L’influence des cigarettiers sur la politique suisse est forte, 29 parlementaires entretenant des relations étroites avec l’industrie du tabac. Mais qui sont ces élu-es? Analyse en graphiques de leurs liens avec les lobbies.
L’industrie du tabac exerce une influence historique et significative sur la politique suisse, en particulier dans les cantons abritant ses sièges sociaux. La nouvelle Ordonnance sur la transparence du financement politique (OFipo), appliquée lors des élections fédérales 2023, permet désormais de cartographier ces relations d’influence.
L’analyse des données de l’ONG Lobbywatch — association de journalistes à but non lucratif visant à rendre la politique suisse davantage transparente — met en évidence des disparités marquées dans la transparence des liens entre parlementaires et industrie du tabac, révélant un clivage selon l’appartenance politique, l’âge et le genre des élus.
1. Répartition géographique
Pour estimer l’impact du lobby du tabac en Suisse, relever l’emplacement des sièges sociaux est une première étape. En effet, ces centres représentent plusieurs centaines, voire milliers d’emplois ; une réalité avec laquelle les élu-es locaux doivent composer. Source de pression ou conflit d’intérêt, cette proximité géographique n’est pas sans conséquences.
Par exemple, selon une enquête du journal suisse-allemand Republik parue en janvier 2022, la position du conseiller national neuchâtelois Damien Cottier contre l’initiative « Enfants sans tabac » aurait pu être influencée par les intérêts économiques de PMI; l’entreprise contribuant aux deux tiers de l’impôt sur les sociétés perçu par le canton de Neuchâtel.
Ces liens étroits entre le cigarettier et les politiciens neuchâtelois s’illustrent aussi par les versements de dons aux libéraux et radicaux (ancien PLR) dans les années 80 et 90 et plus récemment: le don de 35’000 francs de Philip Morris aux partis PLR et UDC dans le cadre des élections fédérales 2023.
2. Visibilité accrue des lobbies du tabac
Avec l’OFipo — entrée en vigueur en octobre 2022, mais appliquée pour la première fois aux élections fédérales 2023 — les partis politiques sont contraints d'annoncer les dons au-dessus de 15'000 francs pour le financement de leurs campagnes, initiatives et/ou référendums. Les parlementaires doivent aussi indiquer leurs mandats bénévoles et/ou rémunérés, sans toutefois devoir informer du montant reçu.
Le graphique ci-dessous témoigne d’une augmentation accrue des liens recensés chez les parlementaires due, entre autres, à l'OFipo. Cependant, ces chiffres peuvent aussi signifier une nouvelle visibilité “forcée” des relations entre les industries du tabac et les élu-es. Cette montée en flèche est donc à nuancer. Lobbywatch, qui recense les conflits d'intérêts des parlementaires à Berne, communique une augmentation de la transparence sur les revenus, tous lobbies confondus, passant de 25% pour les élections fédérales de 2019 à 58% pour celles de 2023.
3. Profil des "élu(e)s du tabac"
Au sein des parlementaires ayant des liens directs ou indirects avec des lobbies associés à l'industrie du tabac ("élu-es du tabac"), on peut observer globalement une plus grande opacité en termes de déclaration de revenus (que l'on nomme taux de transparence). Sur les 29 "élu-es du tabac" au Parlement, seuls sept ont déclaré leurs revenus à Lobbywatch (24,1%).
Les graphiques ci-dessous dressent le profil de ces membres de l'Assemblée fédérale selon l'âge, le genre et la chambre. Le premier tableau esquisse une corrélation assez franche entre l'âge des élu-es et leur taux de transparence en comparaison du taux moyen, tous parlementaires confondus.
Le deuxième tableau illustre que les élues, qui dans la majorité des cas sont plus transparentes dans leurs déclarations de revenus, se situent au même niveau que les hommes concernant les liens avec les lobbies du tabac. Toutefois, la petite taille de l’échantillon nous invite à la prudence; les moyennes en sont tributaires. Il existe une grande différence de proportion entre les femmes (5) et les hommes (24).
Quant au taux de transparence au sein des différentes chambres, on constate une absence complète de déclarations de revenus chez les quatre conseillers aux États et un taux de revenus déclarés au Conseil national de moitié inférieur à la moyenne.
4. Droitisation de la transparence
Il est intéressant de constater que tous les partis comptant des membres affilié-es au lobby du tabac se trouvent à droite et au centre de l'échiquier politique; 11 élu-es UDC, 10 PLR et 8 du Centre. En termes de transparence —tous-tes parlementaires confondu-es— ces trois partis figurent également parmi les plus opaques concernant la déclaration de leurs revenus (comme l'indique le tableau ci-dessous).
Parmi les explications possibles pour cette proximité avec le lobby du tabac, les politiques économiques limitant les contraintes (taxes ou impôts) et favorisant une liberté de marché font partie intégrante de l'identité des partis PLR et UDC. Que certain-es de leurs membres défendent les intérêts de l'industrie du tabac n’est pas surprenant; elle qui a financé leurs campagnes électorales ou comités d'opposition aux initiatives (comme mentionné plus haut).
Par Kera Déruaz et Idan Matary
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Publication, édition et valorisation numérique », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.