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Thanadoulas, ces personnes qui accompagnent la mort

Au-delà des innovations technologiques, de nouveaux métiers low-tech émergent autour de la mort. Les doulas de fin de vie, encore peu présentes en Suisse il y a cinq ans, répondent aujourd’hui à un besoin que le système médical peine à combler. 

Cet article appartient à la série Nouvelle économie de la mort consacrée aux innovations et évolutions dans le secteur du décès:
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Depuis un an et demi, Katia Cugliana est doula de fin de vie ou « thanadoula » (‘thana’ de Thanatos, dieu grec de la mort, et ‘doula’, au service de). Elle accompagne les personnes à travers la mort ou à travers le deuil en leur apportant un soutien psychologique et spirituel, selon les croyances de ses clients, explique-t-elle. «Je ne donne jamais mon avis, à moins qu’on me le demande.»

Avant d’être thanadoula, elle a travaillé 30 ans dans un hôpital. D’abord en tant qu’infirmière, dans le service des soins palliatifs, puis en tant que manager. Pendant cette période, elle fait face à la mort plus d’une fois. «J’accueillais les familles qui venaient de perdre quelqu’un et faisais le lien avec les pompes funèbres. Pour moi, c’était naturel.» Au fil du temps, l’envie d’en faire un métier lui vient. En 2021, elle se forme et en fait son travail. 

Une présence que les équipes médicales n’arrivent pas fournir

Soutien psychologique, massages et coaching. Selon Katia Cugliana, le travail de thanadoula est complémentaire à celui d’un psychologue ou d’un soignant. «Nous, thanadoulas, nous avons assez de temps pour rester deux ou trois heures au chevet d’une personne et nous sommes à l’aise avec la mort», affirme l’ancienne infirmière. Ester Schmidlin, responsable des missions dans l’association palliative vaud, enchérit. “Dans le système de santé actuel, les soignants n’ont pas le temps qu’il faudrait pour avoir une conversation en profondeur avec leurs patients, pour parler d’émotions, des peurs liées à la mort et pour régler des problèmes qui ne sont pas médicaux parce que tous ces moments ne sont pas compris dans la liste des prestations des caisses maladies. Cet entourage que les doulas offrent, nous soignants, on ne peut simplement pas le donner aujourd’hui”. 

L’une des clientes de Katia Cugliana, c’est Cécile, psychologue de formation. Quand elle apprend que son mari va mourir après plusieurs mois de chimiothérapie, et qu’il souhaite rentrer à la maison pour y passer ses derniers instants, Cécile sait qu’elle a besoin d’aide. Plusieurs équipes de soignants l’épaulent, mais ils n’apportent pas le soutien moral dont elle a besoin. Elle contacte alors Katia Cugliana. «J’avais besoin de quelqu’un à l’écoute, d’une présence familière, pas changeante comme les services hospitaliers à domicile. Et surtout, d’une présence au cas où il devait se passer quelque chose afin de me sentir soutenue face à l’imprévisible».

Cette présence, Sabrina en a aussi eu besoin. Il y a un an, sa mère était en grande souffrance. «C’était trop douloureux pour moi d’être tout le temps à son chevet, de la voir souffrir, mais c’était aussi trop douloureux de ne pas l’être, de la laisser seule. Je me sentais coupable». Pour les six derniers jours de vie de sa génitrice, Sabrina engage Katia Cugliana. «La savoir présente pour ma mère m’a soulagée, et m’a permis de lui dire au revoir avec plus de sérénité.» 

Un métier en devenir

De plus en plus de demandes émergent pour ce métier, encore méconnu du grand public, mais pas assez pour que Katia en face son activité principale. Aussi thérapeute, infirmière formatrice et masseuse, elle pratique d’autres activités pour s’assurer un revenu suffisant.

Pour faire connaître son métier, elle est devenue coprésidente de l’association suisse «Doula de fin de vie», fondée il y a 5 ans. Elle s’attèle à démocratiser ce travail dans le monde des EMS et des hôpitaux. Pour l’instant, cette profession n’est pas encore reconnue et les pratiques des thanadoulas ne sont pas remboursées par les assurances-maladies. «Un bien pour un mal. L’avantage, c’est qu’on garde une certaine flexibilité», conclut la coprésidente de l’association, qui propose un éventail de prix allant de 60 à 90 francs suisses par heure, avec un tarif fixe de 480 francs suisses pour 3 nuits.

Par Julia Zeder

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