Une nuit à l’écoute des chauves-souris

à l'écoute des chauves-souris
Anouk Lettman pointe un vieil arbre normalement habité par la chauve-souris. (Photo: Alison Besse)

Seuls mammifères volants existants sur terre, les chauves-souris sont des espèces menacées en Suisse. À Bex, Anouk Lettman essaie de capter les derniers ultrasons émis par ces animaux avant leur retraite hivernale.

La nuit est tombée depuis quelques heures au Grand Marais de Bex. Dans l’obscurité, seul le craquement des branches sous nos pas rompt le silence. Grâce aux lampes frontales, on suit un chemin en terre qui traverse la forêt. Une ambiance presque mystique où l’on pourrait s’attendre à croiser la route d’une sombre créature. Dans le froid du début d’hiver, on avance lentement lorsque Anouk Lettman pointe le ciel avec son capteur à ultrasons. Elle s’arrête, une chauve-souris semble avoir survolé le marais. On ne la voit pas, mais on l’entend, un martèlement comme un coup frappé à la porte. « On est chanceuses, elles se font plutôt rares en cette période », souligne la biologiste. En effet, ce sera l’unique son perceptible ce soir, la plupart des chauves-souris ayant déjà entamé l’hibernation.

Exemples de sons émis par les chauves-souris

La Pipistrelle de Nathusius. Crédits : Anouk Lettman
La Pipistrelle. Crédits : Anouk Lettman
La Barbastelle. Crédits : Anouk Lettman

Un animal difficile à étudier

Ces petits mammifères, c’est le quotidien d’Anouk Lettman, spécialiste des chauves-souris et responsable de l’antenne régionale pour le Valais. Si elle avoue avoir travaillé sur les chiroptères un peu par hasard, elle trouve aujourd’hui cet animal passionnant : « Les études sur les chauves-souris sont tardives, on a encore tellement de choses à découvrir », explique-t-elle en marchant. « Par exemple, on ne connaît pas vraiment leur manière de se reproduire, ni leurs déplacements saisonniers ». Un champ de recherche encore peu exploité qui laisse entrevoir de belles surprises.

On a encore tellement de choses à découvrir.

Anouk Lettman, spécialiste des chauves-souris, responsable de l’antenne valaisanne
Capteurs à ultrasons. (Photo: Alison Besse)

Anouk avance d’un pas décidé à travers le Marais qu’elle connait presque par cœur. Elle y vient de temps en temps pour effectuer des captures et écouter les chauves-souris. Pointant un arbre à gauche, puis un autre à droite, elle explique comment déployer des filets à travers la forêt pour récupérer les mammifères. Ces missions nocturnes lui permettent de recenser et de vérifier l’espèce, le sexe et l’état général des chauves-souris: « C’est un des seuls moyens que l’on a pour les contrôler, la chauve-souris est très compliquée à suivre. » Capteur d’ondes toujours en main, elle s’arrête quelques secondes avant de repartir. Fausse alerte.

La lumière, source de danger

La COP16 s’est achevée le 2 novembre dernier à Cali, en Colombie. La biodiversité était au centre des discussions, avec pour objectif de « faire la paix avec la nature ». Une volonté de préserver les écosystèmes et de sauver les espèces menacées. La Suisse est également concernée par la problématique, puisqu’on retrouve la chauve-souris sur la liste des animaux menacés d’extinction.

Si aujourd’hui la population des chauves-souris est plutôt stable, elle n’en reste pas moins en danger. Tout en observant les alentours, Anouk explique qu’il y a quelques années, l’utilisation des pesticides a entraîné une chute drastique de leur population. Le déboisage a aussi impacté la survie de l’animal qui se déplace en suivant les couloirs naturellement tracés par les haies ou les arbres: « La suppression de ces repères d’orientation leur fait faire de grands détours. » Beaucoup d’espèces s’abritent dans les arbres morts, derrière les écorces décollées: « Si on ne laisse pas vieillir les forêts, les habitats se feront rares », ajoute-t-elle. À l’heure actuelle, l’enjeu majeur auquel Anouk et son équipe font face, c’est la pollution lumineuse: « La lumière est un problème qu’on n’a pas encore résolu. » Lorsqu’il y a trop de luminosité autour d’un gîte, les chauves-souris ne pourront pas y aller. Actuellement, des plans lumineux sont mis en place pour enlever certains lampadaires ou les remplacer par des lampes à détecteur de mouvement. Les LED étant meilleur marché, ce sont « des changements économiquement bénéfiques pour les communes », souligne Anouk.

Ces changements sont économiquement bénéfiques pour les communes.

Anouk Lettman

Le chemin mène au bord d’un étang qu’Anouk scrute attentivement grâce au faisceau de sa lampe frontale: « Là, elles volent proche de l’eau, pour attraper le maximum d’insectes possible. » L’animal, qui a longtemps été craint, est pourtant très utile: « C’est le seul animal mangeur d’insectes volants qui vit la nuit, il a un rôle très important dans la chaine alimentaire. » Une fonction qui pourrait aussi être impactée par le réchauffement climatique puisque tout le cycle alimentaire risque d’être décalé. Réajustant son bonnet, Anouk précise que le réchauffement climatique amène des hivers moins longs, donc une hibernation écourtée, ce qui pourrait être avantageux pour les chauves-souris, à condition que la nourriture soit au rendez-vous à leur réveil, ce qui n’est pas toujours le cas. Tout en rebroussant chemin, la biologiste explique que « le réchauffement n’est pas encore trop problématique ici, mais à terme, ça pourrait influencer la répartition géographique puisque les espèces remontent vers le nord ».

Chauve-souris - Vespère de Savi
La Vespère de Savi. (Photo: membre du réseau chauve-souris)

Prévenir pour mieux préserver

L’association Réseau chauve-souris Valais assure le suivi des populations afin de les protéger. Travaillant sur mandat cantonal, sa trentaine de membres veille à la préservation de l’animal. Entre le comptage des nouveaux-nés et le repérage des gîtes, l’accent est aussi porté sur la migration, que les membres analysent grâce aux détecteurs à ultrasons: « On en a mis sur les cols alpins, car avec les nouvelles constructions, comme les parcs solaires ou les éoliennes, leur route est perturbée. » Anouk tente de modifier la fréquence sur son appareil, sans succès, les chauves-souris ne sont pas de sortie ce soir. « On fait aussi un maximum de prévention », précise-t-elle, le regard dirigé vers la cime des arbres. Si une colonie de chiroptères a élu domicile chez un particulier ou dans un bâtiment public, Anouk essaiera de convaincre la personne de les garder: « Ce ne sont pas des rongeurs, ils ne feront aucun dégât », assure-t-elle. Afin d’éduquer la population à ce petit animal, des nuits de captures sont organisées en été: « On a toujours un peu de monde, même si ce sont souvent des gens qui aiment la nature et qui la connaissent déjà. »

L’animal s’est fait discret ce soir. Sans doute hibernant dans une grotte, il ne ressortira qu’au printemps, quand les températures augmenteront à nouveau.

Le saviez-vous ?

Les chauves-souris produisent toutes des cris (ultra-sons) aux tonalités différentes. Pour avoir la chance de les entendre, il faut donc régler le capteur d’ondes sur la bonne fréquence.

Par Alison Besse
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse I », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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