«C’est sans aucun doute l’histoire d’amour la plus authentique, passionnante et prolifique de l’histoire de l’art». Ainsi définis par l’historienne de l’art Lucia Pesapane, Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle occupent les galeries du Grand Palais de Paris, fraîchement rénovées, pendant six mois.
Elle était aristocrate, lui d’origine modeste. Elle créait la couleur, la douceur et la féminité, lui le noir, la machine et l’agressivité. Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle ont beau tout illustrer d’un profond antagonisme, leur histoire d’amour a conduit à l’une des coopérations artistiques des plus abouties dans l’histoire de l’art. Aujourd’hui exposés conjointement au Grand Palais de Paris, «Les Bonnie & Clyde» de l’art moderne suscitent l’admiration du public international.
«Un rêve partagé»
Réunir ces deux figures n’a rien d’un hasard. Ils partageaient une vision: celle d’un art vivant, rebelle et participatif, capable de parler à tous. Le parcours, construit en neuf sections, met en scène leurs projets phares, de la gigantesque Hon à La Fontaine Stravinsky. «C’est l’histoire d’un rêve partagé», résume Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition. Un rêve artistique d’une modernité saisissante, dans un monde en quête de sens, d’engagement et de liberté créative. Des thématiques «qui parlent à toutes les générations et expliquent le succès de l’exposition» selon Rita Cusimano, commissaire associée. «Nous y recevons énormément de familles avec des enfants, puisque tout ce qui bouge et fait du bruit les rend curieux», ajoute-t-elle.
Au-delà de la contemporanéité des thématiques, trois anniversaires sont célébrés à travers l’événement: les cent ans de la naissance de Tinguely, les soixante ans des Nanas de Saint-Phalle, et la première exposition depuis la réouverture du Grand Palais après d’importantes rénovations.
La Suisse en filigrane
Jean Tinguely, né à Fribourg, reste profondément lié à la Suisse. Son esthétique emprunte à l’esprit dada, aux retables religieux, et à la tradition horlogère. Quant à Niki de Saint Phalle, naturalisée suisse en 1971, elle y a trouvé refuge et reconnaissance, offrant une grande partie de ses œuvres à Fribourg et à Bâle. Leur union, même après leur séparation, reposait sur une promesse commune: préserver l’œuvre de l’autre. «C’était un mariage artistique, une alliance pour l’éternité», explique Rita Cusimano. En témoignent le Musée Tinguely de Bâle et l’Espace Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle à Fribourg, créés grâce à Niki. «C’est grâce à leur réseau de mécènes et d’institutions dans l’art en Suisse qu’ils ont ainsi préservé leur patrimoine», ajoute-t-il. Ivan Mariano, directeur du Musée d’art et d’histoire de Fribourg qui a d’ailleurs prêté deux œuvres pour l’occasion.
«C’est grâce à leur réseau de mécènes et d’institutions dans l’art en Suisse qu’ils ont ainsi préservé leur patrimoine».
Ivan Mariano, directeur du Musée d’art de d’histoire de Fribourg
🎙️De Fribourg à Paris avec Ivan Mariano et Lucia Pesapane
Un écho contemporain
Les œuvres du couple résonnent puissamment aujourd’hui. Les machines de Tinguely, inutiles et grinçantes, prophétisent la crise de la société de consommation. «Il posait déjà la question de la machine qui crée, comme on se demande aujourd’hui ce que fait l’intelligence artificielle», observe Lucia Pesapane, historienne de l’art et experte des deux figures. De son côté, Niki de Saint Phalle, avec ses Tirs et ses Nanas, dénonçait les violences, les stéréotypes et prônait la liberté des corps et des esprits. «Elle parlait d’écologie, de féminisme, de solidarité… bien avant que ce soit tendance», conclut-elle.
La création en mode Niki de Saint-Phalle
Rétrospective en quelques dates
- 1925: Naissance de Jean Tinguely à Fribourg, il grandit à Bâle.
- 1930: Naissance de Niki de Saint Phalle à Neuilly-sur-Seine.
- 1956: Niki et Jean se rencontrent à Paris.
- 1960: Début de leur relation amoureuse et artistique.
- 1966: Ensemble, ils créent Hon, Nana géante à Stockholm.
- 1971: Ils se marient pour préserver mutuellement leur héritage artistique.
- 1991: Mort de Tinguely. Niki poursuit leurs projets, comme Le Cyclop.
- 1998: Ouverture de l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle à Fribourg.
- 2002: Niki décède en Californie.
Galerie photos







Par Nicolas Voisard
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « écritures informationnelles », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.
