Les médias s’orientent toujours plus vers des contenus numériques. Avec cette transition et la multiplication des formats, les journalistes doivent être capables de maîtriser une palette large de compétences techniques. Mais pas seulement. Il leur est aussi demandé de savoir coopérer, gérer et innover.
« Aujourd’hui, grâce au numérique, on peut voir les choses, les penser et les illustrer de différentes manières. On doit désormais faire preuve de flexibilité. » Nicolas Becquet, chargé du développement et de la transformation numérique de L’Echo, journal économique belge, est clair. Depuis l’avènement du web, le métier de journaliste est en constante évolution. Dans les journaux, le texte est concurrencé par d’autres formats, sonores, visuels ou interactifs.
Les journalistes ne peuvent plus forcément se contenter « d’écrire leurs papiers » et doivent donc ajouter des cordes à leurs arcs. Dans une rédaction du XXIe siècle, il faut savoir travailler de manière transversale, en ayant à sa disposition de multiples outils. Une polyvalence technique qui prend plusieurs formes.
Focus : la boîte à outils des journalistes web
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L’agilité d’esprit, autre aspect de la polyvalence
Séverine Chave est une des journalistes et vidéastes du pôle multimédias du journal Le Temps, appelé Digital factory avant le récent rachat du titre à l’éditeur Ringier par la fondation Aventinus. Elle explique que les compétences techniques s’apprennent lors de la formation initiale ou continue des journalistes. Mais aussi, et bien souvent, sur le tas. C’est aussi cela, la flexibilité: apprendre à apprendre.
« Au Temps, nous avons une personne qui est motion designer, qui fait les animations graphiques », explique Séverine Chave. « Mais nous en faisons aussi, parce qu’elle n’a pas toujours le temps de travailler pour tout le monde. On regarde des tutos sur YouTube. Avec les logiciels d’aujourd’hui, ça devient plus facile de s’y mettre. »
Sortir des sentiers battus et parfois se perdre
Savoir apprendre vite demande de la vivacité d’esprit. Tout comme l’innovation dans les formats, autre pierre angulaire du nouveau journalisme. Les rédactions sont incitées à être entreprenantes. Elles se transforment en laboratoires, où recherche et développement se font en permanence.
L’échec est sans gravité, du moment qu’il permet aux journalistes d’apprendre de leurs erreurs et de capitaliser dessus. « Fail early and fast » est l’un des mots d’ordre des stratégistes de l’information digitale, remarque Lucy Küng, chercheuse au Reuters Institute for The Study of Journalism de l’Université d’Oxford, dans son livre Innovators in Digital News, paru en 2015.
Rédaction symphonique
Parallèlement aux compétences techniques et intellectuelles, les journalistes doivent faire preuve de qualités relationnelles. Naguère solitaires, ils doivent désormais travailler en équipe, et pas uniquement avec leurs confrères et consœurs. Les développeurs web, les graphistes, les analystes de données font désormais partie des partenaires de tous les jours. Le but: enrichir ses articles grâce aux compétences collectives et les faire évoluer en fonction du lectorat. Il en va du succès des médias sur le web.
C’est ce que suggère Lucy Küng, dans Innovators in Digital News. Des journaux traditionnels, comme l’anglais The Guardian ou l’américain New York Times, ou de nouveaux acteurs numériques, comme Buzzfeed, Vice ou Quartz, ont en commun une forte intégration de compétences journalistiques, technologiques et commerciales dans leurs processus éditoriaux. Ce mélange des genres leur permet de produire des contenus calibrés pour le web. Et, in fine, d’être reconnus comme des modèles de réussite.
« Nous travaillions vraiment tous ensemble »
Au Temps aussi, on a fait jusqu’à présent la part belle aux synergies interprofessionnelles. Sous l’ère Ringier, la rédaction était par exemple amenée à collaborer avec le département commercial. Séverine Chave explique que même les spécialistes marketing, qui produisaient notamment la « publicité native », c’est-à-dire les articles sponsorisés, œuvraient main dans la main avec les journalistes.
« Ce qui était pas mal, dans le fait qu’ils étaient rattachés à la Digital factory, c’est que nous travaillions vraiment tous ensemble. Ils étaient très impliqués dans l’éditorial, même en n’étant pas journalistes. Et, du coup, ils défendaient plus les intérêts éditoriaux et journalistiques que s’ils avaient été au quatrième étage avec le reste du marketing, qui fait de la pub ou les abonnements. »
Journalistes chefs d’orchestre
A L’Echo, les journalistes multimédias, polyvalents, se retrouvent à l’interface entre journalistes spécialisés, qui connaissent bien un sujet mais peu la technique, et les développeurs web, pour qui c’est l’inverse. Ils sont devenus en quelque sorte des chefs de projet. La coordination entre corps de métier fait partie de leur cahier des charges.
C’est la condition pour « une bonne réussite d’un projet », explique Nicolas Becquet. « On peut avoir un super développeur, très compétent, si on ne lui explique pas où on va, il ne sera pas facile pour lui de contribuer et il va décrocher. »
Un objectif démocratique intemporel
Le contenu de la boîte à outils du journalisme se diversifie. Et avec, le profil des journalistes. Les changements iront-ils jusqu’à toucher leur plus profonde raison d’exister, informer le débat public?
Nicolas Becquet en doute. « Il faut revenir aux missions fondamentales du journalisme, telles que la vérification des informations, le recoupage ou la narration de celles-ci. » Il souligne que la vocation démocratique qui doit animer les journalistes reste, elle, inchangée. « La seconde mission essentielle est que le journalisme doit permettre le bon fonctionnement de la démocratie et donc comprendre le monde qui l’entoure. »
Par Margaux Deagostini, Antoine Michel, Camille Dupertuis, Guillaume Joly, Damien Piscopiello, Emilien Verdon et Thibaut Clémence
Crédits photos (dans l’ordre): Unsplash / Vanilla Bear Films,
Jorge Maya, Markus Spiske, Carlos Muza.
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Information et médias numériques”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.