Le 24 juillet 2023, des rafales d’une violence inouïe frappaient les Montagnes neuchâteloises. Fenêtres placardées, toits bâchés, les effets de la tempête sont encore visibles à La Chaux-de-Fonds. Le froid s’installe et pourtant de nombreux travaux restent à réaliser. Reportage.
Rue de la Cure, le 8 novembre 2023. Il est 9h30. Une tuile s’écrase bruyamment au sol. Ni blessés ni dégâts majeurs ne sont à déplorer. Interrogés sur la fréquence de tels incidents, les habitants de la rue nous assurent qu’ils sont de plus en plus rares.
Le Grand Temple surplombe la ville sous un soleil de novembre. L’air glacial porte une délicate odeur de café. Un chat curieux, perché sur une maison voisine, observe. L’édifice religieux n’a pas été épargné par la tempête historique du 24 juillet. Arbres éventrés, lampadaires pliés, vitraux brisés, la zone ouest de l’église est fermée jusqu’à nouvel avis. Trônant sur une butte exposée aux vents, la bâtisse a subi des rafales violentes qui ont arraché les tuiles de sa toiture. Dépourvu de sous-couverture protectrice, le temple s’est trouvé à la merci des pluies qui ont suivi la tempête. Armand Studer, gardien du bâtiment depuis vingt-cinq ans, montre les dégâts. Les tuiles sur la structure arrondie du toit se sont envolées. Dans le galetas, la lumière du jour transperce la charpente. Impossible de couvrir avant l’hiver. Bâcher autant que possible et espérer que l’eau ne s’infiltre pas, c’est tout ce qu’il reste à faire. Le Grand Temple n’avait pas subi de dégâts aussi importants depuis 1919, année du grand incendie de La Chaux-de-Fonds.
La tempête a laissé dans son sillage des dégâts considérables. Parmi les 7’500 toits de la cité horlogère, pas moins de 4’500 ont été endommagés à des degrés divers. Nombre d’entre eux restent encore aujourd’hui sommairement bâchés.
« Un toit ça se répare, un arbre pas »
La tempête s’est formée au Crêt-du-Locle, pour s’abattre sur La Chaux-de-Fonds par l’ouest. Tout s’est passé en moins de cinq minutes, entre 11h23 et 11h25 environ, le 24 juillet. Derrière le lycée Blaise-Cendrars, des centaines d’arbres sont déracinés. Entassés les uns sur les autres à l’entrée de la piste de ski du Chapeau-Râblé, ils témoignent de la violence des vents qui se sont abattus sur la commune. Alain, animateur socio-culturel d’une quarantaine d’années, nous avoue ne plus être tranquille lorsque le vent se lève. Lui, ce sont les conséquences sur la nature et le patrimoine arboricole qui l’affectent. « Un toit, ça se répare, un arbre pas. Des bois, des parcs où je jouais enfant ont été défigurés. C’est cela qui m’attriste le plus. »
Un hiver redouté
Poursuivant son chemin vers l’ouest, la cellule orageuse a balayé la ville en passant par l’ancienne centrale électrique, rue Numa-Droz. Dans cette rue, elle a aussi traversé l’appartement de Guillaume. Son salon est désormais inutilisable, privé de fenêtre depuis la tempête. Le store est fermé, une bâche maintenue par une bande adhésive joue le rôle de vitre improvisée. Dans l’obscurité d’un appartement non chauffé, le jeune avocat stagiaire évoque cette matinée avec une précision quasi-chirurgicale : « Ça s’est passé très vite. Le temps de traverser l’appartement pour fermer la fenêtre, je la voyais exploser, le rideau aspiré à l’extérieur par le vent, une tuile à mes pieds. » Malgré plusieurs coups de fil à la gérance, la réponse reste la même : il n’y a plus de fenêtre disponible avant fin octobre. Mi-novembre, il n’a toujours pas de nouvelles. « L’arrivée de la neige ? Je préfère ne pas y penser. » Une pointe d’émotion est palpable dans sa voix.
Rue de la Pouillerel, la devanture d’un commerce est remplacée par un panneau en bois. Plus loin, la cheminée en aluminium d’un immeuble est pliée en deux. Sur le même immeuble, une tuile chancelle, suspendue au-dessus de la rue passante.
Les échafaudages habillent plusieurs bâtiments de la rue du Temple-Allemand un peu plus haut. Michel habite au dernier étage d’une copropriété dans cette rue. Il se rappelle avoir vu un « rideau blanc » arriver, emportant tout sur son passage. Le vent s’est engouffré dans son appartement, crachant des branches et des morceaux de plastique à l’intérieur. « C’était absolument effrayant. Mon fils et moi avons eu la même sensation, comme si le cerveau s’arrêtait. Nous avons eu l’impression qu’une bombe atomique s’était enclenchée. » Il reste encore marqué par le bruit du chaos engendré par les bourrasques. Les tuiles volaient, la cheminée de l’immeuble voisin a écrasé sa voiture, il pleuvait à l’intérieur. En face, un cèdre centenaire était à terre. Une fois le choc passé, il a fallu constater les dégâts. Dantesques. Heureusement, les couvreurs sont venus rapidement. On les entend d’ailleurs, qui s’activent sur le toit. « Nous sommes parmi les premiers servis. Les travaux seront bientôt terminés et nous serons prêts pour l’hiver. Dans notre malchance, nous avons eu de la chance », reconnaît le retraité.
Une chance que de nombreux habitants n’ont pas eue à la rue Cernil-Antoine, une des plus touchées. Au numéro 9, des pans entiers de balcons sont arrachés. Des panneaux parsèment çà et là les fenêtres du bâtiment. En ce mercredi de novembre, la température atteint 8 degrés à La Chaux-de-Fonds. L’hiver arrive. Certains habitants seront mieux lotis que d’autres pour l’affronter.