Derrière le rêve 42, la réalité d’un marché frileux – JAM

Derrière le rêve 42, la réalité d’un marché frileux

Baptiste Bessard étudie depuis deux ans au sein de l'école de programmation 42, à Renens. Photo: Coline Grasset

Alors que l’école de programmation affiche un taux d’employabilité de 100%, certains étudiants témoignent de difficultés à intégrer le marché du travail. Rencontre avec Baptiste Bessard, étudiant sur le campus de Renens.

Cet article appartient à la série Ce nouveau marché privé de l’éducation consacrée aux grands changements que subit actuellement l’économie de la formation.
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42. La réponse à l’ultime question sur la vie, l’Univers et tout le reste. Rien que ça. Les promesses du réseau d’écoles d’informatique, fondé en 2013 sur une initiative de Xavier Niel, sont grandes: une formation d’excellence, entièrement gratuite, à la pédagogie innovante, sans enseignants. Aucune connaissance préalable n’est nécessaire, aucun diplôme non plus. Il suffit d’avoir 18 ans révolus et de réussir une batterie de tests – dont la fameuse Piscine, un mois de sélection intensive sur site – pour profiter de cette formation qui se targue d’un taux d’employabilité immaculé, de cent pour cent.

Baptiste Bessard, 27 ans, y étudie depuis deux ans. Il nous a donné rendez-vous dans les locaux de l’école, à Renens, à quelques pas de l’EPFL, ce temple de l’académisme classique. Noyé dans une mer de Macintosh, alignés tête-bêche sur de grandes tables de bois, il rectifie: «Cent pour cent ? Le classique bullshit marketing ! C’est peut-être le cas en France, mais certainement pas en Suisse.»

Contactée, l’école elle-même tempère ce chiffre, qui ne concerne que la minorité d’étudiants ayant poussé leurs études jusqu’à la spécialisation. «Notre école n’existant que depuis quatre ans, nous n’avons pas encore d’étudiants ayant terminé leur spécialisation, explique Male Wagnière, responsable administratif. Aussi, ce chiffre se fonde sur les établissements ayant commencé avant le nôtre.» Pour ceux qui s’arrêtent au tronc commun, l’établissement n’a pas pu nous transmettre de statistiques précises.

Baptiste Bessard, lui, a «galéré» à trouver un stage de six mois – étape obligatoire de la formation. «Il m’a bien fallu douze semaines de recherche intensive, à éplucher les offres d’emploi, à enchaîner les postulations et les entretiens, pour que je décroche finalement quelque chose.» Un stage à Genève, obtenu grâce au réseau interne de l’école. «Je m’estime heureux. Certains ont mis plus de neuf mois à trouver. Et neuf mois, dans un domaine comme le nôtre, c’est long !»

Les jeunes développeurs face à l’IA

«Ici, les entreprises ne connaissent pas encore 42, doutent du modèle et hésitent à engager.» D’autant que les offres de stage, formatées pour démarcher les diplômés des écoles polytechniques, exigent généralement des compétences qui ne sont pas enseignées – les mathématiques, coder en Java… «Il faut dire que les difficultés sont aussi conjoncturelles. Avec l’arrivée massive de l’IA, les postes se raréfient, et les entreprises préfèrent investir dans un employé aguerri que prendre le risque d’engager un développeur débutant.»

Comme beaucoup d’autres étudiants – particulièrement en Suisse – Baptiste Bessard est venu à l’informatique sur le tard. C’est après deux années en faculté de droit, à Lausanne et Neuchâtel, qu’il abandonne tout pour intégrer un bootcamp de programmation en France. Trois mois intensifs qui lui ont certes coûté «un saladier», mais devaient lui garantir une formation équivalente, sinon supérieure, à celle de l’école 42. «J’ai rapidement déchanté. Après douze semaines, je n’étais absolument personne, je ne savais rien faire dans le monde du développement informatique.»

Alors, alléché par la «hype» qui l’entoure, il rentre en Suisse et s’inscrit au concours de la flambant neuve école 42 de Renens, en quête d’une formation sérieuse. Après un premier test en ligne, Baptiste Bessard est retenu pour participer à la Piscine. D’abord sceptique, l’épreuve le convainc rapidement. «La charge de travail était énorme. On faisait du dix, quatorze heures par jour. Mais c’était peut-être le meilleur moment de mon cursus. Une expérience sociale géniale et folle pour tout le monde, que l’on échoue ou que l’on réussisse. Des gens de tout âge et de tous horizons se croisaient pêle-mêle et, loin d’engendrer de la concurrence, il en ressortait une culture d’entraide et de solidarité.»

Mais une fois passée la Piscine, c’est la douche froide. «La difficulté va crescendo. Je faisais partie des profils sans expérience, et, travaillant à côté, je me suis un peu laissé dépasser.» Sans enseignants, tout repose sur la capacité des étudiants à se débrouiller. «Là est la vraie difficulté de 42. Il y a énormément de liberté, pas d’horaires, un cadre réduit au strict minimum. C’est un modèle qui comporte de gros avantages, mais qu’il est très difficile de tenir. Peu de gens sont faits pour apprendre de la sorte, en autodidactes.» Pourtant, après avoir sérieusement envisagé d’abandonner, Baptiste Bessard s’accroche et rattrape son retard.

Aujourd’hui comblé d’une place de stage, dans une entreprise où il espère décrocher un poste, Baptiste Bessard jette un regard ambivalent sur cette page de sa vie qui s’apprête à se tourner: «Somme toute, si l’on est taillé pour, l’école 42 reste une bonne formation. Elle ne vaut pas l’EPFL, et n’offre pas une place de travail sur un plateau d’argent. Il faut se battre pour faire sa place. Mais j’y ai acquis de solides connaissances de base, et la capacité à apprendre le reste par moi-même.»

Le modèle 42, en Suisse et dans le monde

Depuis la création de la première école 42 à Paris en 2013, le réseau s’est largement étendu: 54 campus dans 31 pays. Soutenue par un système de mécénat, chaque école doit trouver des financements dans son propre écosystème local. Le campus de Renens est financé entre autres par Swisscom, Infomaniak ou encore QoQa. Les mécènes investissent dans la formation en espérant, en retour, engager de jeunes professionnels débrouillards à leur sortie. Cela leur donne aussi un accès privilégié aux étudiants, notamment lors de conférences ou d’ateliers organisés par 42.

En Suisse, l’école ne délivre pas de diplôme reconnu par l’État. En France, en revanche, le niveau de sortie des étudiants est évalué par équivalence avec les certifications RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles): après la première phase, le tronc commun, les étudiants atteignent un niveau équivalent à un RNCP de niveau 5. À l’issue des spécialisations, ils peuvent atteindre un niveau RNCP 21. Aujourd’hui, à Lausanne, aucun étudiant ne l’a encore atteint depuis la création de l’école. Le plus avancé a atteint un niveau RNCP 19.

Par Basile Mermoud, Coline Grasset et Nina Devaux
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Pratiques journalistiques thématiques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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