Annexion de la Cisjordanie: Pourquoi maintenant?

Le 15 mai 2020, un nouveau gouvernement d’urgence s’est formé en Israël entre Benny Gantz et Benyamin Netanyahou. Au coeur de l’agenda de la nouvelle administration: l’annexion de la Cisjordanie prévue pour le 1er juillet. Pourquoi annoncer cette stratégie politique maintenant, en pleine crise du coronavirus?

Au début de la crise du Covid-19, il semblait à première vue que le conflit qui divise Israël et la Palestine s’était calmé. En effet, certains médias révélaient des actes d’entraide entre les deux camps ennemis, comme la formation de médecins palestiniens ou encore de larges prêts financiers octroyés à la Palestine. Des journaux ont même osé parler de conflit gelé, voire de réconciliation.

Néanmoins, pendant ce temps-là, un nouveau gouvernement d’union a vu le jour. Formé des deux rivaux Benyamin Netanyahou et Benny Gantz, ce « gouvernement d’urgence » a notamment en ligne de mire l’annexion de la Cisjordanie, prévue pour le 1er juillet.

Dans son discours du 17 mai dernier, le premier ministre Benyamin Netanyahou semblait plutôt clair sur ses motivations:

Ces territoires sont là où le peuple juif est né et s’est développé. Il est temps d’appliquer la loi israélienne et d’écrire un nouveau chapitre glorieux dans l’histoire du sionisme.

La Cisjordanie, ce territoire à la frontière avec la Jordanie où vivent près de 2.5 millions de Palestiniens, attise depuis longtemps la convoitise d’Israël. Alors pourquoi Benyamin Netanyahou annoncerait-il l’annexion de la Cisjordanie maintenant qu’un gouvernement vient tout juste d’être constitué pour faire face au coronavirus?

La question de la Cisjordanie, une longue histoire

Pour comprendre les enjeux du plan d’annexion proposé par Benyamin Netanyahou, quelques points clés sont à connaître.

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La carte du « plan de paix » pour le conflit israélo-palestinien, proposé par Donald Trump.

En janvier 2020, le président américain Donald Trump soumet son « plan de paix » pour le conflit israélo-palestinien. Ce plan prévoit notamment l’annexion des colonies israéliennes en Cisjordanie, ainsi que la Vallée du Jourdain, une zone agricole stratégique. Jérusalem devrait aussi appartenir entièrement à Israël. Les Palestiniens, qui n’ont pas participé aux négociations, recevraient une contrepartie financière de 50 milliards de dollars et garderaient certains territoires (en vert sur la carte).

C’est notamment sur ce plan de paix que Benyamin Netanyahou se base pour son projet d’annexion, présenté le 17 mai lors de son discours d’investiture. Ainsi, près de 30% de la Cisjordanie pourrait être annexée dès juillet.

Les Palestiniens, à travers la voix de leur dirigeant Mahmoud Abbas, ont déjà contesté cette annexion d’une partie de leur territoire. La Ligue arabe la qualifie même de crime guerre. Mais s’il y a bien un pays qui ne s’y oppose pas, c’est évidemment les Etats-Unis, éternel allié d’Israël.

Le timing parfait pour la réélection de Donald Trump

Le lien qui unit Israël aux Etats-Unis est presque une affaire de famille. Cette relation s’est considérablement renforcée à l’arrivée de Trump au pouvoir. Le gendre et proche conseiller du président, Jared Kushner – un Juif issu d’une riche famille pratiquante – avait œuvré pour mobiliser sa communauté religieuse derrière Trump en 2016. Kushner exerce une forte influence sur le président, notamment sur l’agenda politique américain au Moyen-Orient. Il est d’ailleurs à l’origine du plan de paix. Ses motivations sont idéologiques, tandis que pour Trump, elles sont stratégiques: il compte sur le rapprochement avec Israël pour lui assurer la réélection en novembre.

