Précarité des personnes âgées: quand les aides ne suffisent pas

46’000 retraités ne peuvent pas assumer les factures imprévues | Image : ATS-Keystone

Environ 295’000 personnes âgées vivent en Suisse avec moins de 2’279 francs par mois, révélait cet été Pro Senectute dans un rapport. Cette enquête met le doigt sur un problème déjà connu : la précarité des aînés. Manque de formation ou encore dysfonctionnement du système, de nombreux facteurs expliquent leur situation. Comment peut-on avoir travaillé et cotisé toute sa vie et se retrouver dans une telle précarité ? Éclairage. 

La pauvreté n’est pas un phénomène marginal en Suisse, surtout chez les retraités. Mais que veut dire être pauvre ? Ne pas gagner assez pour payer ses factures, ne pas pouvoir bénéficier d’un logement décent ? Il n’existe pas de définition exacte. Pro Senectute se base ici sur le seuil de pauvreté, s’appliquant à toute personne vivant avec un revenu inférieur à 2’279 francs. Selon l’association, environ 295’000 personnes âgées de plus de 65 ans sont dans une telle situation, là où la rente médiane était de 4’147 francs en 2020. Cependant, la précarité chez les séniors ne date pas d’hier. Au vu d’importants facteurs structurels, ne faudrait-il pas remettre en question l’ensemble du système de la sécurité sociale ?

La retraite en Suisse : un bref rappel 

Le système de prévoyance vieillesse est construit sur 3 piliers : la prévoyance étatique (AVS), la prévoyance professionnelle (LPP) et la prévoyance privée. Le premier, dont la cotisation est obligatoire, sert à couvrir les besoins de base. L’argent versé par les assurés va directement aux retraités actuels. Le deuxième est épargné par le salarié, avec participation de son employeur. Il sert à conserver son niveau de vie antérieur, même s’il s’avère souvent insuffisant. Le troisième, encouragé par des incitations fiscales, est facultatif.

Actuellement, la rente AVS minimale se monte à 1195 francs par mois et la rente maximale à 2390 francs. Une personne n’ayant accès qu’au 1er pilier tombe donc sous le seuil de pauvreté de 2’279 francs par mois annoncé par l’OFS. Or, le nombre de personnes entièrement dépendantes de l’AVS est extrêmement élevé, et ceci dans un système où la rente AVS n’est pas conçue comme rente de retraite à part entière. Il existe des aides, comme les prestations complémentaires, mais celles-ci ne servent qu’à couvrir les besoins vitaux.

Deux types de facteurs peuvent expliquer pourquoi, malgré le système de protection sociale mis en place, la précarité des personnes âgées subsiste : les facteurs individuels limitants à la cotisation et les facteurs structurels du système en tant que tel.

Le niveau de formation, premier facteur de risque

Selon le rapport de Pro Senectute, différents facteurs individuels favorisent la pauvreté : la formation, le sexe, l’état civil, la nationalité et la zone d’habitation. Mais les résultats indiquent que le facteur de risque le plus important est celui du niveau de la formation. En effet, une personne retraitée n’ayant pas suivi de formation post-obligatoire est à 34% plus susceptible d’avoir une faible retraite. Autrement dit, réaliser des études supérieures réduit le risque de pauvreté.

La zone d’habitation influence également l’accès aux études secondaires et tertiaires | Image : Pro Senectute

L’office fédéral de la statistique (OFS) confirme ces résultats et offre plusieurs explications. Premièrement, l’absence de formation supérieure est souvent associée à un salaire plus faible, donc à des prestations de vieillesse moins élevées et un revenu composé essentiellement des rentes du 1er pilier. De plus, les personnes à faible niveau de formation ont rarement les moyens et les connaissances leur ayant permis de constituer des réserves financières.

Une autre hypothèse pour ces personnes pourrait être un manque de connaissance des différentes prestations sociales, notamment du 3ème pilier et des prestations complémentaires (PC). Une étude de la Haute école spécialisée bernoise confirme qu’en général, une personne sur quatre ne recourt pas aux prestations sociales, souvent par ignorance du droit. La non-sollicitation des PC pourrait donc expliquer la pauvreté de certains retraités.

Des facteurs structurels

Outre les facteurs individuels, la pauvreté peut également s’expliquer par le vieillissement grandissant de la population et par différentes failles internes, propres au système de santé. 

Aujourd’hui, les personnes en âge de percevoir l’AVS représentent un peu plus de 15% de la population. En 2050, ce chiffre devrait avoisiner les 25%. Par conséquent, il faut trouver une solution pour préserver notre système. Avec l’âge de la retraite des femmes fixé à 65 ans, le système d’AVS s’en retrouve plus solide et égalitaire (du moins en théorie). Le syndicat Syna estime toutefois que les femmes sont discriminées par ce système. Selon ces derniers, une égalité salariale pourrait préserver notre système de prévoyance en l’état.

46’000 retraités ne peuvent pas assumer les factures imprévues | Image : ATS-Keystone

Dans certains cas particuliers, les hommes aussi peuvent être discriminés. Les veufs touchent moins facilement une rente de survivant que les veuves ; l’homme les reçoit uniquement si ses enfants sont mineurs alors que les femmes y ont droit, peu importe l’âge des enfants. 

De plus, depuis 1948, les caisses sont tenues de contrôler les entreprises avec qui elles travaillent. Il incombe toutefois au travailleur de s’assurer régulièrement que l’employeur cotise en son nom. Si aucune réclamation n’a été faite dans les cinq ans, le travailleur n’est alors plus en mesure de réclamer ses cotisations, ni de les compenser à posteriori. Un danger souvent méconnu du public.

Il faut néanmoins noter que des solutions sont régulièrement proposées. Actuellement, deux initiatives populaires sont en discussion sous le chapeautage de L’Office fédéral de l’assurance sociale : l’une milite « pour une prévoyance vieillesse sûre et pérenne », l’autre pour le droit à une 13ème rente AVS.

Améliorer la situation n’est cependant pas une mince affaire. La précarité des personnes âgées reste en effet un phénomène complexe qui exige de prendre en compte les facteurs individuels, ainsi que les problèmes structurels mêmes des aides et des prestations sociales. C’est précisément la somme et l’interdépendance de ces facteurs qui rendent la situation difficile à solutionner et qui explique cette réalité paradoxale : avoir cotisé toute sa vie et vivre au jour le jour.

Amélie Gyger, Iñaki Dünner, Fanny Perroud et Charlotte Buser

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Actualité: méthode, culture et institutions” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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