Lancé il y a une année, Facebook Live gagne du terrain auprès des médias et redéfinit la profession de journaliste. Quels sont les avantages de Facebook Live pour le journalisme? Quels sont les enjeux? Les Lives bouleversent-ils la relation entre le journaliste et son audience?
Le 17 mai 2016, l’interview de François Hollande sur Europe1 a généré près de 780’000 vues sur Facebook. « Cette opération avec François Hollande nous a permis de toucher un public qui n’aurait sans doute pas suivi sa prestation autrement », confiait le directeur digital du pôle Radios/TV de Lagardère Active, Thomas Doduik, au Journaldunet.com.
Attirer les audiences jeunes
En utilisant cette fonctionnalité live du réseau social, les sites d’actualité attirent avant tout les plus jeunes. Les millenials n’étant pas aussi assidus des rendez-vous télévisés comme le téléjournal, les médias l’ont bien compris et vont désormais vers eux.
Lors de l’élection américaine de novembre dernier, c’est plus de 50 médias qui se sont associés à Facebook pour proposer du contenu en live. Si ce jour-là, Facebook n’a pas vendu de publicités diffusées sur les live, le but était autre: renforcer son statut de plateforme d’actualité en direct et reléguer Twitter et ses “live-tweets” au second plan.
Via Facebook Live, les médias en ligne ont trouvé une façon plus rapide et directe de converser avec leur audience. Stefan Sideris, directeur des global social media operations chez Amobee, une entreprise de technologie de marketing digital, constate d’ailleurs pour Reuters : “en fin de compte, le live va générer beaucoup d’activité sociale.”
Les médias français s’y mettent
Si les médias les plus influents sont payés par Facebook pour utiliser Facebook Live, les médias de plus petite taille, les médias français par exemple, ne jouissent pas d’un tel statut. Pourtant, certains s’adonnent volontiers à la nouvelle pratique.
Mediapart, par exemple, pure player presque entièrement payant, propose une émission hebdomadaire “en direct de Mediapart”, depuis novembre dernier. Cette émission est visible gratuitement en Live Facebook, mais aussi sur Dailymotion, sur YouTube et bien sûr, sur le site Mediapart. Pourquoi proposer cela en accès libre? Edwy Plenel répond à Intégrales: “Par exemple, celui avec Macron et le premier sur la primaire PS avec Montebourg nous ont rapporté chacun 1000 abonnés.”
Dépendants de l’algorithme
Si Facebook n’est pas tout à fait le grand méchant loup, les médias devraient toutefois s’en méfier. C’est ce que Dan Kennedy, professeur à Northeastern University Journalism explique . Selon lui, le but principal du réseau social est d’attirer le maximum de personnes sur son site. Si les Lives proposés par des sites d’actualité en attirent suffisamment, alors tant mieux. Mais le professeur craint le jour où cela marchera moins: “ Si d’autres types de contenus, comme des photos de vacances postées par des amis, se révèlent être plus populaires, ils changeront l’algorithme sans hésitation.” (traduction de l’anglais)
Si les Lives sont souvent réussis, le risque de les rater existe. Le New York Post a par exemple, fait manger un kilo et demi de fromage à ses journalistes. Le Live du rédacteur en chef du blog Gawker, dans lequel il commente les onglets ouverts sur son navigateur, a aussi été critiqué sur la toile. Gare, donc, aux imprudences, puisqu’une fois en live, plus de retour en arrière.
Le journaliste 2.0 face au live
Une immersion au cœur de l’événement
Si la recherche d’audience est une des explications du succès des Live, elle n’est pas la seule. Etre au plus près de l’événement. C’est bien aussi de cela qu’il est question avec Facebook Live.
L’événement se vit en temps réel, « comme si l’on y était ». Lors des Live, le journaliste questionne ainsi en direct un éventail de personnes qui se présentent à lui et réagit de manière spontanée aux événements et aux individus qui l’entourent. Ce fut le cas notamment lors d’un Live (vu par plus de 200’000 internautes) du Monde, lors d’un rassemblement organisé par les forces de l’ordre à Paris, en février dernier.
« (Grâce au Live), il y a un côté beaucoup plus naturel, qui peut avoir tendance à redonner confiance en l’information aux spectateurs.“ Lauren Provost, rédactrice en chef adjointe au Huffington Post France
Certains détracteurs mettent toutefois en garde contre une pratique qui s’éloigne selon eux du travail journalistique, à savoir la recherche préalable, le tri d’informations, le recoupement de sources et la vérification d’informations. Le risque n’est-il pas que le journaliste ne soit qu’une fenêtre sur le déroulement d’un événement au lieu d’en être son interprète, grâce à un certain recul une analyse en profondeur ?
Pour Magali Philip, journaliste et spécialiste des réseaux sociaux à la Radio Télévision suisse (RTS), questionnée à ce sujet, Facebook Live offre surtout une très grande liberté, puisqu’il permet de diffuser jusqu’à plusieurs heures. Si le Live se veut spontané, Magali Philip souligne toutefois l’implication personnelle des journalistes les exigences imposées par ce format. Les journalistes travaillent dur en amont du Live, en construisant une trame, avec un début, du contenu à proposer et une fin. Certaines rédactions comme Le Monde installent mêmes des petits plateaux.
