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“Ici, le rythme de vie n’est pas effréné”

Le district de Morges compte environ 90'000 habitants, dont 17'000 en ville de Morges. ©Charlotte Buser

Couvert de ses célèbres tulipes au début du printemps, surveillé par le Mont Tendre, bordé par le Léman, le district de Morges fait de la lenteur sa philosophie touristique. Au-delà d’un slogan marketing, comment se pratique le “Slow Tourisme ? Qui sont les adeptes, les acteurs, et quels sont les bienfaits de cette pratique pour l’environnement ? Reportage dans le canton de Vaud.

Il y a toujours ce moment magique. Que l’on soit pendulaire, voyageur ou que l’on rende visite à un ami, observer le lac Léman depuis la fenêtre du train est un moment à couper le souffle. Cette immense étendue d’eau, avec ses reflets glacés de montagnes. Aujourd’hui, le ciel est dégagé, le mont Blanc dit bonjour en arrière-plan, le Grammont et les Cornettes de Bises se dégarnissent gentiment mais sûrement de leur dernier manteau blanc.

Le réseau ferroviaire suisse compte environ 5’200 kilomètres de voies. ©Charlotte Buser

Depuis 2019, Morges et sa région est la première destination de Suisse à s’inscrire en tant que “Slow Destination”, ou destination lente. Une forme de tourisme qui invite le voyageur à prendre son temps, parcourir des distances plus courtes, apprendre davantage sur la culture locale et à minimiser l’impact négatif sur les communautés régionales et l’environnement. On mise sur la qualité plutôt que la quantité. Une sorte de réponse au tourisme de masse.

Depuis 2019, le district de Morges fait de la lenteur sa philosophie touristique. ©Morges Région Tourisme

La capitale du district de Morges reste une porte d’entrée optimale pour démarrer mon aventure “Slow” de quelques jours (voir itinéraire à la fin de l’article), et le marché local le meilleur moyen d’y rencontrer les habitants.

“Paisible et dynamique” 

À deux pas du lac Léman, située en vieille ville et dominée par un temple majestueux, la Grand-Rue piétonne accueille les artisans de la région deux fois par semaine pour le marché. “C’est un district à la fois urbain avec Morges, campagnard et nature avec le parc du Jura Vaudois, mais aussi dynamique grâce à de nombreuses sociétés pharmaceutiques qui s’y sont implantées ces dernières années”, raconte Alexandre Cruchet, habitant de Denens depuis 30 ans, un village à quelques kilomètres de la capitale.

Tous les mercredis et samedis matins, la Grand-Rue piétonne de Morges accueille le marché. ©Charlotte Buser

“C’est une région paisible car nous ne sommes pas envahis par les touristes. Ici, le rythme de vie n’est pas effréné comme à Genève ou à Lausanne. Pourtant, nous avons des villages médiévaux magnifiques tels que Saint-Prex, qui n’ont rien à envier à Gruyères ou Saint-Ursanne et qui se rejoignent directement à pied depuis Morges”, raconte Emilie Guisolan, habitante de Tolochenaz.

Le village médiéval de Saint-Prex se rejoint à pied depuis Morges par le sentier de la Truite. ©Charlotte Buser

Effectivement, les rives du lac Léman se longent en fauteuil roulant, à pied, à roller, ou à vélo sur des kilomètres et des kilomètres. Les rives sont larges, la cohabitation entre les différents utilisateurs se passe bien. En une heure et demie de marche, Saint-Prex se laisse facilement atteindre. Entre le lac et les montagnes en face, il n’y a pas plus suisses comme compagnons de route. Une activité accessible à tous, qui m’en met plein la vue et qui ne coûte rien. Hormis les fritures de perches fraîches du Léman, dégotées sur le marché un peu plus tôt et qui accompagnent à merveille cette matinée de randonnée.

Le vieux train vert

Retour à la gare de Morges pour la suite de la journée avec une envie de prendre de la hauteur. Pour rejoindre le pied du Jura, le BAM (train régional) est le candidat idéal. Un petit train vert, dont les portes s’ouvrent encore à la main et les sièges vous font un peu mal au derrière, qui zigzague entre les vignes, le château de Vufflens et les champs de blé. Historiquement, la construction de cette ligne de chemin de fer reliant Bière à Morges fut capitale pour le pays, en raison de l’importance de la place d’armes de Bière en 1873 déjà.

