« La fondation Hirondelle porte la marque de mon histoire personnelle »

Jean-Marie Etter a cofondé la Fondation Hirondelle en 1995 avec Philippe Dahinden et François Gros. Image: Sylvain Bolt

La fondation Hirondelle fêtera ses 20 ans d’existence en 2015. Presque deux décennies écoulées avec l’ambitieuse mission de créer des médias indépendants dans des zones de conflits. Ancien journaliste et co-fondateur de l’ONG suisse, Jean-Marie Etter veut croire à la paix par les ondes.

A quelques centaines de mètres du siège principal de la radio nationale suisse à Lausanne, au sein de laquelle il a travaillé plusieurs années, c’est avec un sourire communicateur que Jean-Marie Etter nous reçoit dans un bâtiment gris qui abrite la fondation Hirondelle. Co-fondateur, président puis actuel directeur de l’institution, l’homme de 63 ans avoue « consacrer l’essentiel de son existence à Hirondelle », ce qui ne lui laisse que peu de temps libre avec son épouse. Le rendez-vous, difficile à obtenir, atteste d’un agenda très chargé.

Mais ce matin, la pile de documents entassés sur son bureau attendra. Au moment d’enclencher le dictaphone, l’homme de radio avoue se prêter pour la première fois à l’exercice du portrait mais semble enclin à revenir sur son parcours et celui de « sa » fondation, qui lui est étroitement liée. « Elle porte la marque de mon histoire personnelle ».

Le génocide rwandais comme déclic

La volonté de créer une radio indépendante nait dans le contexte du génocide rwandais en 1994. « Notre correspondant à la RSR Philippe Dahinden était revenu complètement bouleversé par ce qui se passait sur place ». Les deux hommes et leur collègue François Gross se demandent alors quoi faire pour se rendre utiles et choisissent la radio, ce même média qui avait servit les intérêts des génocidaires avec la Radio des « Milles Collines ».

La fondation, qui a grandit au fil des ans, touche actuellement 30 millions d’auditeurs en Afrique et « permet d’informer de la manière la plus crédible possible, tout en ouvrant le débat avec les deux protagonistes des conflits », explique Jean-Marie Etter, la voix remplie d’émotion et avec une touche de fierté.

Directeur Général de la Fondation Hirondelle, Jean-Marie Etter, sur TV5Monde:

Une enfance en Orient

Avant Hirondelle, notre interlocuteur voit le jour à Zurich, avant de débarquer en Turquie un an plus tard. Il y vivra dix années, puis vient l’Egypte. Ne fréquentant pas l’école et devenant « trop sauvage » selon ses parents, l’enfant, tout comme ses quatre frères et sœurs, est envoyé dans un internat jésuite au Liban. Ses parents, eux, migrent en Iran. Une période adolescente difficile, loin des siens qu’il retrouve uniquement pendant les vacances, mais où il apprend beaucoup « en terme d’autonomie de pensée et de discipline ».

Les valeurs du père

C’est au père, expert forestier à la Food and Agriculture Organisation (FAO), que Jean-Marie Etter et sa famille doivent ces nombreuses destinations. Mais l’influence paternelle se ressent également « dans la manière de s’adapter à l’environnement dans lequel il vivait », explique son fils, avant de préciser son propos. « Mon père avait de nombreuses relations locales en Turquie, basées sur le respect et notre famille était parfaitement intégrée ». De son père, il avoue aussi avoir hérité la notion de durée. « Les forestiers travaillent sur la durée, avec des arbres parfois centenaires, c’est la forêt qui impose le rythme » analyse-t-il, avant d’oser la comparaison. « Cela est vrai dans les relations humaines. On agit souvent comme si l’on pouvait dicter le rythme, mais cela n’est pas possible ». Des valeurs inculquées qui ont eu le temps de mûrir lors de ses études de philosophie à l’université française de Beyrouth. « L’interprétation et la compréhension du monde me fascinaient » confie l’intéressé, qui aurait aimé poursuivre dans cette voie. Mais le destin en décidera autrement.

« Dans les relations humaines, on agit souvent comme si l’on pouvait dicter le rythme, mais cela n’est pas possible ».

Dès 1973, le Liban est marqué par les premiers soubresauts de la guerre civile qui suivra. « Un avenir à court terme difficile à imaginer, rendu encore plus compliqué sans famille sur place », conduira le récent diplômé à choisir « l’exotisme de la Suisse », qu’il ne connaît que par les vacances chez sa grand-mère. Et pour payer une éventuelle future thèse de doctorat, « l’immigré suisse » débute dans une profession qui l’intéressait depuis son enfance : le journalisme.

Premiers pas sur les ondes

Débuts à la Radio suisse internationale, entrée à la Radio suisse romande où il gravira peu à peu les échelons, Jean-Marie Etter évoque avec passion ces années sur les ondes, sans être avare d’anecdotes. « J’ai du apprendre à prononcer le nom de certains lieux en Suisse, que je ne connaissais pas du tout », rigole-t-il. Une fois son stage terminé, un nouvel événement va influencer sa carrière.

Le choc pétrolier de 1979 va faire prendre conscience à l’Occident d’une nouvelle réalité du monde arabo-musulman, qui affiche une volonté de fixer les prix et de se positionner face aux pays occidentaux.

« On commençait à s’intéresser à ces pays, alors que j’en venais justement. On m’a donc engagé dans la rubrique internationale » explique celui qui concède honnêtement avoir « eu de la chance professionnellement ». Et cette chance de lui donner l’occasion de retourner au Liban – « qui n’avait pas beaucoup changé » – avec le regard du journaliste, mais aussi celui du philosophe qui n’est jamais loin. « J’ai retrouvé la même nature de violence militaire que celle verbale que j’avais connue avant de quitter le Liban et qui a mené à la guerre », explique-t-il.

« La paix n’est pas l’absence de guerre, mais plutôt une certaine nature du vivre ensemble, le fait d’accepter l’autre ».

Des valeurs transmises tout au long de sa vie et que Jean-Marie Etter perpétue au quotidien dans la fondation, qui constitue une sorte d’aboutissement personnel. « Un moment, il faudra la lâcher, car il y a aussi d’autres choses à faire avant la mort « , concède-t-il, en souhaitant toutefois « laisser une institution qui fonctionne et qui n’a pas besoin de moi de la même façon ».


Par Sylvain Bolt

Article publié par la Tribune de Genève

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