Pourquoi le football féminin suisse est-il à la traîne?

L'équipe féminine de Servette FC Chênois avait remporté la Coupe suisse en 2023. Crédit photo: KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi

Longtemps resté sur la touche, le football féminin fait timidement son entrée dans les préoccupations des clubs helvétiques. Rien de comparable, pour autant, à l’attention portée aux équipes masculines. Illustration avec l’actuel leader du championnat, le Servette FC Chênois.

En Suisse, en termes de football féminin, on ne fait pas mieux que le Servette FC Chênois. L’équipe du bout du lac a dominé les quatre dernières saisons régulières. Samedi, au Letzigrund, les Servettiennes défendront leur titre en finale de Coupe de Suisse. Elles partent favorites face à Young Boys.

Et pourtant… Malgré ce succès, et bien que le club genevois fasse figure d’élève modèle dans le pays, les conditions dans lesquelles évoluent les joueuses du Servette FC Chênois sont incomparables aux standings de leurs homologues masculins. Quelles sont les principales différences entre le football féminin et le football masculin au niveau professionnel? Le Matin Dimanche répond en quatre points.  

1. Le football a toujours été pensé pour les hommes

«On a toujours coaché les femmes comme des mini-hommes. C’est la pire erreur que l’on ait pu faire», lâche d’entrée de jeu José Barcala. L’Espagnol de 42 ans est passé par de nombreux clubs professionnels, autant chez les hommes que chez les femmes, avant de poser ses valises à Genève il y a maintenant une année. «Il faut absolument prendre en compte les spécificités des joueuses dans la construction des entraînements», poursuit José Barcala. Il donne l’exemple de la gestion des émotions. «La balance entre succès et échecs», comme il l’appelle. 

Trop exigeants, car calqués sur le modèle masculin, les entraînements risquent de décourager les footballeuses. Trop faciles, ils freineraient leur progression. «Ce n’est pas seulement une question de compétences techniques. Les équipes masculines et féminines n’ont tout simplement pas le même rapport à l’échec», explique José Barcala. Lui, diplômé d’un Master en performance dans le monde du sport, est convaincu que le développement du football féminin passe par des études sur le sujet. Un point de vue partagé par Hélène Maystre, collaboratrice scientifique à l’office fédéral du sport de Macolin (OFSPO). C’est elle qui s’occupe des tests physiques des équipes nationales féminines. Et dans ce domaine-là, à l’instar des exercices techniques évoqués par José Barcala, les entraînements ont toujours été pensés pour les hommes. Au détriment de l’évolution du football féminin.

2. Les charges physiques et le rythme des séances sont basés sur les hommes

Lorsqu’elle réalise les tests sur les joueuses d’élite, Helène Maystre constate effectivement des différences entre hommes et femmes. Si, chez les enfants, les capacités des garçons et des filles sont équivalentes, la situation évolue à l’adolescence. «Lors de la puberté, on observe une montée de la testostérone. L’homme en a plus que la femme, ce qui développe chez lui certaines capacités de manière plus importante», explique la collaboratrice scientifique de l’OFSPO. C’est principalement le cas pour la vitesse, la force et l’explosivité. 

Mais il n’y a pas qu’en termes de performance que les joueuses diffèrent des joueurs. «Des pistes suggèrent qu’elles auraient moins besoin de repos juste après un match que les hommes, mais qu’un jour de récupération le surlendemain leur serait davantage bénéfique», poursuit Hélène Maystre. Des recherches sont en cours afin d’optimiser ce temps de récupération pour les joueuses. Il en va de même pour le cycle menstruel. Si les symptômes liés aux règles sont pris en compte lors des tests, ce n’est pas le cas des phases du cycle menstruel. «Pour l’instant, l’idée que les performances varient en fonction du cycle n’est pas encore établie scientifiquement. Il faut davantage de recherches», indique Hélène Maystre. L’entraîneur du Servette FC Chênois, de son côté, essaye tout de même de tirer parti des effets du cycle menstruel: «Quand il y a une certaine synchronisation dans le groupe, on peut mettre l’accent sur le développement de la force ou de l’endurance».

Si beaucoup d’inconnues persistent dans les particularités physiologiques des footballeuses, la scientifique de Macolin se montre optimiste. Elle rappelle qu’il y a seulement quelques années, les femmes étaient tenues complètement en dehors du monde du sport masculin: «On a ensuite eu une première étape d’inclusion, lors de laquelle on ne s’est pas dit qu’il pouvait y avoir des différences importantes avec les hommes. Maintenant, on se rend compte que oui.» Elle espère voir les questionnements et la recherche s’accélérer à mesure que les femmes investissent le milieu. 

