À l’occasion du café-journalistique organisé par l’AJM et EJO, Laurence Allard a affirmé l’importance des contenus mobiles pour le journalisme. Et selon la chercheuse, les médias sont encore loin du compte.
Après plus d’une heure de conférence, l’attaque suprême est lancée : selon un spectateur – journaliste pour la presse écrite -, l’utilisation de mobiles pour informer serait « contraire au journalisme ».
Tant mieux, c’est justement cette idée que les trois invitées du café-journalistique souhaitent démentir. Laurence Allard, chercheuse à l’université de Paris 3, ainsi que Magali Philip, en charge de la stratégie réseaux sociaux de la RTS, et Barbara Chazelle, responsable de projets au Prospective et MediaLab de l’info de France Télévision, ont l’habitude de ces critiques. Ce qui ne les déstabilise en rien : « On doit s’adapter aux nouvelles technologies, sinon on ne parle plus à la population qui utilise exclusivement ce moyen d’information, argumente Magali Philip. Mais cela n’empêche pas les journalistes mobiles de garder les mêmes valeurs qu’un autre journaliste. »
Penser « mobile native »
Si les journalistes peinent donc à se saisir de leur téléphone portable, ce n’est pas le cas du public, qui est toujours plus nombreux sur cette plateforme. « En 2014, le mobile devenait le dispositif le plus utilisé pour accéder à internet, devant le PC », annonce Laurence Allard. Et Barbara Chazelle, qui est également responsable d’éditions pour le blog Meta-Média, appuie cette observation : « Aujourd’hui, 72% de nos utilisateurs passent par le mobile. C’est le dispositif le plus utilisé pour visionner nos contenus en ligne. »
Les trois expertes se rejoignent sur un constat : l’utilisation du mobile par les médias doit être améliorée : « Il ne faut pas simplement adapter les contenus web au mobile, argumente Barbara Chazelle. Il faut penser directement au mobile, d’une manière native. » Or sur les deux services publics audiovisuels, le mobile est encore assez peu considéré. « Sur le compte Instagram de la RTS… Et bien il n’y a que moi, concède Magali Philip. Alors qu’il s’agit d’un public jeune fondamental sur lequel il faudrait capitaliser. » D’autant plus que le service public se doit de toucher tous les citoyens, même les adolescents qui sont de moins en moins présents devant leur téléviseur.
Car cette omniprésence du mobile peut être utile pour les journalistes : le sensor journalism, par exemple, qui permet d’analyser diverses données atmosphériques, a profité à Élise Lucet qui a utilisé un capteur crée par des citoyens dans le cadre d’une émission de Cash Investigation. C’est à ce type de collaboration que peut mener le mobile, qui, selon Laurence Allard, est encore trop souvent perçu comme un « laboratoire » par les médias.
Une « baguette magique » entre les mains
Le citoyen peut aussi être plus engagé, comme lors du mouvement de protestation de juin 2009, en Iran. À la suite des élections présidentielle, supposant une fraude électorale, les opposants de Mahmoud Ahmadinejad ont protesté à travers les grandes villes du pays. Pour la première fois, les images d’un événement majeur étaient capturées et diffusées directement par ceux qui le vivaient, grâce à leur téléphone mobile. Le surnom du mouvement n’est d’ailleurs pas anodin : « Révolution Twitter ».
Le selfie n’est pas qu’un miroir narcissique. Il peut aussi avoir un usage et un pouvoir protestataire. Le mobile, « yeux du monde » @laurenceallard #EJO #AJMunine #moji
— Nathalie Pignard-Cheynel (@npcheynel) 11 juin 2018
Le citoyen, armé de son mobile, ne doit pas pour autant être perçu comme un concurrent par le journaliste. Pour Laurence Allard, ces protestataires sont des sources premières dont « les journalistes ont repris les vidéos pour illustrer leurs sujets. »
Les « Printemps arabes », qui ont suivi entre 2010 et 2011 dans toute l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ont été un vrai déclic pour Magali Philip. Alors journaliste à la RTS, elle découvre Twitter comme outil journalistique et décide de se spécialiser dans ces nouveaux médias. Aujourd’hui, celle qui s’occupe notamment de la formation aux réseaux au sein de la RTS ne cache pas sa déception face à l’utilisation faite par ses confrères du mobile. « On ne se rend pas compte de la baguette magique que l’on a entre les mains. Il permet à tout journaliste d’être autonome, de faire des photos, des vidéos et même des directs ! »