De l’improvisation oui, mais elle ne suffit pas. Découvrez 6 conseils de journalistes de l’agence MOJO Portemire pour préparer et réussir un live vidéo, :
La démocratisation du live
Un Smartphone et une connexion Internet, voici le kit de base nécessaire pour lancer un Facebook Live. Ainsi, la création de contenu informationnel en direct n’est plus réservée aux journalistes de terrain. Les internautes participent désormais aussi à la création de contenu vidéo en direct.
Cette réappropriation de l’information par « Monsieur, Madame tout le monde » que l’on appelle aussi « citoyen-journaliste », oblige le journaliste à se repositionner et à adopter lui aussi cette nouvelle fonction. Le professionnel doit alors se différencier par ses analyses et approches journalistiques afin de ne pas être cantonné à un « journalisme d’enregistrement » ou de témoignage.
Si le Live est un espace de liberté, démocratisant le partage d’un événement, il ouvre également le champ des possibles aux diverses dérives possibles.
La déontologie à l’épreuve du direct
En février dernier, deux journalistes radio du programme Milenio Caliente ont été tués en direct sur Facebook, en République Dominicaine.
Ce triste événement pose la question de l’éthique et de la responsabilité des réseaux sociaux en général mais également des médias qui utilisent les Facebook Live.
Si le direct permet l’immersion dans un événement, il ne fait aucun tri parmi les images diffusées. Viol, accident, agression, assassinat, insultes, propagande terroriste: tout peut être retransmis en en temps réel sur Facebook.
Les images du Live ont la qualité et le défaut d’être brutes. Filmant un événement en direct, lors par exemple d’une manifestation, le journaliste n’a donc pas de contrôle et de recul sur les événements qui peuvent se dérouler devant son objectif. Par la retransmission instantanée et l’absence de montage, « la barrière de digestion avant diffusion est en train de tomber », explique la journaliste Marie Turcan aux Inrocks.
Comment respecter alors les principes déontologiques du journalisme face à l’imprévu et aux diverses dérives? Le coup de pouce viendra peut-être de Facebook lui-même qui compte s’appuyer sur l’intelligence artificielle afin de repérer les contenus inappropriés diffusés en live.
Interaction avec le public
Avec Facebook Live, les médias ont l’opportunité de rentrer directement en contact avec un très large public. Encore faut-il savoir gérer cette interaction ultra-rapide et cacophonique. Les trois exemples de la Timeline ci-dessous permettent de se poser les bonnes questions.
Quels sont les outils Live Facebook qui permettent de cadrer le débat?
Pour le Grand Débat de la présidentielle sur TF1 le 20 mars dernier, des sondages ont été proposés au public sur Facebook Live. Les réponses (en %) étaient affichés en temps réel. Cela permet d’objectiver des réactions très diverses. Autre technique, les meilleurs commentaires étaient sélectionnés et publiés sur le Live. Cela permet à tout le monde de s’exprimer, mais en même temps donner du poids aux commentaires les plus pertinents. Les emojis, autre moyen d’expression des spectateurs, ont été utilisés pour créer un sondage en direct. En agissant ainsi, on évite de fausses interprétations.
Les emojis sont-ils utiles au débat? Sont-ils le reflet fidèle des avis des internautes?
Le jour de l’attaque de Westminster, le 22 mars, Al Jazeera suscite l’indignation sur Twitter. La raison: on voit une majorité d’emojis “heureux” apparaître sur une capture d’écran de leur Live Facebook. Certains utilisateurs Twitter en déduisent que les spectateurs musulmans de Al Jazeera expriment leur joie de voir un attentat par ce moyen. Le lendemain, la chaîne répond aux accusations. De tous les emojis utilisés durant le Live de Al Jazeera, seulement 5% étaient des emojis ? (rires) ou ❤️ (j’adore).
Une proportion similaire de ce type d’emojis a été utilisée sur le Live de BBC, Sky New, CNN. Les utilisateurs de Al Jazeera n’ont donc pas réagi si différemment des utilisateurs d’autres chaînes d’information. Il est aussi tout à fait possible qu’une seule personne ait pollué le Live en cliquant plusieurs fois sur le même emoji. Ce n’est donc pas représentatif de la réaction de tous les téléspectateurs.
Il s’agit « d’inventer le média numérique d’après la télévision. »
Alors que la plupart des médias se plient à Facebook, Le Figaro a décidé de lancer son propre live, sur son site. Depuis septembre dernier, le titre propose un flux continu de vidéos. Dès ce mois, Figaro Live, tel qu’il est appelé, est également présent sur smartphone et tablette, mais aussi sur les principaux réseaux sociaux. Pour Alexis Brézet, directeur des rédactions, il s’agit “d’inventer le média numérique d’après la télévision”. Enfin, Figaro Live devrait “permettre d’accroître de façon significative et qualitative l’inventaire publicitaire vidéo du groupe”, apprend-on dans un article du titre.