Les nouvelles formes de journalisme pour renouveler la relation avec le lecteur

La relation entre le public et les médias se trouve aux fondements du journalisme, avec des valeurs comme l’intérêt public ou le rôle démocratique de la presse. Pourtant, le contexte actuel est plutôt celui d’une perte de confiance des lecteurs envers le journalisme. Beaucoup de rédactions essaient donc de corriger cela avec de nouveaux projets éditoriaux. Deux exemples sont le journalisme de solutions et le journalisme d’engagement, qui tentent tous les deux de redéfinir et améliorer la relation avec le public.

La relation entre lecteurs et médias a toujours occupé une place centrale dans l’histoire du journalisme. Cependant, des problèmes ont, depuis longtemps déjà, été pointés du doigt. Par exemple, en 1979, Gans déclarait que le lecteur était “absent des choix éditoriaux”. Plus tard, en 2001, Kovach et Rosenstiel décrivaient le lecteur comme “une abstraction dont la presse parle mais à laquelle elle ne s’adresse pas”.

Ces dernières années, la relation entre les médias et le public s’est dégradée. En effet, une baisse de l’intérêt pour l’actualité et de la crédibilité accordée aux médias est observée dans le dernier baromètre de la confiance des Français dans les médias.

Dans son billet pour méta-média, Maxime Loisier écrit :

« Tous pourris », « déconnectés du terrain », « pas crédibles » : c’est bien connu, la défiance envers les médias atteint des sommets.

Le journalisme de solutions et le journalisme d’engagement sont des approches qui essaient de reconquérir la confiance des lecteurs.

Un ras-le-bol des nouvelles trop négatives

Le journalisme de solutions répond à un constat, la négativité des événements couverts par les médias impacte la consommation des nouvelles. En effet, selon une étude du Reuters Institute, 32% des personnes évitent les actualités pour son caractère anxiogène. Lorsqu’une solution est proposée, le public est plus réceptif et attentif à l’information.

Graphique sur le journalisme de solutions tiré de l’article de Méta-Media « Du journalisme « chien de garde » au journalisme « chien guide » : tour d’horizon des nouvelles pratiques journalistiques constructives »

Barbara Chazelle propose la définition suivante du journalisme de solutions :

Le journalisme de solutions enquête sur une ou plusieurs réponses à un problème, en s’intéressant à leur fonctionnement et à leur efficacité.

Pour donner un exemple, s’il y a un accident de la route, au lieu d’écrire un papier compte-rendu sur celui-ci, le journaliste de solutions enquêtera sur comment réduire le nombre d’accidents, en allant voir des acteurs locaux et en cherchant des solutions autour de lui.

À noter que, cette définition peut varier dans la pratique et parfois se confondre avec d’autres types de journalisme comme par exemple le journalisme d’impact qui veut une action de la part du citoyen.

Le journalisme de solutions comme renforcement du lien avec le lecteur

Les journaux qui se lancent dans le journalisme de solutions ont souvent une volonté de se rapprocher de leur lecteur par ce procédé journalistique. C’est le constat qui est fait dans cette vidéo sur le journalisme de solutions, les journalistes défendant cette approche veulent faire du lien et de la médiation avec le public.

C’est le cas de l’association Reporters d’Espoirs, qui travaille avec les médias en France depuis 2004, pour développer le journalisme de solutions. Sur son site internet, elle explique que l’une des raisons pour laquelle le journalisme de solutions est nécessaire aujourd’hui est car “c’est un moyen de recréer de la confiance entre citoyens et médias”.

Ils prennent l’exemple d’un jeune d’un quartier chaud à qui l’on demanderait ce qu’il pense des journalistes. Selon eux, il est probable que sa réponse soit la suivante :

 On ne vient nous voir que quand il y a un problème, jamais pour dire ce qu’il se passe de bien chez nous.

