« Je voulais offrir aux tireurs vaudois l’armurerie de mes rêves »

Frank Radoux, ici devant son armurerie, accueille amateurs et professionnels du tir. (Photo: Gaëtan Mottet)

Gérant d’un magasin d’armes, Frank Radoux nous ouvre ses portes. Entre responsabilité, sécurité et anecdotes, le généreux chasseur témoigne de sa vision de cet univers empreint de préjugés.

« Ici, on ne vend pas des raquettes de tennis. » Frank Radoux, entouré de dizaines d’armes en tout genre, fait le tour de son armurerie. De la chasse au tir, ce passionné symbolise la vente d’armes du canton de Vaud. Perché sur les hauts de Renens depuis 2019, son commerce fournit du matériel aux amateurs et aux professionnels de la Suisse romande.

Impressionnant de connaissances, sans aucun diplôme d’armurier, Frank Radoux en impose également par son physique et sa prestance. Une simple demande de visite de la boutique et nous voici lancés pour une heure d’explications techniques et historiques. Armes de tir, viseurs, pistolets, fusils de chasse, balles, armes historiques…

Tout est décrypté avec passion, entre armes « de voyous » et celles qui officient sur les champs de bataille israéliens ou ukrainiens. Le gérant affiche une certaine fierté pour la Suisse, beaucoup plus libertaire dans la vente d’armes que ses voisins européens. Une satisfaction boostée par le contre-exemple mondial suisse, avec un haut taux d’armes par habitant, mais avec un très bas pourcentage d’homicides par arme à feu (toutefois le nombre de suicides par armes à feu est très élevé dans notre pays, représentant plus d’un suicide sur cinq en 2022 selon l’OFS1).

Pour l’amour du tir

Cela ne fait que cinq ans que Frank Radoux a créé cette armurerie, mais sa passion remonte à ses plus jeunes années: « Je suis né chasseur. » À ses 12 ans, il reçoit une arme à air comprimé d’un oncle chasseur. Dans son jardin, il installe des cibles et apprend à tirer. Il écume plus tard les stands de tir avec comme point d’orgue des compétitions internationales de tir au pistolet en IPSC, discipline de tir en mouvement au gros calibre. À 52 ans, et après avoir vendu son cabinet d’administration, il prend sa retraite anticipée. Voyant alors les armureries vaudoises fermer les unes après les autres, l’idée d’ouvrir la sienne germe dans son esprit. « J’aime bien développer le business. Mais surtout, je voulais offrir aux tireurs et chasseurs vaudois une armurerie comme j’en avais toujours rêvé. » Son expertise et sa gamme de produits lui permettent aujourd’hui de travailler par exemple avec les gardes-faune. Les rapports de travail avec les clients ou avec les forces de l’ordre sont strictement confidentiels. Seul le bureau des armes ou un magistrat peut questionner un armurier sur ses clients, sous motif déterminant.

Tout le monde n’a pas le mental pour gérer une arme.

– Frank Radoux

Alors que la visite se termine, Frank Radoux nous conduit dans la salle spécialisée dans le domaine de la chasse. Une table et quatre chaises en bois trônent au centre de la pièce, encerclées par plusieurs dizaines de fusils et carabines de chasse. « Est-ce que quelqu’un peut me prêter un pistolet, de préférence non chargé ? » Les employés éclatent de rire.

Un cours privé s’ensuit avec ledit pistolet et une « dummy », une balle de test. Deux mots d’ordre, symboles de ce qui alimente Frank Radoux : sécurité et responsabilité. « Quand je manipule une arme avec des gens autour de moi, je dois toujours pouvoir démontrer qu’elle n’est pas dangereuse. » Il rappelle que l’arme, à la base, n’est que fer et bois. Malgré tout, la plus grande prudence reste toujours de mise: « Ce n’est pas grave si je laisse ma raquette de tennis dans le coffre de ma voiture. Mais une arme, je dois savoir où et comment l’entreposer. »

Sur les stands de tir, le moniteur jure également sur le maître-mot sécurité: « Je veux bien vendre une arme à un novice, mais il prendra des leçons. Le premier objectif du moniteur, c’est de permettre au débutant de mentaliser la totalité du protocole de sécurité. Pour ne mettre en danger ni soi-même, ni les autres. »

Pourtant, les guerres font rage dans le monde et certaines armes employées dans celles-ci sont également vendues dans l’armurerie. Frank Radoux le justifie en signalant que ces armes sont utilisées pour leur très grande précision, tant sur les champs de bataille que dans les stands de tir suisses. Pour les armes tirant en rafale, leur vente dans le marché civil s’effectue uniquement à des fins de collection et auprès d’une clientèle particulièrement contrôlée.

La responsabilité du maître-chasseur

Posséder une arme est une responsabilité qui ne doit pas être prise à la légère. « Tout le monde n’a pas le mental pour gérer une arme. Ce n’est pas comme une raquette de tennis qu’on peut mettre dans un coin en se disant qu’on en jouera un jour. » Cette responsabilité vaut tant dans un stand de tir qu’en chasse en forêt, passion de cet amoureux de la nature.

La chasse n’est pas un jeu pour lui, et la satisfaction d’une traque réussie ne vient pas de la mort de l’animal, mais du tir précis qui ne fera pas souffrir ce dernier. « Tout jeune chasseur, j’ai blessé une chevrette et celle-ci pleurait sous la douleur. À la fin de la traque, le garde-chasse me prend mon fusil et me donne sa dague pour que j’aille servir la chevrette, c’est-à-dire achever l’animal blessé. Elle me voit arriver et essaie de s’échapper, mais je dois lui percer le cœur. »

Frank Radoux, encore ému par cet évènement « vieux de 40 ans », poursuit: « Plus jamais je ne veux blesser un chevreuil. Si je tire, la bête meurt. Sinon, je ne tire pas. Je ne veux pas que l’animal souffre au-delà d’une mise à mort rapide. » Le tireur-chasseur admet que sa passion n’est pas toujours facile à exercer avec éthique et qu’à la vue d’une harde de chevreuils en pleine harmonie, il peut renoncer à tirer. « Ne pas tirer est aussi un acte de chasse, parce que ce qui prédomine, c’est de protéger l’harmonie dans la nature. »

Frank Radoux vit pour ses armes et sa générosité de conseils vise à faire perdurer la tradition suisse de tir et de chasse. Ses gestes amples lors de ses démonstrations témoignent de sa passion. Même s’il le voulait, il ne pourrait pointer son arme dans la direction d’un être humain. À 64 ans, le gestionnaire se voit remettre les clés de sa boutique d’ici une décennie.

En quittant les lieux, un regard en arrière suffit à comprendre le personnage. Frank Radoux ne vend pas de raquettes de tennis.

Par Gaëtan Mottet
  1. Dans leurs statistiques sur les causes de décès en Suisse, l’Office fédéral de la statistique (OFS) recense au total 958 suicides sur l’année 2022. Sur ces 958 décès, l’OFS dénombre 201 suicides commis par arme à feu. ↩︎
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse I », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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