement qu’elle considère « privilégié pour les ONG ».
À l’ONU, cette femme de 43 ans est comme un poisson dans l’eau. Elle a nagé dans tous les courants: celui des organisations non-gouvernementales, mais aussi celui des rapporteurs spéciaux et des missions onusiennes à l’extérieur. Dans tous les cas, la morale de l’histoire situe la complaisance comme le pire des ennemis et la parole des victimes comme credo.
Ces jours-ci, l’équipe du bureau genevois s’occupe du cas de l’Érythrée. D’après Juliette de Rivero, il est nécessaire de soutenir le travail fait par le rapporteur spécial afin de dénoncer les pratiques généralisées d’arrestations arbitraires, dans le pays africain. L’expert présentera, par ailleurs, son deuxième rapport lors de la 26e session du Conseil des Droits de l’Homme, qui aura lieu dès la semaine prochaine.
Dans la salle de réunion où se déroule notre rendez-vous, un flyer évoque une campagne contre les drones. « Certains diplomates ont des préjugés sur nous [HRW] du fait que notre siège est à New York, alors que nous sommes critiques par rapport aux positions prises par les Etats-Unis ». Elle l’admet, ce n’est pas toujours facile d’établir un bon contact avec les représentants de missions: « C’est un combat sur le long terme. »
Enfance au Pérou
Pour mener ce combat, Juliette de Rivero part avec un avantage: ses parents, lui péruvien, elle britannique, sont des diplomates aguerris ayant fait connaissance dans les coulisses de l’ONU. Née à Genève, elle vit au Pérou une bonne partie de son enfance, puis encore pendant l’adolescence. C’est dans le pays andin qu’elle découvre, enfant, les mobilisations citoyennes de la main de son père. « Activiste en plus de diplomate, il m’amenait aux manifestations avec lui. »
C’est aussi sans doute le Pérou qui tisse la toile de sa carrière dans les droits humains: entre 1984 et 1989, avec des yeux qui ne sont plus ceux d’une petite fille, elle y découvre une société très hiérarchisée. « J’ai vu tellement de situations de racisme au Pérou », affirme-t-elle avec franchise. Puis à nouveaux les autres, dénomination qui crée une différence d’appréciation. « C’est toujours nous et les autres, les élites et les autres, les locaux et les autres. »
« De part mon nom de famille, j’étais considérée comme pas blanche, parmi mes collègues. »
Avec une touche d’humour, la conversation dans les bureaux du HRW bien avancée, elle raconte la première fois qu’elle a vécu cette différence, lors de son séjour en Grande Bretagne, pendant son enfance. « De part mon nom de famille j’étais considérée comme pas blanche parmi mes collègues ». C’est effectivement étonnant de rajouter une identification pareille, d’autant plus que la péruviano-britannique a la peau assez claire. « Peut-être parce qu’ils sont très pâles… », plaisante-t-elle, le sourire marqué derrière des lunettes rouges qui l’accompagnent à tout moment.
Une vie rythmée par les voyages
De tous les voyages que cette fille de diplomates a entrepris, trois ont marqué un avant et un après dans sa vie. Le premier, un départ. À 18 ans, lorsqu’elle doit partir à Genève, son éternel « point de retour », elle dit adieu à l’idée d’étudier les sciences politiques au Pérou. « J’ai mal vécu cette séparation et sur le moment, j’ai eu du mal à comprendre qu’il me fallait virer vers l’international. »
Le deuxième, un changement vital: la maternité. « Et seulement là, tu te rends compte que tu n’est pas vraiment le centre du monde. » Pour surmonter ce processus? Une seule expression: « Get on with it! »
Et pour finir, le troisième, une découverte, au Cambodge. C’est pendant les deux ans passés dans ce pays traversé par le Mékong, en compagnie de son premier enfant, que de Rivero vit son propre choc culturel, en positif: « Là-bas, il est malpoli de crier et même de parler fort, ce qui a fini par changer mon tempérament latino. »
Paradoxalement, c’est dans ce pays asiatique qu’elle expérimente un souffle de libération. « Mon fils y a vécu une grande liberté, avec une éducation moins encadrée qu’ici et, de plus, on s’est beaucoup rapproché l’un de l’autre ». Et voilà qu’elle y découvre, en même temps, la peinture: des toiles « d’amateur », insiste-t-elle, avec des motifs « assez naïfs ».
C’est peut être la naïveté qu’elle s’entête à fuir au quotidien, dans un domaine où elle s’installe facilement. Ce qu’elle ne fuit pas, au contraire, c’est sa profession, même en dehors des heures de travail. « Mon partenaire travaille aussi dans les droits humains, donc, finalement, tout se mélange; ce n’est pas un travail que l’on peut faire de neuf à cinq et oublier! »
LES ÉVÉNEMENTS CLÉS:
- 1989 – Départ du Pérou à 18 ans
- 2000 – Naissance de son fils
- 2005 – Directrice de l’équipe de la protection du bureau du Haut-commissariat des droits de l’homme au Cambodge
- 2011 – Naissance de sa fille