//

Les éoliennes poussent sur les crêtes du Jura vaudois

Les éoliennes produiront de l’énergie sur le Mollendruz en 2025 au plus tôt, mais les démarches juridiques risquent de ralentir à nouveau le projet. (Crédits : Keystone / Laurent Gillieron)

Entre les plans des promoteurs et les arguments des opposants, le Mollendruz avance vers l’énergie renouvelable, mais à petits pas. Une mise au point du décennal projet de parc éolien nord vaudois.

« Ce serait un grand jour pour les éoliennes. » Les cheveux battus par le vent froid d’automne, Roger Dupertuis a toujours le moral. Lui qui préside le conseil d’administration d’Energie Naturelle Mollendruz, la société créée pour développer le projet de parc éolien, et qui est aussi syndic de La Praz, l’une des trois communes territoriales du site, avec Juriens et Mont-la-Ville.

Au-dessus du parc du Mollendruz, en ce jour de novembre, le ciel n’est pas des plus limpides. Quelques gouttes tombent devant l’entrée, bordée par une allée qui s’ouvre entre deux murets de pierre. L’air glace les os. Pas un bon moment pour se promener. « Le parc resterait presque identique à ce qu’il est aujourd’hui », explique Dupertuis en parcourant les premiers mètres de l’allée. Une étroite bande de béton coupe en deux une vaste étendue de pelouse verte, entourée d’un dense réseau d’arbres. « La forêt ne sera pas abattue, ni réduite », tient à souligner le syndic. Les nuances de vert continueront de dominer, bien sûr, mais comme coupées par les douze éoliennes d’environ deux cents mètres de hauteur chacune qui seraient disséminées çà et là.

Un site privilégié, mais contesté

Utiliser le conditionnel pour parler du parc éolien est indispensable. Une dizaine d’années après le début des plans préparatoires, le permis de construire n’a toujours pas été délivré. Pourtant, des mesures d’essai ont montré que le site a du potentiel, comme l’explique Martin Oeschger, ingénieur responsable du projet. « Nous avons installé ici deux mâts de 80 mètres de haut », explique-t-il en tendant la main vers la pelouse. « Notre estimation est une production annuelle située entre 100 et 112 GWh. » Une telle quantité d’énergie qui permettrait, à elle seule, d’alimenter au moins 30’000 ménages.

Un photomontage montrant une partie du parc du Mollendruz quand les éoliennes seront installées. (Crédits : SP)

Martin Oeschger semble voir devant ses yeux un lieu idyllique pour la production d’énergie. Néanmoins, avant que les pales ne tournent, il lui faudra attendre, et défendre. Parce qu’entre la planification et la construction, surgit l’opposition. « Nous en avons reçu environ 300 », indique Roger Dupertuis, lors de la mise à l’enquête publique – nécessaire pour obtenir le permis de construire –  qui s’est achevée en octobre dernier. Parmi les arguments les plus cités, la préservation du paysage du Jura vaudois et la protection de l’alouette lulu, actuelle habitante du parc.

L’avis des opposants

Au Mollendruz, ce jour d’automne, pas de chouette lulu, ni de représentants de BirdLife, l’organisation qui se bat le plus pour protéger son habitat, pourtant conviés par nos soins à un échange. Il en va de même pour Paysage Libre Vaud, une constante dans les recours en justice contre les parcs éoliens, qui a déserté face à nos nombreux messages et appels.

Seul Alberto Mocchi, secrétaire général de Pro Natura Vaud – l’autre grande association qui s’est opposée – a fait le déplacement. « Le nôtre n’est pas un “non” catégorique », dit-il alors que son regard se tourne vers l’endroit où devrait surgir la première éolienne. C’est ce qui différencie son association de Paysage Libre, opposée par principe à l’énergie éolienne.

Pendant qu’un arc-en-ciel se dessine derrière lui, formant un demi-cercle sur la forêt, Alberto Mocchi souligne que ce qui l’anime n’est pas la peur de gâcher ce paysage suggestif des crêtes du Jura vaudois, mais plutôt la volonté de ne pas perdre la biodiversité qui le caractérise. Une approche, celle de Pro Natura, plus « constructive » que « destructrice », selon son secrétaire général, bien que cela implique des blocages du projet, bridé par les démarches juridiques. « Nous devons veiller à ce que l’environnement n’en pâtisse pas, mais en sorte victorieux. »

Les efforts pour l’environnement

Diverses mesures pour compenser l’impact environnemental du parc éolien ont déjà été étudiées. Pour le découvrir, il faut descendre du Mollendruz et entrer dans la maison de commune de La Praz, où une salle a été aménagée en centre d’information sur le parc éolien. Les murs sont tapissés de deux immenses cartes montrant l’aspect du parc pendant et après la construction. Et, bien en vue sur la seule table présente, une dizaine de classeurs contenant les dossiers du plan d’affectation, approuvé par le Tribunal fédéral en novembre 2022.

En feuilletant ces milliers de pages, Roger Dupertuis illustre un exemple de solutions destinées à faire coexister éolien et biodiversité. Le sujet : l’alouette lulu, qui souffrirait tant des éoliennes, selon les opposants. Le syndic sort d’un classeur le dossier qui lui est consacré – avec une reliure et une couverture qui témoignent d’une méticulosité remarquable – et fait défiler les pages jusqu’à une carte. Soigneusement délimités en orange, se détachent les périmètres des zones limitrophes du parc où pourraient être créées les conditions favorables à la délocalisation de l’habitat de ces oiseaux. Même au-delà de l’alouette, la liste des mesures de compensation est longue, mais pas encore définitive.

Ce qu’en pense La Praz

Sortant de la maison de commune, l’avis de la population locale semble assez unanime. « 100% pour l’éolienne. » « Les générations futures en profiteront. » « C’est bien qu’une petite commune comme la nôtre puisse apporter sa contribution à la transition énergétique. » Ce ne sont que quelques-uns des commentaires des citoyens qui, souvent, ne cachent pas un certain frémissement. La tendance favorable n’est pas surprenante, puisque par un vote en 2018, La Praz a approuvé la construction du parc éolien. Mais les voix de l’opposition ne manquent pas non plus. En arrivant à la dernière maison du village, celle qui offre la meilleure vue sur le lac Léman à l’horizon, la propriétaire Edith Mongard exprime son mécontentement. « L’homme prend tout, même les endroits les plus immaculés. » Elle précise qu’elle ne s’opposerait pas à ce qu’un parc éolien soit construit dans des régions déjà urbanisées. Bien qu’ils semblent minoritaires, ceux qui partagent sa vision savent se faire entendre. Il est donc probable que pour obtenir le permis de construire, le parc éolien du Mollendruz devra à nouveau passer par les tribunaux.   

Par Antonio Fontana
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Atelier presse”, dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

Derniers articles de Ecrit