Fermeture des commerces, confinement, mesures restrictives : les pays européens se replient sur eux-mêmes face au nouveau coronavirus. La Grèce et ses îles ne sont pas épargnées par cette crise. Si l’isolement d’une île peut être sa protection et temps d’épidémies, il peut être aussi son plus grand défi. En mer Égée, l’île de Leros se prépare.
Grèce-Les rues de Lakki sont inhabituellement désertes pour cette période de l’année. Les cafés sur la route qui mènent au port sont fermés. La petite localité de Leros est à nouveau devenue une cité fantôme. Quelques personnes se rendent à l’épicerie-resto du centre, le « Bakaliko… me tsipouro » (littéralement : l’épicerie avec tsipouro-alcool fort local). Ses tables sont rangées, ses chaises retirées. « On a dû arrêter le service avec les dernières mesures. Il y a moins de monde mais le magasin nous fait tourner quand même » confie Takis, le commerçant. Rien ne manque à l’intérieur, ou presque. Au contraire des villes en Grèce, peu de personnes ont pillé les supermarchés sur l’île. Comme partout en Europe, cette petite société insulaire vit au ralenti.
Dans le reste du pays, des queues se forment devant les magasins d’alimentation et les gens se ruent sur les produits tel que le papier hygiénique, les masques ou encore le gel hydro alcoolique. Pour Marina Rafenberg, correspondante du Monde et de l’AFP à Athènes, le ralentissement est visible. « Peu de monde dans les rues, peu de circulation, les grands magasins sont fermés. Les grecs ont réagi assez rapidement aux mesures dictées par le gouvernement et les commerces qui ne respectent pas les mesures sont de toute façon sanctionnés. »
Se préparer au pire
À première vue isolée de cette crise, Leros vit de plein fouet les décisions des autorités. Située à environ 30 kilomètres des côtes turques, dans l’archipel du Dodécanèse elle compte près de 9’000 habitants. Cet isolement imposé s’ajoute à celui déjà naturel d’une île, et, pour l’instant, aucun cas n’a été confirmé sur Leros. Cette « défense » peut ainsi être salvatrice contre une épidémie. Pour Nicolas, habitant de Leros, il faut s’attendre au pire si la maladie arrive. « Les gens respectent dans l’ensemble les mesures, mais la peur est réelle : si l’épidémie se déclare et se propage ici, la préparation de l’hôpital est largement insuffisante. »
Entouré de haut murs blancs et d’un parc à l’ombre de hauts pins « parasol », l’hôpital régional de Leros dispose capacité relativement grande (80 lits), à laquelle s’ajoute celle du centre psychiatrique, en ville de Lakki. Adamantios, infirmier très impliqué dans la politique locale de l’hôpital, est inquiet quant à l’éventuelle arrivée de l’épidémie. « Nous avons des manques oui, notamment des masques comme partout. On fait ce que l’on peut pour pallier. Mais notre plus grande inquiétude sont les patients en psychiatrie et surtout, le hotspot des réfugiés. »
Depuis 2016, Leros accueille un camp de réfugiés où vivent actuellement près de 3’000 personnes, dans des conditions précaires. Les migrants peuvent encore circuler librement sur toute l’île, sans grande restriction. « Si un travailleur du hotspot (le camp) ou un réfugié venait à contracter le coronavirus et qu’il le transmet l’intérieur, nous courrons à la catastrophe » confie Adamantios.
L’île ou un espace contrôlable
La protection des groupes à risque est aussi un défi pour les autorités locales. Ainsi la mairie de Leros a mis en place un programme de soutien aux personnes âgées et fragiles. Un groupe de bénévoles se met ainsi à leur disposition pour faire les courses d’aliments et médicaments nécessaires. « Notre société insulaire s’organise, une solidarité se met peu à peu en place. Si tout le monde s’y met, on prendra de l’avance et on passera peut-être entre les mailles du filet » ajoute Nicolas. Une dernière mesure se veut plus rassurante pour les insulaires : face au déplacement massif de citadins vers les îles, le gouvernement a limité les déplacements maritimes vers et entre les îles.
À travers les âges, l’isolement d’une île est à la fois sa prison mais aussi sa liberté. Le continent peut faire d’une île un lieu d’exil pour les « malades », à l’exemple de l’îlot de Spinalonga au large de la Crète, où la société envoyait ses lépreux jusque dans les années 1950. Aussi, si une épidémie ravage cet espace limité, sa solitude naturelle devient l’outil du continent, pour se protéger. Mais dans le cas précis, Leros se prépare en avance à l’arrivée du coronavirus, en un isolement presque volontaire. Cette fois-ci, l’île profite de sa solitude pour se protéger du continent. Il ne reste plus qu’à espérer que la maladie ne l’atteigne pas, ou très peu.
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « journalisme international » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.
Cet article a été publié sur Heidi.news.