La fumée interdite aux arrêts de bus?

Depuis le 1er janvier 2024, il est interdit de fumer aux arrêts de bus et de tram genevois. (Photo: Keystone/Salvatore Di Nolfi)

Un postulat visant à interdire de fumer aux arrêts de bus a été déposé au Conseil communal de Lausanne le 8 avril dernier. Il est inspiré d’une loi genevoise, pour l’instant peu appliquée. 

En sortant de la gare Cornavin, à Genève, les mégots sont légion au pied des arrêts de bus, malgré le discret sticker rouge formant une cigarette barrée. Depuis le 1er janvier 2024, une loi cantonale les interdit à moins de neuf mètres des arrêts de bus, sous peine de 100 francs d’amende. Un peu plus loin, un Genevois d’une quarantaine d’années attend le tram, cigarette en main. Interpellé, il confie ne pas être au courant de cette interdiction. « Je n’en ai jamais entendu parler! Mais si c’est interdit, pourquoi y a-t-il des cendriers? », questionne-t-il, surpris.

Si cette loi n’est pas très connue des habitants du canton, c’est elle qui a inspiré Joël Teuscher (PS), ancien conseiller communal lausannois. Avant de quitter ses fonctions, le socialiste a déposé, le 8 avril dernier, un postulat visant à interdire cigarettes, puffs ou autres cigarettes électroniques aux arrêts de bus. « Nous n’avons plus besoin de démontrer la nocivité de la fumée passive. Je souhaitais protéger les populations vulnérables, comme les enfants et les personnes âgées, qui occupent généralement les bancs des arrêts de bus lausannois. » Mais le conseiller communal démissionnaire n’est pas dupe: « Juste un gros rond rouge avec une cigarette barrée ne suffit pas. Il faut assortir cette mesure avec des messages de prévention. » 

Très discret, sur le panneau du bus, le sticker qui interdit les cigarettes n’empêche pas cet homme (à droite de l’image) de fumer. Source: DR.
Très discret, sur le panneau du bus, le sticker qui interdit les cigarettes n’empêche pas cet homme (à droite de l’image) de fumer. (Photo: DR)

Une loi encore peu appliquée

Se pose la question de l’applicabilité d’une telle loi. À Genève, peu d’utilisateurs des transports publics en ont connaissance, et quelques cendriers sont même encore présents aux arrêts, malgré l’interdiction. Laurent Paoliello, directeur de la coopération et de la communication du Département des institutions et du numérique (DIN) du Canton de Genève, reconnaît: « C’est un paradoxe, c’est vrai que cela peut prêter à confusion. »

Sur l’année 2024, le DIN informe que 98 infractions ont été constatées sur l’ensemble du Canton. Cela comprend donc les arrêts de bus, mais aussi les alentours des aires de jeux, des écoles et des piscines en plein air. Soit environ une infraction constatée tous les quatre jours. « Comme dans chaque nouvelle mise en application, il y a eu, au départ, une période de tolérance, même si nul n’est censé ignorer la loi. Il faut avoir un côté pédagogique, notamment quand la loi modifie des habitudes que certaines personnes ont depuis toujours », explique Laurent Paoliello, pour justifier le petit nombre de contraventions distribuées.

Lausanne emboîte le pas

L’exemple genevois n’a pourtant pas freiné Joël Teuscher, ni Ilias Panchard, co-signataire du postulat, qui va désormais suivre l’avancée du dossier. « C’est vrai que ce nombre d’amendes paraît peu, vis-à-vis du nombre d’usagers des transports publics. Mais au-delà des infractions, ce qui est important, c’est aussi le ressenti des gens. » Le coprésident des Verts lausannois avait déjà déposé un postulat similaire, voulant interdire la fumée dans les places de jeux aux abords des écoles, qui a été refusé par la Municipalité en 2023.

Cette année, il en signe quatre autres, tous au sujet de la cigarette. « L’intérêt de déposer tous ces postulats, c’est que même si la municipalité les rejette, on a plus de chance d’obtenir une réponse détaillée sur chaque sujet, avance-t-il. Avec notre ancien postulat, la Ville n’en avait mentionné qu’une partie, spécifiquement sur les places de jeu, sans mentionner les écoles par exemple. »

La droite reste sceptique

Du côté des libéraux-radicaux, on appelle à la prudence. « Comme lors du débat sur l’interdiction de la fumée aux abords des places de jeux, le PLR est sensible à la liberté individuelle, tout en insistant sur le respect de tous les utilisateurs de l’espace public. Nous ne sommes pas favorables à des mesures qui stigmatisent un groupe de personnes », explique Marlène Bérard, cheffe du groupe libéral-radical au sein du conseil communal lausannois.

L’élue estime qu’il existe des alternatives moins contraignantes pour atteindre l’objectif du postulat, et doute de son efficacité. « Bien que non-fumeuse, je ne pense pas que cette proposition empêchera un enfant d’être exposé à la fumée si son parent fume. J’ai de la peine avec les propositions qui nous disent ce qu’on a le droit de manger ou où se tenir à un arrêt de bus », avance-t-elle.

« Le postulat n’a pas pour objectif de faire passer un message répressif », rappelle Joël Teuscher. Et des zones comme celles dispersées sur les quais CFF, qui autorisent la fumée dans un rayon de 2 mètres autour des cendriers, pourraient-elles être une solution? L’ancien conseiller communal socialiste n’en est pas pour autant convaincu: « Pour les non-fumeurs, il faut traverser des nuages denses de fumée. Ce n’est pas une vraie solution. »

La balle est dorénavant dans le camp du Conseil Communal. Il se penchera sur le postulat lors de la prochaine séance du Conseil, le 6 mai, avant de décider d’un potentiel renvoi en commission. Dans ce cas, cette dernière devrait trancher entre prendre le projet en considération, ou le laisser partir en fumée.

Par Téo Nania, Coline Grasset & Guillaume Massonnet
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Pratiques journalistiques thématiques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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