Cela ne crée pas de confiance envers les médias, au contraire. Pour remédier à cela, il est préférable d’aussi relayer les initiatives positives ou la solidarité.

C’est d’ailleurs ce que proposent les auteurs de ce billet publié sur Meta-Media, parmi quatre idées pour accroître la confiance du public, d’insister sur le positif. D’après eux, les nouvelles sont trop négatives et ne reflètent pas le quotidien des citoyens. “Ceux-ci ont donc besoin de plus d’histoires mettant l’accent sur la solution des problèmes plutôt que sur les problèmes seulement.”

D’autres études proposent le journalisme de solutions comme réponse au désir des médias de renforcer la relation avec leur lecteur. Afin de créer une relation durable entre médias et publics, Nathalie Pignard-Cheynel retient dans son article quatre axes d’action issus du rapport « What media can learn from other member-driven movements ». L’un de ces axes est de devenir acteur du changement.

Dans le contexte de crises et d’incertitude, les médias sont appelés à jouer un rôle nouveau, dépassant celui de transmetteurs ou médiateurs, pour devenir des acteurs, à part entière, de la recherche collective de solutions,(…)

Pour la presse locale également, le journalisme de solution est un symptôme de la volonté de recomposer la relation avec leur lectorat et leur territoire. C’est ce qu’explique Pauline Amiel dans son texte sur le journalisme de solutions et la presse locale. 

Des résultats plutôt positifs

Certains résultats semblent montrer que cette approche fonctionne. C’est en tout cas ce que déclare l’association Reporters d’Espoirs, qui relaie les chiffres suivants pour des médias pratiquant le journalisme de solutions :

  • Libé des solutions, +24% de ventes au numéro
  • Ouest-France des solutions, + 7% de ventes au numéro
  • Nice-Matin, des records de taux de clics, temps de lecture, taux de partages, nombre de vidéos vues, personnes qui acceptent de visionner une pub en vidéo pour pouvoir lire l’intégralité d’un article…

Un ras-le-bol des journalistes “chiens de garde”

Au moment où la confiance des Américains envers les médias est au plus bas, le président Donald Trump compare les médias à « l’ennui du peuple ». Pour répondre à cette comparaison, plus de 400 organes de presse s’unissent pour insister sur l’importance du journalisme.

Dans le même mouvement, Lisa Heyamoto et Todd Milbourn, conférenciers en journalisme à l’université de l’Oregonour lancent le Projet 32% pour comprendre comment les citoyens définissent la confiance et comment les organisations de presse peuvent mieux la gagner.

Après avoir interviewvé 54 participants, les conférenciers en journalismes ont pu observer un gros manque de relations profondes et réciproques avec les lecteurs. Alors que beaucoup de journalistes se considèrent comme des “chiens de garde” de l’information, les citoyens préfèreraient que les médias créent une “mission partagée” pour sentir qu’ils se réfèrent aux mêmes valeurs communautaires.

Pour que le public ne considère plus le journaliste comme un “observateur extérieur” travaillant pour les annonceurs, les médias ont essayé de corriger le tir à travers le journalisme d’engagement. Cette approche journalistique met les communautés au cœur de la production éditoriale. Inciter les gens à s’engager pour un média sert non seulement à renouer les liens entre médias et publics, mais aussi à créer une audience à long terme. Alexandre Bouniol et Barbara Chazelle expliquent ce terme d’engagement:

Il faut comprendre “l’engagement” comme étant celui du public qui se voit régulièrement consulté et impliqué dans la ligne éditoriale.

Trois constats tirés du journalisme d’engagement

1. La contribution du public ne doit pas être uniquement financière

Même si la méthode du crowdfunding a permis aux salariés de Nice-Matin de racheter leur entreprise en 2014, la contribution des lecteurs ne s’arrête pas là. En effet, pour impliquer leurs lecteurs, ce média  met en place un système de vote en ligne pour leur donner la parole de façon encadrée.