3. Les infrastructures sont insuffisantes

Début avril, Blick faisait le buzz en dévoilant des images du terrain d’entraînement de la Nati à Freienbach. Le gazon qui doit préparer les Suissesses à leur match de qualification à l’Euro contre la Turquie est jonché de longues lignes de terre, pour raisons d’assainissement du terrain. Si l’entraîneuse Pia Sundhage ne se laisse pas décontenancer par ces mauvaises conditions, elle lâche quand même à Blick qu’il «serait important d’avoir la meilleure infrastructure possible à disposition». 

Cette situation, cocasse, est révélatrice d’un problème plus global: les équipes féminines de foot peinent à avoir accès à des infrastructures de qualité. Marta Peiro, Team Manager du Servette FC Chênois, déplore les conséquences sur le physique des joueuses: «Les femmes n’ont pas d’autres choix que d’alterner le jeu sur terrain synthétique et naturel, selon les disponibilités. Et changer sans cesse entre les deux types de gazon n’est pas optimal pour leurs genoux.» 

Pour l’entraîneur José Barcala, l’amélioration des infrastructures est un passage obligé pour rivaliser à l’international: «Il faut que les femmes jouent un maximum de matchs dans de vrais stades. Les terrains d’entraînement doivent également être adéquats.» Et pour y arriver, il en est convaincu, il faut investir. Il se souvient de l’époque où son pays, l’Espagne, mais aussi la France ou le Portugal, avaient commencé à mettre des moyens dans le football féminin. «En dix ans, on voit déjà que les standards ont été considérablement relevés. Quand on prend soin de son jardin, au printemps, les fleurs apparaissent.»

En Suisse aussi, les choses commencent à bouger. Il y a encore quelques années, se rappelle Sandy Maendly, les joueuses voyageaient en avion de ligne. «Et puis le Covid est arrivé, et on a soudain réalisé que le club avait aussi de l’argent pour des moyens de transport privatifs pour les femmes.» Pareil pour les chambres d’hôtel: quand les restrictions sanitaires l’imposaient, les joueuses ont goûté au luxe d’avoir une chambre double chacune. Une pratique courante dans l’équipe masculine.

Autre amélioration en cours: la professionnalisation du staff qui encadre les équipes féminines. Une évolution que remarque Marta Peiro au Servette FC Chênois: «On dispose désormais de physiothérapeutes à temps plein. Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années, et ça change tout.»

Hélène Maystre note quant à elle une reconnaissance exacerbée des femmes avec qui elle travaille à Macolin: «Les joueuses sont conscientes de l’évolution dans le milieu depuis 10 ans. Elles sont vraiment extrêmement reconnaissantes du fait qu’on travaille avec elles, qu’on soit là pour les aider.»

4. Les joueuses ont autre chose à faire

Les joueuses ne peuvent pas se consacrer uniquement à leur sport. Elles sont nombreuses à étudier ou à travailler à côté de leur carrière footballistique. Le planning des entraînements devient alors un véritable casse-tête, explique la Team Manager Marta Peiro. Néanmoins, depuis que le club dispose d’un staff à plein temps, la situation s’est nettement améliorée. «Maintenant, si des joueuses n’arrivent pas à se libérer pour un entraînement le matin, elles peuvent le rattraper l’après-midi en bénéficiant de conditions similaires.»

Pour Sandy Maendly, le problème provient notamment des salaires. Si les joueuses étaient mieux rémunérées, elles pourraient se consacrer à leur pratique sportive en tant que professionnelles. Cette ancienne footballeuse du Servette FC Chênois, qui a également évolué à l’international, n’a quasiment jamais cessé de travailler à côté des entraînements. Elle explique que c’est le cas de nombreuses joueuses: l’argent gagné durant les années de football ne suffit pas à assurer l’après-carrière. Mais dans de telles conditions, difficile de mettre la même intensité dans l’apprentissage du football.

Bonne nouvelle pour celles qui espèrent atteindre le l’élite du football féminin, une filière sport-étude vient d’être créée à Genève. Un pas de plus pour changer les règles du jeu du football féminin.

Par Barnabé Fournier, Flavia Gillioz et Margaux Lehmann

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Pratiques journalistiques thématiques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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