Presse féminine: quels choix éditoriaux à l’heure du confinement ?

"Et on scrolle..." - illustration de Sarah Gremaud - Vulpo Vulpo (@vulpovulpo)

Suivre sa ligne éditoriale, sans pour autant renforcer les injonctions féminines exacerbées par la crise semble être un vrai challenge. Entre lancements de nouveaux projets, adaptations de sujets et de formats, les défis sont de tailles.  Alors comment la rédaction de Femina, un des seuls médias féminins en Suisse romand, figure de la presse féminine suisse romande, s’organise pour produire du contenu en temps de pandémie?

illustrations de Sarah Gremaud, Vulvo Vulpo @vulvovulpo

 

« Depuis le 30 mars, nous avons lancé une nouvelle newsletter intitulée «L’Antidote du lundi» qui propose un concentré de nouvelles positives pour bien commencer la semaine » explique Juliane Monnin, responsable du site internet Femina.ch. De plus, les contenus multimédias de leur émission de podcasts Tout va bien ont dû s’adapter aux contraintes de la pandémie, puisque les rencontres en face-à-face n’étaient plus possibles. « Ces contraintes nous ont poussées à faire preuve d’encore plus de créativité. »  ajoute Elleen de Meester, journaliste web et une des animatrices dudit podcast.

Concernant la nouvelle newsletter, Juliane Monnin raconte qu’il s’agissait d’une idée qu’elles avaient en tête depuis un moment: « Quand le confinement a débuté, on s’est dit que c’était LE bon moment pour proposer ce genre de contenus. »

Ce projet est perçu par la rédaction comme une sorte d’« anti-blues » pour les internautes, face aux flux médiatiques d’informations anxiogènes liées au coronavirus. – Juliane Monnin

La presse féminine. Un genre journalistique un peu à l’écart des médias d’informations traditionnels, qui essuie bon nombre de critiques, notamment pour sa « fonction sociale idéologique », selon Claude Chabrol et Mihaela Oprescu. À l’annonce du confinement, un bouleversement s’est opéré dans toutes les rédactions. Entre réorganisation et nouveaux choix d’articles, quelques écrits emplis d’injonctions féminines ont émergé dans de grands mensuels féminins à l’aube de la quarantaine.

En temps normal, les femmes subissent de nombreuses remarques quant à leurs attitudes (« Souris! », « Sois douce! »), leur habillement (« Sois plus féminine ! », « Sexy, mais pas trop! »), leurs corps (« Ne sois pas trop grosse, mais aie quand même des formes ! ») ou à propos de toute action de leur vie. En période de pandémie, avec la charge mentale due à la garde des enfants, la préparation des repas en même temps que le télétravail ou toute autre tâche personnelle, les appels à faire son pain maison à tout prix ou ses 200 abdos par jour peuvent s’avérer être la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

De ce fait, les articles prônant « 10 astuces pour apparaître à son avantage lors d’une vidéo-conférence » aux conseils pour effectuer un « maquillage nude spécial période de quarantaine » ont essuyé de vives critiques sur les réseaux sociaux et autres blogs féministes. Heureusement, d’autres contenus beaucoup plus apprécié ont également vu le jour.

 

 

Une nouvelle organisation assurer la diversité

Face à la brutalité de l’annonce du confinement, la réalité a changé radicalement pour tout le monde ; lectrices, lecteurs comme journalistes. « Dans la rédaction, on s’est surtout demandé ce dont les gens avaient besoin, sur quels sujets nous pouvions les aider, leur apporter du soutien ou des informations. » explique Ellen De Meester.

Nous avons évidemment dû adapter notre contenu pour conserver notre mission, informer et divertir notre lectorat transgénérationnel romand. – Valérie Fournier, journaliste et cheffe de la rubrique beauté chez Femina.

