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Rester chez soi, un privilège de classe?

Seules les sorties pour aller travailler ou pour des raisons de première nécessité comme acheter à manger sont autorisées. © Wikimedia Commons

En Espagne, le coronavirus sévit depuis plusieurs semaines. Le gouvernement a décrété samedi 14 mars le confinement obligatoire de l’ensemble du pays. Alors que la situation est grave, des salariés des secteurs non essentiels continuent de travailler en dépit des risques sur la santé publique.

20 heures. Comme chaque soir depuis une semaine, des applaudissements retentissent depuis les balcons espagnols. Pendant une minute, des milliers de personnes à leurs fenêtres rompent le silence des rues vides pour remercier le personnel soignant. Un hommage symbolique pour celles et ceux qui tous les jours s’affairent à tester, traiter et guérir les malades atteints du Covid-19. Malgré l’engorgement des hôpitaux et la fatigue grandissante. Malgré les risques sanitaires.

Mais de nombreux autres professionnels sont également aux premières lignes, dans l’ombre des applaudissements quotidiens. Postiers, aides à domicile, personnel de nettoyage… Tous œuvrent afin d’assurer à la population les services de première nécessité, sans toujours bénéficier de protections adéquates. En Espagne comme ailleurs, les employés des supermarchés notamment continuent de travailler. David Marrero est salarié dans le centre logistique d’une grande chaîne alimentaire à Valence. Depuis l’annonce du confinement, ses collègues et lui sont surmenés. “En réalité, toutes les mesures ont seulement été prises après le décret. Les premiers jours ont été chaotiques au niveau protocolaire, mais également en termes d’activité. Le travail a augmenté exponentiellement d’un jour à l’autre”, raconte-t-il.

Les classes populaires au front

Et puis il y a les autres salariés. Celles et ceux dont le travail n’est pas absolument nécessaire dans le contexte actuel. Certains télétravaillent. D’autres ont été forcés au chômage technique. Ces dispositions bousculent les modes de vie et engendrent parfois des répercussions économiques non négligeables sur les foyers. Elles permettent toutefois aux travailleurs de ne pas mettre en péril leur santé et celle de la population.

Alors que le nombre de cas de coronavirus dépasse actuellement les 30’000 en Espagne, des citoyens continuent d’aller travailler malgré le caractère non essentiel de leur activité. Cette opératrice d’un centre d’appel de ventes, qui a souhaité rester anonyme, dénonce l’inaction de sa hiérarchie: “Jusqu’à la semaine passée, l’entreprise semblait passive. Le week-end où le gouvernement a annoncé le confinement, nous étions anxieux car nous avions l’impression qui rien n’allait être fait pour nous protéger”. La société, sous-traitée par l’opérateur de téléphonie mobile Vodafone, a finalement mis en place quelques mesures de sécurité. Des gants sont fournis et un siège entre chaque opérateur doit être laissé vacant. “En ce moment nous sommes environ 21 personnes à travailler dans le même département. Ces mesures sont insuffisantes”.

Les manquements aux règles de sécurité touchent également le secteur de la livraison à domicile. Telepizza, multinationale de la restauration rapide, est autorisée à ouvrir ses locaux pour les commandes à domicile. “Selon notre chef, nous faisons un travail utile à la société”, ironise Álvaro García Fernández, livreur pour l’enseigne à Valence. “Les conditions de travail sont déplorables. Nous nous déplaçons de maison en maison, nous touchons les sonnettes avec des gants qui ne sont même pas de bonne qualité. À part nos motos à la fin du service, rien n’est désinfecté”. Concernant les masques le livreur assure que Telepizza met à disposition un masque par personne pour “tous les jours”. Même affirmation d’une employée d’un établissement de La Corogne: “Nous n’avons pas le droit de jeter nos masques et devons les garder pour la journée de travail suivante”. Quant à la passivité de l’entreprise face à la crise sanitaire, le même constat d’un local à l’autre: “Avant l’annonce du gouvernement, aucune mesure n’avait été prise”, affirme Marta Logroño basée à Murcie.

Pas de droit de retrait

Sur la possibilité de se refuser à aller travailler, les interrogés sont unanimes: il s’agit d’une décision délicate. Les syndicats – lorsqu’ils existent – n’arrivent pas toujours à faire pression sur les employeurs ou à convaincre les salariés d’agir. “Les gens ont peur. D’autant plus que par le passé certaines plaintes ont mené à des licenciements”, avoue cette opératrice de télémarketing. Álvaro García Fernández estime qu’il n’a pas le choix: “Je gagne autour de 300 euros par mois. Je ne peux pas arrêter de travailler car j’ai besoin de cet argent. Et si nous arrêtons, ils nous virent”.

Dans ce contexte, peu de salariés peuvent se permettre de refuser de travailler. Rester chez soi pour se protéger n’est pas une alternative donnée à tout le monde. Et alors que le pic de la pandémie en Espagne n’est même pas encore atteint, la gestion de la crise semble déjà se faire aux dépens des plus précaires.

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “journalisme international” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

Cet article est également disponible sur Heidi.news.

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