Déjà en 1873, le BAM transportait les militaires à la caserne de Bière. ©Charlotte Buser

Halte à Yens, un petit village avec ses vignobles à perte de vue et ses habitants, les “Fumas”. Au 17e siècle, des conditions météorologiques catastrophiques détruisirent la quasi-totalité des récoltes. Pour se nourrir, les villageois cueillirent des glands et les firent brûler à la cheminée, ce qui laissa échapper une épaisse fumée. C’est de cet épisode que naquit le surnom des habitants de Yens qui perdure encore aujourd’hui.

Chasselas et cetera

Voyager lentement, c’est aussi prendre le temps d’aiguiser ses sens. Ma première observation : il est difficile de faire un kilomètre dans le district de Morges sans tomber sur un domaine viticole ou une cave. “Le chasselas coule dans les veines des habitants, on se retrouve vite un verre de vin à la main malgré soi”, comme m’expliquait un peu plus tôt Emilie Guisolan au marché. L’oenotourisme reste un pilier du tourisme du district. De nombreux vignerons accueillent les curieux d’ici et d’ailleurs, notamment lors des Caves Ouvertes Vaudoises, un événement qui attire la foule, ou organisent des balades gourmandes dans les vignobles.

Pour le processus de vinification du Chasselas, six mois sont nécessaires. ©Charlotte Buser

Un peu plus loin dans le village de Yens, Jean-Daniel et Sylvie Coeytaux m’invitent pour une dégustation au sein de leurs dix hectares de vignes. “La lenteur, c’est la définition même du métier de vigneron. Nous sommes les candidats idéaux pour proposer le ‘Slow Tourisme'”, plaisante Jean-Daniel Coeytaux. Six mois sont en effet nécessaires pour le processus de vinification du fameux Chasselas.

“De la cueillette au pressage, à l’extraction du jus, au passage dans la cuve et au nettoyage des particules… Puis le jus part en fermentation, et le sucre se transforme peu à peu en alcool. Il faut ensuite, évacuer les lies avec quelques transvasages. On pré-filtre, puis on filtre, et on le met en bouteille”, décrit Jean-Daniel Coeytaux.

Vignerons de père en fils, le tourisme lent et respectueux du climat lui parle, sa profession étant à 100% tributaire de la météo. “On vendange toujours de plus en plus tard en raison du réchauffement climatique. Cette année, ce sera probablement en octobre”, dit-il avec une pointe de tristesse.

De nombreux sentiers dans les vignobles permettent de combiner visite de cave et randonnée. ©Charlotte Buser

Dégustation du chasselas : un vin frais, fruité, friand, qui peut porter à confusion avec le fendant. “Evidemment, puisqu’il s’agit du même cépage. Beaucoup de gens ne le savent pas”, explique Jean-Daniel Coeytaux. Actifs depuis 30 ans dans le domaine du tourisme, Jean-Daniel et Sylvie Coeytaux ressentent une évolution dans les habitudes des touristes : “Avant, les voyageurs voulaient voir un maximum de choses en une journée. Désormais, le voyageur recherche avant tout l’expérience, prendre le temps de déguster, et cette proximité avec les artisans locaux”.

La lenteur, c’est la définition même du métier de vigneron

Sylvie et Jean-Daniel Coeytaux, vignerons à Yens ©Vins de Morges

Le petit train vert me ramène à mon logement en ville de Morges, chez un ami qui habite dans la région depuis longtemps. Dans le district, de nombreux hébergements s’offrent aux voyageurs. Les économes et les aventureux apprécieront de se réveiller les pieds dans l’eau aux campings aux bords du Léman. Ceux qui recherchent un contact privilégié avec l’habitant peuvent envisager les chambres d’hôtes allant de la simple chambre à l’appartement privatisé. Enfin, les amateurs de luxe apprécieront des hôtels avec vue sur le lac et les montagnes environnantes.

Pour cette première soirée, un papet vaudois est cuisiné. La saucisse aux choux mijote pendant une heure sur un lit de pommes de terre et de poireaux, avant que le tout ne soit arrosé de crème juste avant d’être servi. Cette spécialité régionale s’inscrit parfaitement dans la philosophie “Slow”.

Retour 400 ans en arrière

Une autre histoire familiale m’attend le lendemain à nouveau au pied du Jura, le long de la rivière Morges. Après une petite heure de vélo, je rejoins le Moulin de Sévery, la dernière huilerie artisanale de Suisse. Depuis six générations, la famille Bovey détient un savoir-faire ancestral en tant qu’artisans spécialistes dans l’huile de noix. Le canton de Vaud est le plus gros producteur de noix de Suisse avec environ 25’000 noyers à l’heure actuelle.

