Échangisme, voyeurisme, plan à trois… Une immersion au cœur d’un club libertin pour découvrir les multiples facettes du libertinage et ses pratiques codées. Reportage.
L’entrée est discrète, sans enseigne, éclairée uniquement par une lumière subtile. De l’extérieur, on pourrait penser qu’il s’agit d’une maison ordinaire. Pourtant, ici, pas besoin de frapper: tu pousses la porte et la franchis.
Première visite? Le propriétaire t’en propose une guidée, mais avant cela, passage obligatoire par le vestiaire pour y déposer ton smartphone. Confidentialité oblige. Ensuite, il te conduit à travers les lieux encore vides. Ce club libertin, situé en Suisse Romande, existe depuis une dizaine d’années. Tu commences par le rez-de-chaussée, où se trouvent un bar et une piste de danse, avec au centre une barre de pole dance.
À l’étage, l’ambiance change radicalement: lumière tamisée, odeur d’huiles essentielles, et plusieurs chambres équipées de lits en cuir. Dans une pièce, une croix de Saint-André et des menottes; dans une autre, de l’huile de massage.
Ta visite se déroule en même temps que celle d’un couple. Ils sont intimidés, gênés. C’est leur première fois au club et ça se voit dans leurs gestes. Pendant la présentation des pièces, ils sont troublés à l’idée d’y entrer. Toi aussi.
La dernière chambre est munie d’un quadrillage derrière des lits, permettant de s’y placer en observateurs. «Certains couples viennent juste pour regarder», explique le propriétaire. Si certaines portes se ferment pour plus d’intimité, la plupart restent ouvertes et accessibles à tous, même lorsqu’elles sont occupées.
Il est encore tôt, à peine 21 heures. Il est temps de redescendre vers le bar et de prendre un verre. Ce soir, le club libertin propose une soirée réservée aux couples.
Cela permet de renforcer les liens et de retrouver des sensations que l’on croyait perdues.
Une cliente du club
Le fumoir sans tabous
«C’est dans le fumoir que se trouvent les conversations les plus animées», confie le propriétaire. Situé à l’extérieur, c’est un espace avec des murs en bois, mais il ne fait pas froid si tu te situes près du poêle. Un premier couple fait son apparition, bientôt suivi par d’autres. La femme, vêtue de porte-jarretelles, est accompagnée d’un homme en pantalon et chemise. Ils ont la trentaine, sont mariés, et visiblement à l’aise. «Ce n’est pas notre première fois ici», admet la femme en évoquant ce qui l’attire dans le libertinage: «Cela permet de renforcer les liens et de retrouver des sensations que l’on croyait perdues.»
Selon elle, la moyenne d’âge des habitués du club oscille entre 30 et 50 ans. Le propriétaire confirme: «Nous accueillons des binômes issus de tous milieux sociaux et de diverses formes de relations. Chacun vient pour des raisons qui lui sont propres: par curiosité, pour découvrir de nouvelles pratiques, ou même pour éviter l’adultère.» Ce soir, il y a une vingtaine de duos présents.
Le couple poursuit en décrivant une soirée typique au club: «C’est assez classique; on danse et on discute. Les échanges sont sans tabous et plus naturels qu’en boîte de nuit. Puis, parfois, nous montons à l’étage…»
La question te brûle les lèvres : que se passe-t-il à l’étage? «Le libertinage est un mode de vie qui englobe de nombreuses pratiques sexuelles», explique un autre habitué. Parmi les plus courantes figurent l’échangisme, qui consiste à échanger ses partenaires pendant l’acte, et les plans à trois. Il y a aussi l’exhibitionnisme, où l’on se laisse observer lors d’un rapport, et le voyeurisme, qui consiste à observer les autres. Le libertinage inclut également le BDSM, qui explore les dynamiques de pouvoir et de douleur. Le premier étage est donc l’espace du club dédié à ces différentes pratiques.
Le libertinage est un mode de vie qui englobe de nombreuses pratiques sexuelles.
Un client du club
Porte-jarretelles et consentement
Autour de la table du fumoir, les discussions deviennent plus animées, sans aucun tabou. Tu es étonnée par la diversité des sujets, mais surtout par la façon dont tu peux aborder toutes les thématiques: sexualité, pratiques, vêtements. «Je me sens libre de porter ce que je veux! En boîte, si je m’habillais comme ça, on se permettrait de me toucher sans mon autorisation», s’exclame une femme en désignant sa robe courte. Dans ce club, le consentement est primordial, mais surtout codifié. «En général, c’est la femme qui fait le premier pas lorsqu’un couple est approché. Si c’est l’homme qui engage, c’est mal perçu», raconte un habitué.
Il continue: «À l’étage, si quelqu’un désire rejoindre un couple ou un groupe, il suffit de faire un signe. Si la réponse est négative, il n’y a aucune négociation possible.»
L’accès au premier étage est interdit aux hommes seuls sans compagne. Le propriétaire explique: «Avec eux, il y a souvent eu des problèmes, ils ne respectent pas les règles.» Il ajoute que certains hommes viennent parfois au club avec des prostituées ou des escortes juste pour pouvoir accéder au premier, ce qui a renforcé l’interdiction.
Le règlement inclut également un code vestimentaire: les femmes doivent porter des jupes ou des robes, et les hommes sont tenus de porter un polo ou une chemise. Bien que ces exigences ne dérangent pas la majorité des habitués présents, une cliente exprime cependant son avis: «Ces règles renforcent les dynamiques genrées au sein du couple hétérosexuel et restreignent une forme de liberté.»
Quand 2 devient 4
Plus tard dans la soirée, un couple t’interpelle. «Tu es seule ?» Une question lourde de sous-entendus. «Oui, mais je suis ici en tant que journaliste.» Ils sourient: «Tu ne voudrais pas faire du journalisme immersif?» Le binôme rit ensemble. Est-ce une plaisanterie ou sont-ils sérieux? Un peu des deux, sans doute. Ils semblent enivrés, ou peut-être est-ce juste l’atmosphère de la soirée. Tu déclines et ils s’éloignent. Soudain, un élément te frappe: tu réalises que tu es la seule personne solitaire de la soirée.
En effet, dans ce club, les gens ne sont jamais seuls, ils respirent la dualité. Chaque femme est accompagnée de son partenaire masculin et inversement. Finalement, le «tu», la deuxième personne, semble presque inexistant. Cette dynamique de binôme se retrouve dans chaque regard, chaque échange. Le premier couple interviewé témoigne: «Lors de la pratique du libertinage en couple, l’alchimie à quatre n’est pas automatique. Quand un duo rencontre un autre, chaque personne doit ressentir une connexion individuelle avec l’autre.»
Définir des limites claires est essentiel pour passer une soirée agréable. Il ajoute: «Le plus important est de communiquer au sein du binôme afin d’éviter les malentendus.»
Au final, au cœur de tous ces codes qui régissent ces pratiques, une règle d’or rythme la soirée du début à la fin: «Tout ce qui se passe au club reste au club.»
Par Manon Savary
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours «Atelier de Presse I», dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.