Ski de randonnée : une mode qui fait des morts ?

En Suisse en 2022, 21 personnes ont perdu la vie en pratiquant la randonnée à skis. (Photo : Keystone)

Se déplacer sur des skis pour découvrir le paysage alpin, une activité qui s’est popularisée ces dernières années. La randonnée à skis ou plus communément appelée “peaux de phoque” connaît de plus en plus d’adeptes. Si le descriptif du sport semble idyllique, on en oublie trop souvent les dangers qu’il représente.

Considéré comme un sport de vacances, le ski de randonnée attire surtout des non-professionnels. Aujourd’hui, l’activité passionne de plus en plus de monde et le nombre de pratiquants ne cesse d’augmenter, triplant presque en moins de 10 ans. Un sport à la mode, surtout en Suisse romande, région linguistique qui comprend le plus grand nombre d’adeptes proportionnellement à sa population (4.1% en 2022).

Un rapport de l’observatoire suisse du sport, datant de 2020, détaille l’archétype du randonneur à skis. Ce serait un homme, âgé de 30 à 44 ans, avec un revenu mensuel supérieur à 9000 CHF. Le sport attire aussi de plus en plus de femmes, mais elles restent minoritaires par rapport aux hommes (4,8% des hommes contre 2,1% des femmes).

Sauveteurs de plus en plus demandés

Le nombre croissant de pratiquants de randonnée à skis, surtout de débutants dans ce sport, entraîne assez logiquement une augmentation du nombre d’interventions en urgence.

Le Club Alpin Suisse (CAS) les recense chaque année dans son rapport annuel. Les chiffres se fondent sur les données d’intervention de la REGA, du secours alpin suisse (SAS), de l’organisation cantonale valaisanne des secours (OCVS) ainsi que sur d’autres organisations de secours en montagne moins connues.

Les interventions en urgence concernant la randonnée à skis ont presque doublé en 10 ans. L'année 2021 a explosé tous les compteurs: 500 interventions en urgence alors que le record précédent était de 371 en 2018.

L’impact de la pandémie de coronavirus est aussi à noter. La nette baisse d’interventions en 2020 y est certainement liée. De plus, la différence significative d'urgences entre 2019 et 2021 peut aussi en être une conséquence. À cause des règles strictes liées et des difficultés à quitter le territoire, les Suisses ont probablement tourné leurs regards vers les montagnes et ont suivi la mode naissante de la randonnée à skis.

Au vu de la croissance du nombre d'adeptes et du nombre d’interventions, on pourrait penser que le ski de randonnée connaît son époque la plus mortelle. Pourtant, la tendance est plutôt à la baisse. Selon les données du CAS, le siècle dernier a connu davantage de décès dans la pratique de cette activité.

Depuis les années 1980, le nombre d'accidents mortels évolue par vague. Bien qu'une explication univoque n'existe pas, l'hypothèse la plus communément admise est que le nombre d'accidents mortels reflète l'évolution de la popularité de ce sport. Il faut donc rembobiner la bande de l'histoire pour comprendre la dynamique.

La randonnée à skis est restée un sport de niche jusqu'à la seconde moitié des années 1980, comme l'explique Stéphane Albasini, guide de haute montagne. L'activité s'est ensuite démocratisée. Ce qui a permis ce virage vers la popularité, c'est l'invention de Dynafit, un système de fixation du pied sur le ski qui a rendu le sport moins exigeant et moins fatigant.

Après l'explosion initiale, le sport pourrait donc avoir vu sa popularité décliner - jusqu'au récent boom précédemment évoqué - en suivant proportionnellement la courbe en U du graphique des accidents mortels.

Il faut également considérer que les communications pour demander de l'aide sont beaucoup plus rapides que par le passé et que les opérations de sauvetage sont plus efficaces, ce qui diminue la proportion d'accidents mortels par rapport au nombre total de cas d'urgence.

Les causes des accidents mortels

Le Club Alpin Suisse considère les données comme confidentielles en cas de décès, ce qui empêche une connaissance exhaustive de chacun des cas. Mais certains de ces accidents sont traités dans la presse. La carte ci-dessous présente tous les cas répertoriés au cours des trois dernières années.

Ces accidents sont souvent causés par des avalanches et des crevasses en haute montagne, phénomènes qui sont devenus de plus en plus fréquents - et donc dangereux - au cours des dernières années. Contrairement à d'autres sports de montagne, la randonnée à skis est peu protégée contre ces phénomènes naturels.

À titre de comparaison, parmi les skieurs et les snowboardeurs sur les pistes, on recense seulement 5 décès par an en moyenne. Pourtant, ces deux groupes représentent une part bien plus importante de la population (34,9% pour les skieurs et 5,3% pour les snowboardeurs).

Donc oui, la randonnée à skis est l'un des sports les plus meurtriers pratiqués en Suisse. Selon le Bureau de prévention des accidents (BPA), seuls l'alpinisme et la natation ont fait en moyenne plus de victimes au cours des dix dernières années. Un bilan qui ne doit pas dissuader de goûter au plaisir de découvrir les montagnes suisses, mais qui doit plutôt sensibiliser aux risques (majeurs) de l'activité et aux dangers dont il convient de se prémunir.

Par Mathieu Baudoin et Antonio Fontana
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Publication, édition et valorisation numérique », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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