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Accord UE-Turquie : quel avenir pour les réfugiés ?

young illegal immigrants standing behind a fence at a detention center, in the Greek village of Filakio near the Greek-Turkish border.
De jeunes migrants illégaux derrière le grillage d'un centre de détention dans le village grecque, Filakio

La 31e édition du Conseil des droits de l’homme de l’ONU vient de s’achever à Genève. Durant un mois, il a été question du respect des droits de l’homme, dans des contrées souvent éloignées de l’Europe. Et si les diplomates félicitent des pays comme le Myanmar, qui font des efforts croissants dans ce domaine, l’attention des journalistes était davantage portée vers l’accord conclu entre l’UE et la Turquie. Un contrat qui suscite déjà des craintes sur de possibles atteintes aux droits de l’homme, notamment en ce qui concerne les principes de protection des réfugiés et du droit d’asile.

«De manière générale, on peut constater que l’accord avec la Turquie constitue un retour à une forme de containement qui a prévalu dans le passé : ne pas laisser les réfugiés arriver jusqu’en Europe», affirme Etienne Piguet, Vice-président de la Commission fédérale des migrations et Professeur de géographie. En ce sens, l’accord signé entre l’Union Européenne (UE) et la Turquie est clair : en échange d’une enveloppe de six milliards d’euros versés par l’UE et un allègement des conditions d’octroi de visas aux citoyens turcs, la Turquie s’engage à rapatrier tous les réfugiés arrivés en Grèce, après le 20 mars 2016, mais également à faire barrière aux nouveaux arrivants qui souhaitent gagner l’Europe. Le compromis signé entre Bruxelles et Ankara prévoit également que l’UE accepte un réfugié syrien enregistré en Turquie, pour chaque migrant qui sera renvoyé dans ce pays. Une manière de contrôler les arrivées massives et quotidiennes des demandeurs d’asile, mais surtout de repousser l’échéance de la résolution du problème de la répartition des demandeurs d’asile entre les 28 pays membres de l’UE.

Cet accord, loin d’être acclamé, polarise les opinions, surtout en ce qui concerne le renvoi forcé vers la Turquie. Pourtant, la raison avancée pour justifier cet accord est louable. Il vise à endiguer les réseaux de passeurs et à décourager les réfugiés de mettre en péril leur vie. Un peu plus d’une semaine après sa mise en œuvre, quel bilan peut être tiré?

Un pacte machiavélique

Les ONG n’hésitent pas à critiquer un accord passé avec un pays qui limite drastiquement la liberté d’expression et qui est en proie à des instabilités politiques et sociales. Même si la Turquie a accueilli 2,7 millions de réfugiés syriens depuis le début de la guerre, ce pays est souvent critiqué pour le non-respect des droits humains.

«On sait que la Turquie pratique la répression pure et nette. Donc si l’UE a fait ce deal avec la Turquie, elle doit prendre la responsabilité d’être assez claire vis-à-vis du gouvernement turc. Car on sait aussi que la Turquie a livré des armes à l’Etat Islamique.»

Hugo Fasel, directeur de Caritas Suisse.

Amnesty International révèle de son côté que quelques heures seulement après avoir signé l’accord avec l’UE, la Turquie a expulsé une trentaine de réfugiés afghans, sans même que ces derniers puissent avoir accès à une procédure d’asile, tel que stipulé dans le droit international. «Cet épisode illustre bien les risques liés au retour des demandeurs et demandeuses d’asile vers la Turquie, et les répercussions que l’accord est susceptible d’avoir sur les réfugiés passant par la Turquie», commente John Dalhuisen, directeur adjoint du programme Europe et Asie de l’ONG.

Si les divers groupes de défense des réfugiés critiquent l’accord, ils peinent à proposer des alternatives, comme le confirme Etienne Piguet : «les milieux de défense de l’asile et des droits humains ont bien raison de souligner les problèmes posés par un tel accord, mais ils ne proposent pas de solutions alternatives très réalistes»Un constat partagé par Daniel Thym, Professeur de droit international et européen, qui estime que «l’accord représente une solution internationale viable à un problème qui est transnational. Et que l’alternative à cet accord pourrait être une fermeture complète de toutes les frontières européennes.»

La défaillance des Etats membres

L’accord négocié entre Bruxelles et Ankara a été mis en application de manière précipitée, compromettant au passage une action efficace sur le terrain. Les dirigeants de l’UE ont promis de mobiliser 4000 agents sur le terrain en Grèce pour s’occuper de la logistique. Difficile à croire, quand on sait que les 28 pays membres de l’UE ont du mal à se concerter sur la problématique des réfugiés depuis des mois. Hugo Fasel rappelle «qu’à l’intérieur même des Etats membres, on n’arrive pas à se mettre d’accord sur la répartition des quelques 72’000 demandeurs d’asile que l’UE est prête à accepter». Une goutte d’eau face aux 2,7 millions de réfugiés qu’accueille la Turquie et aux nombreux autres qui attendent aux frontières de l’Europe. Sur le terrain, le constat est amer : depuis une semaine, les migrants continuent d’affluer sur les côtes grecques, au gré des conditions météorologiques, et ce sont essentiellement des femmes et enfants en bas âge.

Un cadre juridique flou

Un autre point qui pose problème c’est la légalité de l’accord conclu entre l’UE et la Turquie. Contrevient-il au droit international humanitaire, tel que définit dans la Convention de Genève ? Au siège de l’ONU à Genève, Melissa Fleming, porte-parole du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), esquive quelque peu le sujet et préfère souligner l’aide et l’encadrement que les équipes du HCR fournissent sur le terrain en Grèce.

«Nous allons continuer à appuyer les autorités grecques pour développer une capacité d’accueil suffisante. Le personnel du HCR continuera d’être présent sur le littoral et dans les ports maritimes afin d’y fournir une assistance pour le sauvetage. Nous informons les nouveaux arrivants sur la procédure d’asile en Grèce, le regroupement familial et l’accès aux services. Par ailleurs, nous identifions les personnes ayant des besoins spécifiques.»

Melissa Fleming, porte-parole du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR)

Difficile d’affirmer pour l’heure avec certitude quelles seront les conséquences de la mise en application des négociations conclues entre l’UE et la Turquie. «L’aspect positif de l’accord est évidemment la promesse de réinstallation de réfugiés en Europe dont on espère qu’elle se concrétisera pour les populations les plus vulnérables.», conclu Etienne Piguet.


par Ana Silva

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