Vendredi 24 mars, le Conseil des droits de l’homme a accepté à l’unanimité une résolution qui prévoit d’envoyer une mission d’enquête internationale et indépendante en Birmanie, où l’armée est accusée de graves crimes contre la minorité musulmane des Rohingyas.
Il y a un an, les Nations Unies félicitaient la Birmanie pour ses progrès démocratiques et l’instauration du nouveau gouvernement civil mené par Aung San Suu Kyi. Cette année, le ton s’est durci au Palais des Nations à Genève. La 34e session du Conseil des droits de l’homme a en effet adopté une résolution pour envoyer de toute urgence une mission internationale indépendante d’établissement des faits (fact-finding mission) en Birmanie. A portée non judiciaire, elle vise principalement à établir les exactions commises envers l’ethnie musulmane rohingya. Yanghee Lee, Rapporteuse spéciale de l’ONU, détaille dans un rapport des témoignages de persécutions systématiques qui ont conduit des dizaines de milliers de Rohingyas à fuir au Bangladesh. Imputés à l’armée birmane, appelée la Tatmadaw, les actes de violence comprennent notamment des cas de tortures, des disparitions forcées et des destructions de biens. D’autres informations encore non vérifiées font état de décapitations, de viols collectifs et d’enfants jetés dans le feu, dans des zones où la Rapporteuse spéciale s’est vue refuser l’accès. Alors que l’accusation de génocide peut se lire sur les réseaux sociaux, Yanghee Lee fait preuve de prudence en évitant ce terme, mais parle bel et bien de «possibles crimes contre l’humanité».
Instaurée par la dictature militaire, la loi de citoyenneté de 1982 prive les Rohingyas de droits civiques. Considérés comme des immigrés illégaux du Bangladesh, ils représentent 1% de la population birmane. La résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme demande notamment à la Birmanie de réformer cette loi et le statut des Rohingyas.
«La situation complexe demande une plus grande compréhension de la part de la communauté internationale»
Htin Lynn, Ambassadeur birman auprès du Conseil des droits de l’homme
La Birmanie se dissocie de la mission
Lors des discussions précédant l’adoption du texte à l’ONU, l’Ambassadeur Htin Lynn a déclaré que son gouvernement se dissociait du projet de résolution. Il estime que la création d’une mission attiserait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Dans une déclaration datant du 13 mars, il a également précisé que «la situation complexe demande une plus grande compréhension de la part de la communauté internationale». D’autres pays tels que l’Inde, la Chine et les Philippines se sont eux aussi dissociés de la mission, la jugeant prématurée.
A l’occasion de sa première année au pouvoir, Aung San Suu Kyi a prononcé le jeudi 30 mars un discours lors duquel elle a rejeté la résolution de l’ONU, «car elle ne correspond pas aux réalités du pays […] Nous devons travailler sur nos propres problèmes» a-t-elle déclaré. Des tentatives de réforme constitutionnelle ont déjà eu lieu par le passé, tandis que les enquêtes menées par le gouvernement birman depuis 2012 n’ont pas été jugées satisfaisantes par les ONG. «La réticence dont fait preuve le gouvernement est un signe qu’il n’est pas ouvert et ne veut pas coopérer. Nous l’incitons à changer sa position et à collaborer pleinement avec la mission d’établissement des faits» exhorte Iniyan Ilango, responsable du Programme Plaidoyer à FORUM-Asia.
Une transition démocratique incomplète
Le nouveau gouvernement civil doit composer avec une armée très puissante puisque 25% de militaires occupent encore le Parlement birman. Les ministères de la défense, des frontières et de l’intérieur leur sont attribués automatiquement. Aung San Suu Kyi, qui affirme faire de la réconciliation nationale sa priorité, n’a pour ainsi dire aucun pouvoir décisionnel sur les opérations militaires. Elle a souvent été critiquée pour son silence sur la question des Rohingyas. «Là où elle a échoué, c’est qu’elle n’a pas pris position» regrette Camille Cuisset, coordinatrice de l’association Info-Birmanie.
«La résolution adoptée est raisonnable d’un point de vue extérieur, mais vue de l’intérieur elle est illusoire car dans l’état actuel des choses, la Constitution ne peut pas être amendée sans l’aval des militaires. De plus, l’opinion publique n’est pas encore prête, en Birmanie, à se mobiliser pour les Rohingyas»
Bénédicte Brac de la Perrière, chercheuse au CNRS
La marge de manœuvre de la lauréate du Prix Nobel de la paix 1991 reste cependant limitée. «La résolution adoptée est raisonnable d’un point de vue extérieur, mais vue de l’intérieur elle est illusoire car dans l’état actuel des choses, la Constitution ne peut pas être amendée sans l’aval des militaires. De plus, l’opinion publique n’est pas encore prête, en Birmanie, à se mobiliser pour les Rohingyas, explique Bénédicte Brac de la Perrière, chercheuse au CNRS Centre Asie du Sud-Est. Tant que les militaires auront la main mise sur les décisions, Aung San Suu Kyi est bloquée.»
Bien que le texte adopté prévoie d’envoyer la mission «en urgence», aucune date n’a encore été fixée à ce jour. Difficile de savoir si les 29 paragraphes de cette résolution historique seront respectés par l’armée birmane, en contrôle des accès aux zones sensibles. Un premier compte-rendu oral est attendu au Conseil des droits de l’homme en juin prochain. Un rapport complet est prévu dans une année.