La gamme des produits du Moulin de Sévery comporte près de 70 références allant de l’huile au vinaigre, en passant par la moutarde. ©Charlotte Buser

Quand j’entre dans le lieu, une odeur chaude, grillée, un peu amère, flotte dans l’air me chatouillant les narines. Des grosses machines tantôt en bois, tantôt métalliques, semblent être présentes depuis un moment déjà. Un moulin, dont la roue tourne comme dans les dessins animés. Des artisans pressent, raclent… le tout à la main.

Historiquement, le moulin avait un rôle social important. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale dans le canton de Vaud, chaque habitant y apportait sa matière première pour pouvoir les transformer en denrées alimentaires : par exemple, du blé pour fabriquer de la farine pour le pain, ou encore des fruits pour en faire du jus grâce aux pressoirs. Le moulin était un des seuls lieux de rencontre du village avec l’église et l’école.

Depuis 2020, l’huile de noix vaudoise est protégée par une appellation d’origine protégée (AOP). ©Charlotte Buser

C’est dans cette même perspective de rencontre et de partage que Jean-Luc Bovey accueille aujourd’hui les voyageurs à Sévery : “J’aime accueillir les gens au moulin car on leur remet la terre sous les pieds. Le terroir et le maintien des traditions sont absolument fondamentaux, mais aussi la prise de conscience du produit que l’on a entre les mains. C’est ça l’essence même du ‘Slow Tourisme‘”. 

Depuis 2020, l’huile de noix vaudoise bénéficie d’une appellation d’origine protégée (AOP), un label qui défend l’authenticité d’un produit et qui est également reconnu par l’association Slow Food Suisse. Prendre le temps de manger et de déguster : le concept “Slow Food” défend la qualité, le goût et la santé des produits, tout en veillant à une rémunération juste des producteurs. Ce mouvement, lancé en Italie dans les années 80 en réaction au fastfood, s’oppose à ces repas bon marché, riches en graisses saturées et en sucre, et néfastes pour l’environnement en raison, notamment, d’emballages excessifs.

De retour au Moulin. Pendant une trentaine de minutes, Cédric Morlet, artisan huilier, broie les cerneaux de noix dans un hachoir à viande, pour faire ressortir les premières gouttes d’huile. Puis, le tout est cuit dans un vieux chaudron durant une vingtaine de minutes. Lorsque la vapeur d’eau disparaît, survient alors la torréfaction, soit le moment qui donne du goût et de la saveur à l’huile.

Certaines étapes de la fabrication de l’huile de noix se font encore à la main. ©Charlotte Buser

Après il est temps de passer au pressoir. “Je ne regarde jamais l’heure, je regarde ce qui se passe dans le chaudron. Je fais tout aux ressentis, c’est quelque chose qui se perd dans une société où tout s’accélère”, déclare Cédric Morlet, artisan huilier depuis trois ans.

Ici, le produit est travaillé dans sa totalité. Une fois l’oléagineux pressé, les coquilles de noix sont brûlées pour faire du chauffage à distance. Le nillon de noix – le sous-produit qui reste une fois l’huile pressée – est utilisé pour l’engraissement du bétail.

La prise de conscience par le voyageur du du produit qu’il a entre les mains, c’est ça l’essence même du “Slow Tourisme”

Jean-Luc Bovey, artisan huilier et directeur du Moulin de Sévery ©Charlotte Buser

À pattes et à bicyclette

Cette troisième et ultime journée en mode “Slow” se vivra de manière sportive, le casque sur la tête, les souliers à clip au pied. Dans le district de Morges, il est possible d’emmener gratuitement son vélo dans les trains régionaux, élément plutôt rare en Suisse. Départ de l’itinéraire du jour à l’Isle, à côté de la rivière du même nom, et du château qui arbore des jardins à la française avec un style symétrique et rigoureux. Avant d’entamer une quarantaine de kilomètres, une spécialité villageoise, la mousse au jambon, vient donner un coup de peps.

Je rejoins rapidement Montricher au pied du Mont Tendre, village hôte de la fondation Michalski. Bâtiment à l’architecture contemporaine, l’endroit est dédié à la promotion de la littérature et de l’écriture. Il est même possible de résider dans une chambre sur pilotis pour y rédiger son livre. Une impressionnante bibliothèque sur cinq étage avec vue sur le Léman accueille également les étudiants ou les passionnés de lecture.

Les coups de pédales se poursuivent dans des boulevards entre les vignes, les champs de blé, et parfois le long de la Morges. Dans les descentes, on bénéficie d’une vue plongeante sur lac. La région est vallonnée, les dénivelés s’enchaînent comme dans un grand huit et traversent les petits villages pittoresques comme Saint-Livres ou Colombier VD.