Tous les mois, nous proposons trois sujets au choix et invitons nos abonnés à voter pour un “dossier du mois”.

Cette méthode participative permet non seulement de rendre les lecteurs “acteurs” des reportages, mais également de les fidéliser à long terme puisque le vote est accessible uniquement pour les abonnés du média. La contribution du public est donc ici double: financière et participative. Mais cette dépendance à l’intérêt du lecteur pose également question. En effet, si Nice Matin cherche à plaire au public, est-ce ça ne mènerait pas à un biais de l’équilibre d’objectivité journalistique?

2. L’engagement des lecteurs doit s’étendre en dehors du cadre strictement éditorial

Nathalie Pignard-Cheynel explique dans son article que l’organisation d’évènements, de visites ou de débats n’est pas toujours un simple levier marketing. Si l’initiative fait sens par rapport au projet construit et valorise l’information, le média a même tout intérêt à en organiser. En 2017, Le Temps a lancé un projet événementiel pour fidéliser et développer son lectorat à travers des rencontres. Afin de rester cohérent avec leur ligne éditoriale, Cédric Garrofé, journaliste et responsable des réseaux sociaux, explique que Le Temps a imaginé une vision à 360º.

Lorsque nous organisons un concert, un portrait de l’artiste invité est publié quelques jours avant dans notre journal. Un extrait du concert est également diffusé en vidéo sur notre page Facebook et notre site.

Selon une étude réalisée en juillet 2019, 64.6% de leurs abonnés jugent que ces événements peuvent les “inciter à rester abonnés au “Temps”” et 72.4% de leurs non-abonnés affirment que ces événements peuvent les “inciter à s’abonner au “Temps””. Cette forme de participation permet donc au média de structurer sa communauté et d’agir sur les mécanismes de fidélisation.

3. L’implication éditoriale ne doit pas être réservée à un public éduqué et expert

Politico Magazine explique qu’il existe une “bulle médiatique”, car les rédactions sont trop homogènes et élitistes. Si les lecteurs des petites villes ou des zones rurales font de moins en moins confiance aux médias, c’est parce qu’ils ne se sentent pas compris et écouté. Pour remédier à ce problème, les journalistes de Rue89 Strasbourg montrent dans une vidéo qu’ils délocalisent régulièrement leurs conférences de rédaction dans les quartiers populaires pour reconnecter les habitants à l’information (et vice versa).

Venez rencontrer la rédaction de Rue89 Strasbourg, proposer, discuter de vos sujets et participer à la production de l’information locale.

En montrant leur volonté d’introduire les habitants des quartiers ruraux de Strasbourg dans le processus éditorial, le journal prouve qu’il veut développer beaucoup plus qu’une relation d’autorité descendante. L’idée qu’il faut des compétences spécifiques pour “participer à un média” est donc brisée.

A-t on trouvé la formule magique pour renouveler la relation avec le public?

Réinterroger la relation entre médias et lecteurs est indispensable pour renouer la confiance. Mais est-ce que les lecteurs sont vraiment conquis par ces nouvelles formes? Irene Costera Meijer et Tim Groot Kormelink expliquent dans leur article “Revisiting the audience turn in journalism” que même si le journalisme considère de plus en plus l’avis de ses publics, il présume encore trop souvent mieux savoir ce que les utilisateurs désirent comme contenu et misent, par exemple, sur la transparence alors que la majorité n’apprécie pas forcément ce critère. Il reste donc encore des limites à ces approches. Le risque de virer vers le marketing ou encore de “sortir du journalisme”, avec la remise en question du mythe de l’objectivité, en sont d’autres exemples. Alexandre Bouniol et Barbara Chazelle affirment qu’avec assez de volontarisme de la part des rédactions et en équilibrant un maximum la ligne éditoriale avec toutes ces nouvelles approches, les médias trouveront bientôt la “recette” de la résilience.

Christelle Fonjallaz et Yasmina Leu

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Information et médias numériques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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