L’évolution de la famille met les partis bourgeois suisses sous tension – JAM

L’évolution de la famille met les partis bourgeois suisses sous tension

La représentation de la famille traditionnelle en Suisse fait débat. (Illustration : Dall-E)

À l’heure où les débats sociétaux sur les modèles familiaux s’intensifient, les partis bourgeois suisses affichent des postures contrastées sur la famille traditionnelle. Une constante ? Son importance symbolique.

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Cet article fait partie d’un dossier consacré à la famille traditionnelle en Suisse: exploration de son évolution, des débats qu’elle suscite et des tensions qu’elle cristallise encore aujourd’hui. L’ensemble des articles est à retrouver ci-dessous.

Alors que le mariage pour tous est désormais une réalité en Suisse, certains partis suisses campent toujours sur un idéal précis. La «famille traditionnelle», comprise comme l’union entre un homme et une femme mariés avec enfants, reste un pilier rhétorique des partis bourgeois depuis des décennies. Mais, face aux évolutions sociales et aux réalités économiques, cette image se fissure, tout comme l’unité des discours. L’UDC, en particulier, se distingue par des positions nettement plus tranchées que ses partenaires bourgeois. 

À l’UDC, la tradition comme étendard

Pour Timon Gavallet, président de l’UDC Fribourg, la famille traditionnelle implique «deux parents, peu importe leur sexe, avec un ou plusieurs enfants», même si dans l’idéal, «un des deux parents doit sacrifier une partie de sa carrière pour le bien des enfants». Il précise toutefois que la définition varie selon les membres, mais rappelle que son parti souhaiterait accorder prioritairement une aide financière aux familles dites traditionnelles : «En Suisse, une famille dans laquelle les deux parents travaillent et qui, en plus, veulent des enfants, devraient pouvoir vivre dignement. C’est pourquoi elles devraient bénéficier en premier d’aides sociales.»

Joël Oguey, président des Jeunes UDC Vaud, est plus radical : pour lui, une famille, c’est «un père, une mère, des enfants, et surtout, un mariage». Il rejette clairement l’homoparentalité et l’adoption par les couples homosexuels, qu’il juge contraires au bien-être des enfants. «Puisque la nature a fait que seul un homme et une femme peuvent biologiquement concevoir un enfant, il ne devrait pas être permis d’envisager d’autres configurations. À mes yeux, cela reste biologiquement impossible.»

Pourtant, il admet l’existence d’une branche libérale au sein du parti, qui laisserait la famille dans la sphère privée. L’ennemi commun reste ailleurs : le «wokisme», perçu comme une menace à combattre. « Notre parti s’accorde pour dire que les questions de changement de sexe et des mouvements écologistes qui revendiquent toujours plus de droits sont des enjeux de société qu’il faut combattre. »

Selon le service de communication de l’UDC, il faudrait préserver «les valeurs chrétiennes occidentales contre des modèles imposés par des minorités», comme l’homoparentalité ou les familles recomposées. L’UDC rappelle que chacun peut vivre comme il veut, mais sans attendre que la société «paie pour ses choix».

Le Centre entre racines chrétiennes et ajustement politique

Anciennement Parti démocratique chrétien, Le Centre a officiellement vu le jour en 2020 suite à la fusion avec le Parti bourgeois-démocratique afin de séduire un électorat plus urbain et moins confessionnel. Maxime Moix, vice-président des Jeunes du Centre, assume cette évolution : «Aujourd’hui, la famille comprend aussi les modèles monoparentaux, homoparentaux, recomposés».

Pourtant, certains réflexes demeurent : «Le mariage reste une institution importante, avec des conséquences juridiques», insiste Maxime Moix. Le Centre défend l’abolition de la pénalisation fiscale du mariage, un combat mené dès 2011 par le PDC. 

PLR : économie d’abord, famille ensuite

Selon Andrea Pilotti, politologue à l’Université de Lausanne, les Jeunes du Centre pousseraient désormais des réformes encore plus ambitieuses que celles portées par la direction nationale, notamment sur les crèches et le congé parental. De plus, les Jeunes et le Parti national ont soutenu le mariage pour tous en 2021, une position impensable il y a une décennie.

«La famille n’est pas forcément un axe central sauf, notamment, lorsqu’elle croise la question de la main-d’œuvre», reconnaît Loïc Bardet, vice-président du PLR Vaud. En effet, le PLR aborde la famille sous un angle davantage économique que l’UDC ou le Centre. Loïc Bardet ajoute : «ce qui compte, c’est que les deux membres du couple puissent travailler pour répondre à la pénurie de personnel dans le monde professionnel en Suisse». De plus, le parti préfère des mesures fiscales ou des incitations privées pour développer les places en crèches, plutôt que des investissements publics.

Savio Michellod, secrétaire général du PLR Fribourg, insiste sur la neutralité du parti : «Tous les types de familles doivent être traités de façon égale par la loi.» Quant au mariage pour tous, le PLR y était favorable en 2021.

Philippe Lörtscher, président des Jeunes PLR Vaud, parle toutefois d’une dissonance entre les positions alémaniques et romands au sein du parti : «Les suisses-allemands estiment qu’il n’y a pas besoin que l’État s’immisce dans la famille ou dans le mariage pour lui donner une légitimité. Nous, les Romands, ne partageons pas forcément cette position-là. La famille est expliquée avant tout par la reconnaissance d’un État». Pour lui, son parti n’a pas de politique familiale à proprement parler. «En tant que Parti libéral, on parle plutôt des individus libres de faire un choix parmi un ensemble de modèles familiaux.»

Des politologues soulignent une fracture entre les partis

Selon Andrea Pilotti, «l’UDC maintient une vision très liée aux valeurs chrétiennes traditionnelles, tandis que Le Centre et le PLR ont opéré un tournant vers une reconnaissance plus large des modèles familiaux». Sean Müller, assistant politologue à l’UNIL, ajoute : «L’UDC ne propose presque aucune politique concrète pour les familles, qu’elle considère comme une solution en soi. Le Centre, lui, agit différemment. Il pousse pour le soutien aux crèches, au congé parental et à l’égalité fiscale.»

Face à une société dans laquelle les familles prennent de diverses formes, les partis bourgeois peinent à parler d’une seule voix. Les discours de ces différents partis évolueront sans doute à mesure que la réalité, elle, continue de changer.

Par Lea Maurer
Les personnes suivantes ont contribué à l’article : Raquel Alonso, Pauline Cavin, Kera Déruaz, Camille Marteil, Yvan Pierri, Lucien Phillot, Salomé Philipp, Manon Savary, Tatiana Silva De Sousa, Leander von Stetten
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse II », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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