Comme dernière halte de ce tour à vélo, les jardins du château de Vullierens me semblent obligatoires car le district de Morges est connu loin à la ronde pour ses floralies, des manifestations florales dédiées à l’exposition et à la célébration des fleurs. Les tulipes sont célébrées au début du printemps, notamment grâce à la célèbre “fête de la tulipe” de Morges. Aux premiers jours de l’été, comme maintenant, ce sont les iris, les pivoines et les rosiers qui explosent de toutes les couleurs dans ce jardin accompagné d’une centaine de sculptures contemporaines.

La philosophie du “Slow Tourisme” invite le visiteur à considérer le déplacement comme faisant partie intégrante du voyage. Pour ne pas polluer, autant utiliser ses pieds ou son vélo (voir encadré). Ces deux moyens de transport permettent une exploration en profondeur. On peut ainsi voir des détails architecturaux, se rendre compte de la topographie des lieux, sortir des sentiers battus, entendre le chant des oiseaux, sentir les odeurs de la nature, se dépenser physiquement ou encore s’arrêter spontanément dans une ferme déguster des produits locaux comme la tomme fleurette.

L’emprunte carbone du tourisme est surtout due au transport

Uneétude publiée dans le magazine Nature met en lumière plusieurs données préoccupantes. Le tourisme représente 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre : c’est l’équivalent de 4 gigatonnes de CO2 libérées dans l’atmosphère chaque année. Cela correspond à environ 100 fois les émissions émises par la Suisse en 2022. La majeure partie de l’empreinte carbone liée au tourisme provient du transport. En effet, il est facile, rapide et relativement peu coûteux de se déplacer, ce qui peut créer des dilemmes. L’avion est le moyen de transport le plus polluant : un aller-retour entre Genève et New York génère deux tonnes d’équivalent CO2, soit la même quantité que parcourir 20’000 kilomètres en voiture pour quatre personnes.

Il faut compter environ deux heures et demie pour profiter de cet itinéraire de 43 kilomètres et de 543m de dénivelé positif et négatif. ©Charlotte Buser via Suisse Mobile

Dépaysée près de chez soi

Lors du voyage de retour à la maison, je prends le temps d’échanger par téléphone avec Camille Marion, auteure du blog de voyage “Lève l’encre” dédié au “Slow Tourisme” sur son expérience personnelle dans le district de Morges : “Découvrir Morges en tant que vaudoise, c’est la réelle illustration d’une dimension qui me tient à cœur dans le Slow Tourisme : on peut vivre le dépaysement à deux pas de chez soi”.  L’habitante d’Avenches ajoute : “Il s’agit pour moi du seul moyen d’aligner notre envie de dépaysement à la nécessaire prise en compte des enjeux environnementaux”.

Découvrir Morges en tant que vaudoise, c’est la réelle illustration d’une dimension qui me tient à cœur dans le “Slow Tourisme” : on peut vivre le dépaysement à deux pas de chez soi

Camille Marion, auteure d’un blog consacré au “Slow Tourisme” ©Camille Marion

Ce dernier échange conclut gentiment cette aventure “Slow”. Une expérience réellement lente, qui fait réaliser ô combien le district de Morges, mais aussi globalement la Suisse, se prête au “Slow Tourisme”, notamment grâce à notre réseau de transports en commun, nos 15’000 kilomètres de voies cyclables, et nos 65’000 kilomètres de chemins pédestres. On peut voyager confortablement sans avoir besoin de la voiture.

Les paysages suisses sont variés, allant de la montagne au lac, en passant par les pâturages verdoyants. Ces panoramas époustouflants encouragent les visiteurs à ralentir, à pratiquer des activités en plein air et à apprécier la beauté de la nature environnante ce qui est l’essence même du “Slow Tourisme”.

Certains recoins, comme le district de Morges, restent magiques et préservés du tourisme de masse. Les rencontres avec les artisans apportent de l’authenticité, du bien-être, de la profondeur au séjour. On prend réellement conscience des lieux que l’on visite, du produit que l’on est en train de déguster. La tendance de la décélération émerge dans notre société actuelle, l’avenir nous dira si cette pratique fera davantage d’adeptes. Pour méditer sur ce sujet, deux heures et quart de trajet, deux bus, deux trains, car oui : le tourisme lent se pratique jusqu’au moment où on met la clé dans sa serrure pour rentrer chez soi.

