Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté vendredi à Genève une résolution dénonçant les crimes contre l’humanité commis en Corée du Nord. L’organe recommande au Conseil de sécurité d’envisager des poursuites judiciaires à l’encontre de Pyongyang. La composition du Conseil des droits de l’homme et le travail de sensibilisation des ONG expliquent ce haussement de ton brutal.
« Mêlez-vous de vos propres affaires et regardez-vous dans le miroir ! » Telle a été la réponse du diplomate nord-coréen face au changement de ton du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU vendredi envers le régime de Pyongyang. Par 30 voix contre 6 et 11 abstentions, le CDH qui se présente comme l’autorité morale en matière des droits de l’homme a adopté à Genève une résolution non-contraignante. Celle-ci dénonce les crimes contre l’humanité perpétrés en Corée du Nord et recommande une prise en charge de la question par le Conseil de sécurité de l’ONU pour engager des poursuites.
Après plusieurs années de rapports publiés sans décision forte, cette résolution a vu le jour grâce à un CDH propice à un engagement plus lourd en 2013. Organe dont la composition se modifie chaque année, le Conseil a en effet mis en place l’année dernière une commission d’enquête internationale qui a publié son rapport final le 17 février. Celui-ci est accablant à l’encontre du gouvernement de Kim Jong-un : atteintes à la liberté d’expression, famines organisées et traite d’êtres humains, ces violations ont été comparées aux crimes nazis par le président de la commission, l’Australien Michael Kirby.
Cette année cependant, la composition du CDH s’est révélée moins harmonieuse, notamment avec la présence de la Chine, des tensions se faisant régulièrement sentir dans les salles du Palais des Nations.
Le Conseil a changé en 2014, explique Sonia Tancic de l’organisation non-gouvernementale (ONG) Human Rights Watch, très active sur la question. Mais maintenant que les résultats de l’enquête ont été mis sous les yeux des Etats, une majorité de membres ne pouvait que voter en faveur de la résolution.
Le fruit du travail des ONG
Le durcissement de ton de la part du CDH s’explique aussi par la pression exercée par les ONG depuis plusieurs mois. « Les ONG ont organisé de nombreux événements pour nous sensibiliser à la situation des droits de l’homme en Corée du Nord. Nous ne pouvions pas ignorer cette réalité préoccupante », indique Ruth Kaufmann-Bühler, porte-parole de la délégation de l’Union européenne (UE) à Genève, à l’origine de la résolution avec le Japon.
Les négociations ont cependant été longues : les deux délégations ont d’abord proposé un texte moins dur envers Pyongyang pour attirer un grand nombre d’Etats à la table des discussions. « Une grande partie du travail s’est fait dans les coulisses du Conseil, précise Sonia Tancic. Les négociations ont été particulièrement difficiles pour parvenir à la mention de « mécanisme de justice internationale », certains Etats ne souhaitant pas clairement nommer la Cour pénale internationale (CPI) ».
Le texte final propose en effet que le Conseil de sécurité réfléchisse à une éventuelle voie judiciaire, pour que les fonctionnaires de Pyongyang identifiés comme responsables des violations soient jugés. La Corée du Nord constituerait ainsi le premier cas non-africain géré par la CPI.
Le retour de la voie onusienne
Le professeur Andrew Clapham, directeur de l’Académie du droit humanitaire et des droits de l’homme de Genève ajoute:
Le rapport de la commission d’enquête internationale et cette résolution sont le fruit du travail de sensibilisation des ONG. Mais ils bénéficient également du succès relatif de commissions précédentes
Exemple également cité par Michael Kirby, la situation au Darfour avait fait l’objet d’une commission d’enquête, suivie d’une résolution du Conseil de sécurité pour mettre fin à l’impunité dans la région et de la saisine de la CPI. Cette réussite relative aurait ainsi redonné foi en la voie onusienne à certains Etats, jusqu’à aboutir au vote de vendredi. Difficile pourtant d’imaginer qu’une suite favorable à la résolution sur la Corée du Nord sera donnée au Conseil de sécurité.
La Chine, membre permanent disposant du droit de veto, s’est en effet déjà opposée à la voie choisie par le CDH en votant contre la résolution. Pour Pékin, la communauté internationale devrait plutôt choisir le chemin du « dialogue constructif » et non chercher la confrontation. Une tension qui s’est traduite vendredi à Genève par une suite de remises à l’ordre, les Etats-Unis refusant le discours nord-coréen teinté d’anti-occidentalisme. Le temps des discussions apaisées avec Pyongyang n’est pas encore venu.
La méthode d’enquête de la commission
Le régime de Kim Jong-un ayant refusé de coopérer avec la commission d’enquête sur la Corée du Nord, Michael Kirby a dû exercer son mandat sans avoir le droit de pénétrer dans le pays. Des auditions publiques de témoins ont ainsi été organisées à Séoul, Tokyo, Londres et Washington, villes où la diaspora nord-coréenne est importante. La commission a enregistré 84 témoignages, malgré les menaces de représailles brutales de la part de Pyongyang sur les familles des exilés.
Pour Michael Kirby, grâce à ces témoignages, « le monde est désormais mieux informé de ce qui se passe en Corée du Nord. Le monde regarde. Et il va juger [la communauté internationale] sur sa réponse ».