SELF-DÉFENSE. Comment les femmes apprennent-elles la self-défense? Cédric Guillet, actif dans la sécurité des personnes, leur propose des cours de Krav Maga, une technique de défense israélienne. Rendez-vous à l’Ecole de Krav Maga Lausanne (EKML) chaque jeudi soir. Reportage.
« C’est possible de travailler sur la peur? », s’informe Nat d’une voix hésitante. « Bien sûr, tout se bosse! », l’encourage Cédric Guillet. Dans le cours de self-défense pour femmes ce jeudi soir, dans un sous-sol de l’avenue de Sévelin 46 à Lausanne, une seule personne. Nat, 24 ans, porte un t-shirt à l’effigie de la fédération internationale Krav Maga Global, dont le siège suisse se trouve à l’EKML. Ses cheveux attachés et ses baskets lacées, elle entame une série d’abdos pour se chauffer. Comme dans tous les cours de Krav Maga ou self-défense, Cédric Guillet, l’enseignant, demande à la participante ce qu’elle souhaite exercer. Nat lui confie alors sa peur constante d’être suivie dans le noir.
Le lieu se prête bien à affronter cette peur: pour se rendre à la salle, Nat a dû emprunter un couloir mal éclairé. Le bâtiment qui héberge l’EKML se trouve au cœur du quartier de Sévelin. Juste derrière les Docks, non loin du skate park HS36, la salle d’entraînement de Krav Maga se situe au premier sous-sol. Les fenêtres, très hautes, donnent sur la route d’où émanent des lumières qui fendent l’ombre à chaque passage d’une voiture. C’est là que Nat se rend pour affronter sa peur de l’obscurité.
« Pour savoir si tu es suivie, sors ton téléphone et fais un selfie. Tu verras tout de suite qui est derrière toi. »
Cédric Guillet
Avant de passer aux exercices physiques, Cédric Guillet consacre une grande partie du cours au dialogue. C’est la première des trois phases du Krav Maga: prévention, self-défense, survie. Il propose divers scénarios de prévention à Nat en écrivant, en bon enseignant, sur son tableau blanc. Les conseils sont simples à appliquer et ne nécessitent aucune préparation particulière. « Pour savoir si tu es suivie, sors ton téléphone et fais un selfie. Tu verras tout de suite qui est derrière toi. » Nat acquiesce, elle n’avait jamais pensé à cette technique.
Cédric Guillet pose son stylo pour passer à la pratique. Il éteint toutes les lumières de la salle, c’est la phase deux du Krav Maga: la self-défense. Silhouette mince, courts cheveux noirs et peau métissée, l’instructeur est camouflé dans la pénombre de la salle. Les yeux s’habituent lentement à l’obscurité, les autres sens s’affûtent pour prendre le relais. Lorsque Cédric Guillet entame l’exercice en attaquant Nat dans le noir, celle-ci panique. Elle éclate en sanglots, est prise de tremblements et se met à hyperventiler. L’instructeur se fait alors thérapeute pour calmer le choc de Nat. Il pose les mains sur ses épaules, lui parle doucement pour l’aider à contrôler son stress. Pour la faire paraître moins petite, il lui demande de le regarder dans les yeux. Nat lève la tête, reprend son souffle. Sa respiration ne redevient normale que lorsque la lumière est rallumée.
Assise sur le banc au bord de l’espace d’entraînement délimité par des tatamis, Nat fait une pause avant de rejoindre les hommes du cours mixte auquel elle participe également. Elle a pourtant de la peine à se concentrer, on la sent encore désorientée. Dès la fin du deuxième exercice, Nat s’écroule. Cédric Guillet a tout de suite les bons réflexes: position latérale de sécurité, parole constante, eau glacée sur la nuque. D’un regard entre deux frappes, les autres participants surveillent l’état de Nat. La jeune femme est consciente, mais ne parvient pas à reprendre contact avec la réalité. Cédric Guillet reste auprès d’elle. Il l’aide à s’asseoir en utilisant sa jambe pour lui faire un dossier. « Si dans dix minutes, je n’ai pas réussi à te faire revenir, j’appelle une ambulance », prévient l’instructeur, conscient d’avoir atteint la troisième phase, celle de la survie. Mais avant d’appeler les secours, il a une autre idée: faire venir son chien. L’animal, dressé pour la thérapie, s’allonge près de Nat, lui lèche les mains quand elle propose une croquette, lui redonne le sourire.
Qu’est-ce que la « réactivation de trauma »?
Une « réactivation de trauma » est une réaction vive et qui peut survenir à tout moment chez les personnes souffrant de stress post-traumatique. Collaborant régulièrement avec le centre LAVI (Loi fédérale d’aide aux victimes d’infractions) et lui-même thérapeute somatique, Cédric Guillet n’est pas étranger à ce genre de situation. « Le trauma, c’est une bombe à retardement, explique-t-il. On ne sait jamais quand ça va se déclencher. Ici, on est dans un milieu sécurisé et on peut réagir correctement. »
Nat se redresse et regagne le banc. Elle boit de l’eau, enfile un survêtement de sport pour éviter de prendre froid. « Je suis ce cours parce que j’ai été agressée par un homme que je fréquentais, confie-t-elle. Un soir, lui et un autre homme sont venus m’attaquer quand j’étais avec mes parents. Mon père a été blessé et on a dû l’emmener à l’hôpital. » Cette agression violente a été un élément déclencheur pour Nat, 24 ans, qui travaille dans un cabinet médical. Fan du personnage de Ziva David dans la série NCIS: Enquêtes spéciales, elle envisageait depuis longtemps de s’essayer au Krav Maga. En juin 2021, elle commence les cours à l’EKML. « Au début, c’était difficile, je faisais souvent des blocages. Maintenant, je commence à me sentir plus à l’aise et je sais que je suis en sécurité avec Cédric. J’apprends à me défendre sans me mettre en danger. »
Comme Nat, les femmes sont de plus en plus nombreuses à s’inscrire à l’EKML. Dans les cours pour jeunes adultes et pour adultes, Cédric Guillet compte autant d’inscriptions féminines que masculines à l’année. Elles y apprennent le Krav Maga, cette technique de combat venue de l’armée israélienne. « Le Krav Maga est une méthode qui s’adapte à chacun et chacune », explique Cédric Guillet, qui l’enseigne depuis 20 ans. Dans ses cours pour femmes, il accueille des victimes de trauma qui viennent retrouver leur confiance. À l’image de Nat.
En sortant des vestiaires, habillée chaudement pour affronter l’extérieur, Nat a repris des couleurs. Elle s’en va rapidement, le visage fermé, mais assure qu’elle reviendra la semaine suivante. Quelques mots pour souhaiter une bonne soirée, quelques pas pour monter l’escalier, et Nat se retrouve dans la nuit lausannoise.
Par Sandrine Spycher
Crédit photo: © Sandrine Spycher
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse I », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.