Thiago Burgunder est un fondu de cryptomonnaie depuis son adolescence. Vivre sa passion a représenté un parcours semé d’embûches où revient toujours une constante : l’obsession.
La personnalité de Thiago Burgunder peut se résumer à une célèbre formule qu’il aime détourner: «Il faut viser les étoiles pour atterrir sur la lune. Quand on y réfléchit, les étoiles, c’est un objectif plus ambitieux.» Quand Thiago Burgunder avait cinq ans et qu’il se rendait avec sa famille à la plage, il ne nageait pas avec les autres enfants. Il rêvait en revanche de grands projets dans le sable. « Même quand tout le monde était dans l’eau, moi, je restais sur la plage à creuser… » Dix-sept ans plus tard, Thiago continue de creuser, mais dans le monde des cryptomonnaies. En parallèle de son master en psychologie, il travaille sur AGIO, une plateforme d’échange d’options numériques décentralisée, sa «raison de vivre». Thiago fait en effet partie de ces jeunes entrepreneurs qui veulent secouer le système financier classique au moyen de la blockchain. D’un naturel calme et stoïque, ce n’est qu’à l’évocation de sa passion pour la cryptomonnaie décentralisée que Thiago s’ouvre. Il n’omet aucun détail, fait plusieurs digressions en s’assurant néanmoins que son interlocuteur suive.
Un parcours atypique
À 16 ans, il regarde une vidéo d’un jeune présentant une toute nouvelle monnaie numérique: le bitcoin. C’est une révélation. Il se passionne alors pour la finance décentralisée. Fin 2018, au gymnase, il rêve de créer sa cryptomonnaie, mais manque de capital. Thiago lance alors un algorithme financier proposant des placements sur les marchés. Ce dernier attire d’abord des camarades de classe, puis des inconnus du milieu. La rentabilité augmente, mais les investisseurs en veulent davantage, souhaitant prendre une part plus active à l’entreprise. En parallèle, il rencontre son futur associé qui partage sa passion. Pour Thiago, c’est le déclic. Qu’importent les incertitudes du «marché crypto», c’est le moment de se lancer. Les deux partenaires introduisent Decash sur les plateformes d’échanges décentralisés (DEX), où des pairs peuvent s’échanger des cryptomonnaies sans l’intervention d’un tiers. Il indexe la valeur de sa cryptomonnaie sur les placements de son algorithme, en plus d’y mettre 2’500 francs de sa propre poche. Une somme qui, à ce moment-là, représente toute sa fortune: «C’était le projet de ma vie à l’époque. Je me suis lancé à fond.»
Malheureusement, un mois plus tard, les associés se font pirater. Piégés par des escrocs, ils perdent toute la liquidité de leur cryptomonnaie. Près de 40’000 francs s’envolent d’un coup. Thiago est dévasté. On lui conseille de laisser tomber, de rentrer dans les clous. Or, pour le lésé, l’échec n’est pas une option. «La crypto, c’est mon obsession, impossible de faire autre chose.» Le jeune fondateur, élevé dans la foi évangélique, se relève et ne la perd pas: «Rien ne m’arrêtera, c’est mon destin, je continue», relate Thiago, euphorique. Les deux partenaires exposent la situation à leur communauté. Ils convainquent ceux qui y croient encore de réinvestir dans le Decash 2.0. Après quarante-huit heures sans sommeil, ils remboursent chaque investisseur. En quelques mois, la valeur de la devise numérique décuple, surfant sur le DeFi summer de 2020, l’été qui voit l’envol des plateformes décentralisées dans les échanges de cryptomonnaies.
Mais en finance comme ailleurs, les vallées suivent les pics. Les différends avec son associé se multiplient. Un accord passé, Thiago décide de quitter Decash. Il n’oublie pas la maxime de Churchill, que son père lui répète souvent: «Le succès, c’est aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme.» Il multiplie les expériences ; conseille des influenceurs et noue des partenariats. Mais comme le rappelle sa mère, «il y a une règle à la maison : on étudie ou on travaille». Thiago entame des bachelors en économie et en droit, sans être convaincu. En parallèle de son nouveau projet, AGIO, il entame des études en psychologie et se découvre un intérêt pour le domaine, ce qui le rend «plus persuasif», plus discipliné également.
De la transcendance
«La morale est le plus important. Il ne faut pas se laisser corrompre par la superficialité», répète-t-il à l’envi. Lui qui réinvestissait tout dans ses projets. Lui qui voit l’argent comme un outil, l’appât du gain n’ayant jamais motivé son intérêt pour «la crypto». Lui qui envisage la décentralisation comme une clé du progrès humain. Selon Sabrina Boudefar, conseillère en Web 3.0 spécialisée dans l’Internet décentralisé, la fascination pour le fonctionnement et la philosophie de la blockchain dépasse la quête du profit pour beaucoup de fondateurs de cryptomonnaie. Pour eux, la technologie remédierait aux injustices du système financier. Thiago y souscrit: «Dans un système décentralisé, l’argent nous appartient complètement. C’est les individus eux-mêmes qui vérifient les transactions. Le réseau appartient à tout le monde.» Il navigue presque exclusivement sur les DEX depuis son lieu de travail: sa chambre à la décoration dépouillée. «Je n’ai jamais vu l’intérêt de décorer mon espace», lâche-t-il nonchalamment. «Ce qui compte, c’est le travail.» Pour Thiago, l’obsession est une «vertu, un mélange de motivation, de passion et de discipline avec un grain de folie. L’obsession, ça vous habite, ça ne vous laisse pas le choix que d’y revenir. C’est complètement intrinsèque à l’individu.» L’enfant un brin obsessionnel qui creusait sur la plage n’est jamais bien loin…