Le challenge réside donc à tenir compte des préoccupations du moment et des obligations liées à la pandémie. La rédaction doit également suivre sa ligne éditoriale, soit de parler à toutes les femmes et quelques hommes, à travers toute la Suisse romande. « C’est un défi en soi, pandémie ou non. », précise la journaliste.

Privilégier la déculpabilisation

Le confinement offre « un terrain d’expression inépuisable aux injonctions traditionnelles, et l’encadrement des femmes est plus que jamais de mise » peut-on lire dans une critique d’un groupe de journalistes de l’équipe d’Acrimed. La (sur)production est valorisée, de même que le maintien de sa forme, sans oublier la charge mentale des tâches domestiques et familiales.

Comme toujours, il est question d’équilibre. Muriel Chavaillaz explique le parti pris de la rédaction de Femina : « Nous avons mis un point d’honneur à mettre l’accent sur des articles déculpabilisants et «feel-good», tels que «Tu as le droit de prendre du poids» ou «Réussir son confinement, la nouvelle injonction sociale» »

Selon nous, il n’était ni intéressant, ni constructif de traiter de thématiques telles que le régime par exemple. – Muriel Chavaillaz

Dans une période déjà lourde de charge mentale, la volonté de proposer des articles au contenu plus « léger » et divertissant semble prévaloir sur le reste. Ce choix apparaît même comme une  « nécessité » pour plusieurs rédactrices de magazines féminins francophones interviewées récemment par  20 Minutes France.

Quelle demande pour quelle audience?

« Via les commentaires sur nos réseaux sociaux, nous avons ressenti que les gens avaient besoin de contenus différents de ceux qu’ils pouvaient lire sur les sites d’informations classiques, » explique Juliane Monnin. Comme dans beaucoup d’autres médias, le trafic de Femina est monté en flèche, notamment grâce à des articles distrayants mais qui luttent aussi contre certaines injonctions à « réussir son confinement » ajoute la journaliste web.

« Nous avons un vrai devoir de proximité à Femina, unique média romand féminin, soit de parler des gens et de leurs préoccupations, explique Valérie Fournier. Heureusement, nous avons pu continuer à produire chaque semaine la rubrique préférée des lectrices, intitulée Vécu, qui relate le parcours atypique et inspirant d’une ou un Romand. »

 

Difficultés et nouvelles stratégies

Avec le début du déconfinement, les interviews réalisés jusqu’alors par téléphone pourront être à nouveau effectués en face, ainsi que les séances photos. Tout en maintenant les distances de sécurité, un retour à la normale rassure et réjouit. Muriel Chavaillaz souligne la difficulté qu’elle a rencontré à mettre une distance inhabituelle avec ses interlocuteurs : « Je pense notamment au récent témoignage que j’ai recueilli pour l’article «Depuis le temps, j’ai appris à vivre seule»« . Au vu de l’état de santé de Ghislaine, son intervenante, il n’était pas possible pour la journaliste de la rencontrer.

Réaliser l’entretien par téléphone, sans pouvoir la voir, c’était compliqué – Muriel Chavaillaz 

Pour un sujet sensible comme celui-ci, cela n’est pas évident, car « les émotions prennent souvent le dessus ». Mais au final, Muriel Chavaillaz s’estime ravie d’avoir tout de même pu partager l’histoire de la septantuagénaire, et ainsi « faire entendre sa voix ».

Presse féminine en 2020

Il existe différentes presses féminines. Certaines sont plus axées beauté et mode, d’autres évoquent la santé, la famille, des magazines féminins parlent habitat ou encore culture et féminisme. Bien que critiquée pour son « immobilisme apparent » par ses détracteurs, la presse féminine « a accompagné et peut-être, dans certains cas, soutenu l’évolution de la vie des femmes » écrit la professeure Marie-Ève Thérenty dans « La vie des femmes » : la presse féminine aux XIXe et XXe siècles.

Ce travail journalistique est issu du projet #médiasconfinés (cours « Compétences numériques pour le journalisme ») dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

 

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