En effet, l’actuel locataire de la Maison Blanche choie ses supporters pro-israéliens depuis le début de son mandat, comme lorsqu’il a reconnu Jérusalem comme la capitale de l’État hébreux. En agissant ainsi, Trump s’oppose à ses prédécesseurs et rompt avec des décennies de diplomatie qui tentaient de mettre un terme au conflit israélo-palestinien.

Les électeurs que le président cherche à atteindre en soutenant Israël sont les chrétiens évangéliques. Cette communauté religieuse est majoritaire aux Etats-Unis, comptant environ un quart de la population. 80% des évangéliques blancs avaient d’ailleurs voté pour Trump en 2016. Certains sont sionistes conservateurs: d’après leur croyance, Jésus reviendra sur Terre si le « Grand Israël » est rétabli, tel qu’il l’est décrit dans la Bible. L’actuel président ne vise cependant pas en priorité le soutien des juifs américains, qui votent traditionnellement plutôt démocrate.

Le projet d’annexion de la Cisjordanie permettra de consolider l’électorat de Trump, mais aussi de détourner les regards de ses erreurs dont on l’accuse, comme la gestion controversée de la pandémie de coronavirus. Le plan pourrait également renforcer sa popularité, maintenant que son opposant Joe Biden le dépasse dans les sondages.

Une fenêtre d’opportunité avant la présidence de Joe Biden

La droite israélienne court contre la montre. En effet, le projet de Benyamin Netanyahou doit être reconnu par l’administration américaine avant les élections du 3 novembre. Joe Biden s’oppose fermement à l’annexion de la Cisjordanie, illégale en regard du droit international. Si le Démocrate est élu avant la mise à exécution du plan, il pourrait stopper l’avancée d’Israël en terres palestiniennes. Cependant, Netanyahou sera en position de force pour négocier avec Biden si l’annexion se déploie avant l’automne.

Avec la prise de parti de Trump pour la nation juive, les Etats-Unis ont perdu leur ancien rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien, mais aussi l’unité bipartisane qui réunissait Républicains et Démocrates sur cette question.

La politisation de la pandémie de Covid-19

La crise du coronavirus apparaît comme un levier politique pour Netanyahou, dont la popularité est affaiblie par des procès de corruption. En effet, les conséquences de la crise sanitaire ont permis au premier ministre sortant de mettre fin à 500 jours d’impasse électorale qui divisait le pays, en obtenant le soutien pour la formation d’un gouvernement d’urgence. Ainsi, Netanyahou reprend les rênes pour une durée de 18 mois. Outre la pandémie, l’un des dossiers phares du tandem Gantz-Netanyahou est le projet d’annexion.

Les mesures pour lutter contre le coronavirus semblent avoir mis au jour une certaine suprématie israélienne. Selon des observateurs, la pandémie a révélé la dépendance de la Palestine vis-à-vis des États-Unis et d’Israël et montré au grand jour la souveraineté d’Israël sur les territoires palestiniens. Sous prétexte du Covid-19, les Palestiniens ont été confinés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Netanyahou a également ordonné au Shin Bet, le service de sécurité intérieure, de tracer et d’espionner la population palestinienne. En outre, les Palestiniens sont fortement affaiblis par la crise.

Finalement,  les gouvernements du monde entier se préoccupent de combattre la pandémie à l’échelle nationale, laissant une plus grande marge de manœuvre à Israël pour défier le droit international.

La déclaration de Netanyahou, une coïncidence?

Ainsi, l’annonce de l’annexion de la Cisjordanie le 17 mai paraît opportune. Avec les élections américaines qui approchent à grands pas, le projet du président israélien risque d’être remis en cause si Donald Trump n’est pas réélu.

D’autant plus que la crise du coronavirus a permis d’accélérer la formation d’un gouvernement d’urgence et, ainsi, de remettre la stratégie d’annexion sur la table.  Bien que la communauté internationale dénonce le plan du gouvernement hébreux, celle-ci semble paralysée par la pandémie. Tous ces facteurs pourraient constituer une fenêtre d’opportunité pour la mise à exécution du projet de Benyamin Netanyahou.

Christelle Fonjallaz, Laurène Ischi et Rachel Barbara Häubi

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Actualité: méthode, culture et institutions » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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