Pour s’offrir une seconde jeunesse intime, certaines font appel à la chirurgie – JAM

Pour s’offrir une seconde jeunesse intime, certaines font appel à la chirurgie

Les offres de rajeunissement vaginal se multiplient en Suisse romande. (Photo: Matignon)

Rajeunir sa vulve? Les marchands de rêves anti-âge ont senti le bon filon et la chirurgie esthétique repousse ses limites, profitant d’un flou légal. Certains spécialistes affirment toutefois répondre à un besoin médical, loin d’être superficiel. Alors, où s’arrête le soin et où commence la pression sociale?

Vouloir dorloter le sexe féminin n’a rien de nouveau. Gommages, masques, maquillage vaginal… le marché des cosmétiques intimes ne cesse de surprendre. Il n’est pas le seul: la chirurgie esthétique dégaine son bistouri pour sublimer cette zone intime. La gynécologie esthétique se développe en Suisse romande sous l’impulsion d’une demande en hausse. Sophie Pierre, médecin spécialisée en gynécologie esthétique à la Clinique Matignon à Lausanne, le confirme: « J’ai beaucoup plus de patientes depuis deux ans. Et les femmes sont de plus en plus jeunes. »

Les femmes devraient être épanouies sexuellement. Mais passer par la médecine esthétique équivaut à rechercher une solution magique. Pour moi, c’est du marketing.

Tania Caitaz, sexologue

Au menu des promesses: renouer avec son plaisir sexuel et son confort intime. Les techniques, plus ou moins invasives, comprennent injection d’acide hyaluronique, laser et radiofréquence. De quoi rendre de nombreux professionnels sceptiques. La sexologue lausannoise Tania Caitaz critique: « Les femmes devraient être épanouies sexuellement. Mais passer par la médecine esthétique équivaut à rechercher une solution magique. Pour moi, c’est du marketing. »

Peu de preuves, beaucoup d’attentes

De nombreuses cliniques proposent d’injecter de l’acide hyaluronique dans la zone érogène du point G afin d’accroître son volume. À la clé: une sensibilité boostée et un orgasme plus facilement atteignable. Si ces offres se multiplient, ce n’est pas le cas des études scientifiques à leur sujet. Peu de données existent concernant leurs résultats à long terme et leurs complications. Sophie Pierre reconnaît qu’ « il n’y a pas d’études à grande échelle. Pour les résultats au niveau du plaisir sexuel, c’est très subjectif et difficile à démontrer. »

La Société des Obstétriciens et Gynécologues du Canada alertait en 2016 sur l’essor de la chirurgie esthétique génitale. Les termes « rajeunissement vaginal » et « augmentation du point G », utilisés en clinique privée, relèveraient du marketing plutôt que de la médecine. Janni Galatoire, spécialiste en gynécologie esthétique au Forever Institut à Genève, bannit ces formulations. Elle les juge « vulgarisantes et inexactes ». Pourtant, difficile d’ignorer cette promesse sur le site de sa clinique: une injection d’acide hyaluronique pour une vulve « plus jeune et tonique ». Un discours « vendeur » que la spécialiste admet sans l’approuver totalement.

Approche médicale contre standards esthétiques 

La doctoresse Janni Galatoire rejette le terme de « gynécologie esthétique ». Elle préfère parler de « gynécologie non conventionnelle », en contraste avec la discipline enseignée sur les bancs des facultés de médecine. « Notre institut suit une approche très médicale. Ce n’est pas un centre esthétique comme on en voit à tous les coins de rue. » Pour elle, il ne s’agit pas de proposer une vulve enjolivée, mais « une vulve qui fonctionne ». Ses patientes la consultent dans l’espoir de restaurer une fonction intime, notamment en cas de sécheresse vaginale ou de douleurs pendant les rapports sexuels. Incomprises par les gynécologues traditionnels, ces femmes ne sont donc pas là pour « une histoire de beauté » mais de « qualité de vie ». 

Cette vision divise. Le gynécologue et obstétricien Sylvain Meyer estime que les cliniques qui brouillent la frontière entre médecine et esthétique attirent des femmes en quête de remèdes rapides. Contrairement aux gynécologues soumis à des règles strictes, ces centres privés jouent sur le marketing et l’image pour séduire. 

Vide juridique

À quel prix obtient-on une vulve « harmonieuse »? Retoucher son intimité, c’est un luxe. Une nymphoplastie, chirurgie réduisant la taille des petites lèvres, coûte entre 3’500 et 4’500 CHF en clinique esthétique privée. Sylvain Meyer réalise également cette intervention dans son cabinet de gynécologie, pour autant qu’elle se justifie d’un point de vue médical. Mais le gynécologue facture l’opération 400 CHF, structure tarifaire oblige. Non remboursée par l’assurance maladie, la gynécologie esthétique fixe ses tarifs sans cadre strict. « Chacun fait à sa sauce, tant que c’est raisonnable », estime la doctoresse Sophie Pierre.

L’absence de normes ne s’arrête pas aux prix. En Suisse, aucun diplôme spécifique n’est requis pour pratiquer ces interventions. Janni Galatoire et Sophie Pierre sont toutes deux titulaires d’un diplôme universitaire français en gynécologie esthétique et fonctionnelle. Particulièrement formée pour le milieu, Sophie Pierre prévient: « Tous les spécialistes n’ont pas ces diplômes, et il n’y a pas de contrôle. »

Dans le domaine de l’esthétique, on manque terriblement de régulation.

Janni Galatoire, spécialiste en gynécologie esthétique au Forever Institut à Genève

Janni Galatoire plaide pour serrer la vis, car « dans le domaine de l’esthétique, on manque terriblement de régulation ». Elle espère un jour un remboursement par l’assurance, estimant que ses soins traitent de problèmes médicaux réels tels que l’incontinence. « Si cela concernait une problématique masculine, ce serait peut-être déjà pris en charge », glisse-t-elle.

Nécessité médicale ou pression sociale? 

Pour Janni Galatoire, la gynécologie esthétique comble un vide laissé par la médecine traditionnelle. Il ne faut pas coller l’étiquette de victime de la tendance à toutes les patientes. La majorité vient informée, envieuse de renouer avec un confort intime. En prime, les femmes repartent avec « un résultat esthétique rajeunissant de la vulve », tel qu’indiqué sur le site de Forever Institut. Besoin médical ou non, difficile d’ignorer l’empreinte des standards esthétiques sur ces interventions.

Par Pauline Cavin
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse II », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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