Santé mentale des jeunes: Le non du Canton de Vaud suscite le débat – JAM

Santé mentale des jeunes: Le non du Canton de Vaud suscite le débat

Le Grand Conseil vaudois a refusé la motion de Jessica Jaccoud visant à développer la prévention au sujet de la santé mentale dans le cadre scolaire. (KEYSTONE/Christian Beutler)

Stress, mal-être, dépression: la santé mentale des adolescents est mise à rude épreuve ces dernières années. Pourtant, le Grand Conseil vaudois vient de rejeter une proposition visant à développer la prévention en milieu scolaire, jugeant les mesures en place suffisantes.

La statistique évoquée par Claire Attinger Doepper devant le Grand Conseil fait froid dans le dos: Un tiers des jeunes de 14 à 19 ans souffrent de troubles psychiques en Suisse. Les chiffres de l’OFS vont également dans ce sens. En 2021, 19’500 jeunes ont été hospitalisés en Suisse pour des troubles psychiques, ce qui en fait désormais la principale cause d’hospitalisation chez les adolescents.

S’il est impossible de définir les causes exactes de cette hausse, un milieu est particulièrement pointé du doigt: l’environnement scolaire. L’école est souvent associée à une source importante de stress, que ce soit notamment lié aux résultats ou aux relations sociales. Léa*, élève lausannoise, nous raconte: « La pression constante des tests est difficile pour moi. J’ai souvent la boule au ventre le matin d’une grosse évaluation. »

Une demande émanant des jeunes

Lors de sa session de 2023, la Commission des jeunes du Canton de Vaud (CdJ-V) a voulu proposer des solutions pour améliorer la situation des jeunes. Un groupe de travail a créé un programme de prévention sur la santé mentale pour les écoles secondaires et postobligatoires. Une proposition relayée au Grand Conseil vaudois par l’ancienne députée socialiste Jessica Jaccoud.

Contenu de la motion déposée par Jessica Jaccoud:
• Le but de cette proposition est de mettre en place un programme de prévention dans les lieux de formation autour de la santé mentale, de la 7e année jusqu’à la fin du cycle post-obligatoire.

• Cette prévention se déroulerait par l’intervention en classe, sur deux périodes de 1h30, une fois par année scolaire et serait menée par des psychologues ou intervenants externes.

• À partir de la 9e année, des jeunes touchés eux-mêmes dans leur santé mentale pourraient parler de leur vécu pendant ces périodes de prévention avec les professionnels.

Après avoir été évaluée par la Commission thématique de la formation, la motion a finalement été refusée par le Grand Conseil, malgré un rapport de minorité demandant son renvoi au Conseil d’État. Une décision qui a été largement débattue par les députés. « Je ne pense pas que nous avons envoyé le bon message à la Commission des jeunes, déplore Laure Jaton (PS). Ne pas prendre en compte leur demande relève d’une attitude très paternaliste. »

Informer les jeunes des outils à leur disposition ne répond pas à leur demande.

Laure Jaton, députée socialiste au Grand Conseil et rapportrice de minorité

La députée socialiste continue: « Les jeunes avaient une demande très claire, mais ils n’ont pas été écoutés. » C’est principalement le refus d’externaliser les interventions dans les écoles qui suscite de la déception. « Informer les jeunes des outils à leur disposition ne répond pas à leur demande », regrette Laure Jaton.

Le Canton développe ses ressources en interne

Raphaël Gerber, directeur général adjoint de la Direction Psychologie, Psychomotricité et Logopédie en milieu Scolaire (DPPLS) prend acte de la décision du Grand Conseil. La motion Jaccoud a été déposée, alors même que le Conseil d’État a débloqué 11 millions de francs en 2022 pour renforcer la santé mentale des jeunes.

« Nous ne sommes pas en train d’attendre les bras croisés, explique Raphaël Gerber, avec cet argent, nous avons mis en place un groupe de travail interdépartemental pour développer 15 mesures dans les domaines scolaires, médical et de la prévention. À la DPPLS, nous avons engagé plus de psychologues scolaires en 2024 pour renforcer les équipes de la scolarité obligatoire et créer des postes dans les gymnases et les écoles professionnelles. » Si ces recrutements ont donc permis d’intégrer des professionnels dans tous les établissements vaudois ceux-ci croulent déjà sous les demandes des élèves ayant besoin d’eux.

Ressources en cas de besoin: 
Si vous ne vous sentez pas bien ou que vous remarquez que l’un de vos proches va mal, plusieurs services sont à votre disposition à toute heure.
• Numéro de la Main Tendue: 143
> Ligne téléphonique permettant d’entamer un dialogue de manière anonyme.

• Numéro de Pro Juventute: 147
> Ligne téléphonique spécialisée dans le conseil pour et sur les jeunes.

• Site de Parler peut sauver
> Offre des conseils pour gérer ce genre de situation.

• Numéro des urgences médicales: 144
> Si le danger lié à la situation semble imminent.

Dans le canton de Vaud, la prévention dans les écoles est assurée par l’UPSPS (Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire). Sa stratégie est claire: instaurer un climat d’apprentissage plus sain, afin de limiter ses effets néfastes sur la santé mentale des adolescents. Pour cela, le Canton a donc choisi de mettre en place un encadrement pluridisciplinaire pour répondre au maximum aux besoins des élèves.

Certains psychologues scolaires proposent aux élèves intéressés de participer à des ateliers facultatifs. Au gymnase de Morges, par exemple, la psychologue scolaire a proposé une dizaine de séances facultatives sur la gestion du stress. Un atelier qui a attiré plus de 40 élèves, alors même qu’il avait lieu à 7h du matin.

Méfiance vis-à-vis des psychologues scolaires

L’intervention de professionnels externes était toutefois un élément important pour la Commission des jeunes. « Nous avons l’impression que les jeunes ont moins confiance envers les professionnels de l’école », argumente Rayan Meldan, président de la CdJ-V. Cela s’expliquerait principalement par la peur que des informations soient transmises au sein de l’établissement scolaire.

C’est cette méfiance vis-à-vis des professionnels scolaires qui a mené à la volonté d’externaliser la prévention sur la santé mentale. Selon Rayan Meldan, cela permettrait d’entamer des discussions sur un sujet encore tabou chez les adolescents. Ethan*, élève lausannois, explique: « J’en parle même pas avec mes potes, alors je m’imagine pas en parler avec un psychologue scolaire. »

Ne pas confondre prévention et intervention

Si Raphaël Gerber admet travailler en étroite collaboration avec des services externes, notamment lorsqu’un cas nécessite l’administration de médicaments pour traiter un trouble psychiatrique, il voit plusieurs défauts majeurs à la proposition de la Commission des jeunes.

Cela aurait posé des questions éthiques et juridiques. Il serait donc difficile de rendre ces cours obligatoires pour tous.

Raphaël Gerber, directeur général adjoint de la DPPLS

Selon le directeur général adjoint de la DPPLS, le programme ne prévoyait pas de faire de la prévention, mais directement de l’intervention auprès de tous les élèves. « Ça s’apparentait à de la thérapie de groupe », explique-t-il. Et d’ajouter: « Cela aurait posé des questions éthiques et juridiques. Il serait donc difficile de rendre ces cours obligatoires pour tous. »

Raphaël Gerber assure que son département continuera de déployer des prestations pour préserver la santé mentale des jeunes. Mais le rythme mis en place ne sera pas celui demandé par la motion Jaccoud.

*Prénoms modifiés

Par Mathieu Robatti
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse II », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

Derniers articles de Ecrit