Lors de la révolution populaire syrienne de 2011, le journalisme est venu à elle comme un moyen de contestation. En exil, elle se livre aujourd’hui sur les difficultés de toucher le public syrien. Interview.
« C’est une culture du journalisme qui a été créée en Syrie par une nouvelle génération », affirme haut et fort Enrico de Angelis, consultant spécialisé dans les médias arabes, au Festival international du journalisme de Perugia. À sa gauche, Kholoud Helmi, 38 ans, acquiesce. Elle est devenue journaliste par conviction, sans formation dans le domaine.
En 2011, lorsque la révolution éclate et que le régime syrien de Bachar El-Assad réprime avec une violence inouïe les manifestants, les journalistes étrangers voient leurs visas refusés.
Kholoud Helmi crée alors un journal en ligne et sur papier, malgré la menace, pour informer les pays extérieurs de la réalité de son pays. Mais aussi pour recréer une chaîne d’informations entre les villes, totalement isolées les unes des autres par le régime.
En exil aujourd’hui en Turquie, son média Enab Baladi (« Les raisins de mon pays » en français, en hommage aux vignes de la région de Damas, ndlr) s’est développé, au point de concurrencer les médias affiliés au régime. Mais atteindre le public syrien est un défi quotidien. Quatre questions à Kholoud Helmi (traduites de l’anglais).
Quels liens entretenez-vous avec le public syrien ?
Notre audience est composée de membres de la diaspora syrienne qui a fui les combats pour se réfugier en Turquie, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou aux États-Unis, par exemple, où habitent des co-fondateurs de notre journal. Mais nous avons aussi des amis ou des personnes intéressées par notre cause qui communiquent avec nous en Syrie.
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Comment faites-vous pour convaincre les Syriens de croire en vos informations plutôt qu’à celles du régime établi depuis des décennies?
C’est dur. Parce que, par exemple, on doit prouver à la population que nous livrons une information avec des sources multiples et avec des points de vue divers. Mais honnêtement, on a quand même une prise de position sur le sujet (des exactions commises par le régime, ndlr). J’ai beaucoup souffert du régime syrien. Je n’ai pas beaucoup de recul quand je parle de lui. Mais ce que l’on dit au public, ce qui nous rend notre information crédible et légitime, c’est qu’elle provient du terrain.
Et il y a aussi les milices et les groupes djihadistes…
On ne critique pas que le régime, mais aussi les groupes armés qui l’imitent, les extrémistes. Ceux qui étouffent le peuple syrien. C’était difficile de rapporter des informations de la ville de Raqqa lorsqu’il y avait Daesh. Nous étions menacés. Nous avions un reporter qui travaillait sous un pseudonyme. Nous n’avons toujours pas révélé son identité.
C’est difficile d’utiliser l’outil de résistance légitime qu’est notre travail de terrain alors que nous sommes combattus. Aujourd’hui, le régime syrien a repris la majorité du pays. Les seuls médias indépendants qui travaillent sur place sont en fait financés directement ou indirectement par le régime.
Vos collaborateurs sont souvent des jeunes encore aux études. Mais est-ce que vous arrivez à convaincre des soixantenaires ou des personnes plus âgées ?
Les jeunes sont les plus faciles à convaincre. Les gens qui ont quitté la Syrie ne comprennent pas forcément pourquoi on a pris position contre le régime. Parce qu’ils sont nés ou ont été élevés en dehors de Syrie. Les personnes âgées se posent plus la question: «pourquoi et de quelle manière faut-il croire à cela ?».
Mais la plupart des Syriens ont souffert, alors ils nous croient. Certains aussi défendent le régime parce qu’ils voient en lui un rempart contre Israël. Mais je ne supporte pas ces discussions, parce que je déteste l’injustice, où qu’elle soit. On parle de crimes contre l’humanité.
Par Geoffroy Brändlin
Crédits photo © Keystone ATS et AP
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Production de formats journalistiques innovants », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.