Les différents points d’intérêts se rejoignent rapidement dans le district de Morges. ©Charlotte Buser
Le “Slow Tourisme” n’est pas incompatible avec les petits budgets. ©Charlotte Buser

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“La nécessaire refondation du tourisme passe par le ‘Slow'”

Depuis 2002 déjà, Dr. Matos-Wasem, professeur à la HES-SO en tourisme de Sierre, s’intéresse au “Slow Tourisme”. Son fort intérêt pour cette pratique est parti de l’impression que les gens reproduisent lors de leurs vacances les mêmes comportements de la vie quotidienne, pour ne pas dire les mêmes travers, tels que le stress, la vitesse et l’impatience. Interview.

Dr. Matos-Wasem a déjà publié quelques études scientifiques sur le “Slow Tourisme”. ©HES-SO Valais

En général, sans parler spécifiquement du “Slow tourisme” , tendons-nous vers une décélération de nos modes de vie frénétiques ?

Depuis longtemps, les philosophes et les penseurs se penchent sur la question du temps. Des concepts comme la dromologie, qui étudie l’impact de la vitesse sur les sociétés modernes, et “l’écologie du temps” ont émergé pour nous aider à échapper à cette accélération. Une partie croissante mais encore minoritaire de la population est de plus en plus sensible aux enjeux liés à la vitesse et à l’accélération. La pandémie de Covid-19 a contribué à ce changement, tout comme l’émergence des générations Y (les milléniaux) et Z, qui ont une relation différente au travail par rapport aux baby-boomers. La génération Y recherche un meilleur équilibre entre travail, vie familiale et loisirs, tandis que la génération Z valorise moins le travail et est plus à l’aise avec l’intégration des trois activités précitées. La quête de sens gagne en importance, et on observe même des signes de déconnexion numérique. Les loisirs et les voyages ne sont pas en reste.

Quelle est la définition scientifique du “Slow Tourisme” ?

La définition du “Slow Tourisme” n’est pas encore bien établie, mais on peut le caractériser comme une décélération de l’activité touristique sur le lieu de séjour (en termes de mobilité, d’hébergement et d’alimentation), ainsi que dans le trajet vers la destination de vacances. Le “Slow Tourisme” repose sur plusieurs principes fondamentaux. Il s’agit de prendre son temps pour atteindre un état de détente, ce qui va au-delà des simples activités touristiques et inclut les déplacements. Cela implique souvent un séjour plus long. Il faut viser une immersion harmonieuse dans le lieu, en s’intégrant aux paysages et en interagissant avec les habitants, permettant ainsi de mieux s’imprégner des lieux. Le rythme de vie serait plus en phase avec les rythmes biologiques et circadiens, en utilisant tous nos sens pour contrebalancer la primauté de la vue. Le respect de l’environnement est également essentiel, en mettant l’accent sur la sobriété et la simplicité. Une attention particulière doit être portée à la gastronomie, avec une préférence pour les aliments locaux et en prenant le temps de savourer les repas, ainsi qu’aux moyens de transport, en privilégiant les déplacements lents comme la marche, le vélo ou les transports en commun. Vu l’urgence climatique, il est impératif de tenir compte des déplacements touristiques.

Le “Slow Tourisme” est-il une affaire de riches ?

Le “Slow Tourisme” ne doit pas se limiter à diversifier le secteur touristique en devenant un produit de niche pour les sociétés occidentales recherchant la singularité sociale. Les offres de niche, par leur rareté, ont tendance à être coûteuses. Le “Slow Tourisme” devrait finalement imprégner l’ensemble du secteur touristique. Cela entraînerait une hausse des prix du tourisme en général, et probablement une réduction de la fréquence et de l’intensité des voyages. La question de la justice sociale se pose, car cela nécessiterait plus de temps et d’argent. Il est important de rappeler que le tourisme est déjà intrinsèquement inégalitaire, avec seulement 10% de la population mondiale pouvant se permettre de voyager pour le loisir.

Est-ce la solution pour préserver l’environnement ?

Avant de considérer le “Slow Tourisme” comme la solution idéale pour protéger l’environnement, il est nécessaire de débattre de l’établissement de quotas dans les villes pour éviter le surtourisme. La question de l’amélioration de la qualité de vie dans nos villes doit aussi être abordée. Des villes plus agréables à vivre et une sensibilisation de la population aux impacts du tourisme pourraient également réduire la propension à voyager et l’impact global du tourisme. Il est crucial d’impliquer toutes les parties prenantes et les acteurs dans cette réflexion nécessaire, suivie de mesures concrètes. Une véritable approche participative permettrait d’augmenter l’acceptabilité de cette transformation inévitable du tourisme. En effet, la refondation nécessaire du tourisme passe par le “Slow Tourisme”.

Par Charlotte Buser
Ce travail journalistique a été réalisé dans le cadre du mémoire de fin d’études du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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