Né en 1971 de l’association du Parti des paysans, artisans et indépendants et des Partis démocratiques des Grisons et de Glaris, le groupe d’extrême-droite est réputé pour ses politiques protectrices des agriculteurs. Mais le traditionnel parti agrarien semble perdre peu à peu de sa superbe.
22 septembre 1971. Un nouveau-né apparaît dans le paysage politique suisse. L’Union démocratique du centre (UDC), fruit de la fusion du Parti des paysans, artisans et indépendants et des Partis démocratiques des Grisons et de Glaris, s’éveille. Le nouveau groupe politique, contrecarrant l’effritement des petites coalitions, se positionne comme le défenseur des intérêts des artisans, des agriculteurs et des petits indépendants. Une filiation historique qui lui donnera le surnom populaire de “parti agrarien”.
L’UDC revendique toujours cette dimension agraire, multipliant les initiatives en faveur d’une agriculture “de proximité” et “fondée sur l’économie d’entreprise”. Pour autant, l’agriculture en tant que thématique unique est rarement présente des campagnes politiques du parti d’extrême-droite. Selon Oscar Mazzoleni, professeur en sciences politiques à l’Université de Lausanne et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’UDC, cette situation s’explique par le fait qu’un large consensus fondé sur le soutien au monde agricole prévaut entre les partis bourgeois. “Poussée par une volonté de se démarquer de ses concurrents, l’UDC préfère axer ses campagnes politiques autour de la question européenne ou de l’immigration”, explique-t-il.
Selon une étude menée lors des élections fédérales de 2019 par le Centre de compétence suisse en sciences sociales, les thèmes de campagne de l’UDC étaient “dispersés”, l’agriculture ne figurant qu’à la sixième place du classement des principales thématiques abordées par les candidats du parti d’extrême-droite.
Pour autant, le groupe politique compte le plus d’agriculteurs siégeant au parlement, signe que les paysans se retrouvent dans les propositions politiques de l’UDC. Oscar Mazzoleni rappelle toutefois que les agriculteurs siégeant sous la bannière UDC “ne correspondent pas au modèle traditionnel du paysan. Ce sont souvent des managers avec une vision entrepreneuriale de l’agriculture et qui, ces vingt dernières années, ont promu une transformation profonde du secteur agricole en Suisse.”
Toutefois, si le nombre d’agriculteurs affiliés à l’UDC sous la coupole est relativement élevé, l’agriculture semble être devenue une thématique d’intérêt pour tous les partis politiques suisses. En effet, le nombre d’interventions relatives à l’agriculture déposées au Parlement suisse a considérablement augmenté depuis 2004, passant de 4,2% du nombre total d’interventions déposées à 8,6% en 2022.
L’UDC reste le parti politique le plus prolifique et le plus stable dans ses interventions parlementaires en lien avec l’agriculture, et ce depuis 2003. Cependant, depuis la vague verte de 2019, l’agriculture devient aussi le terrain de jeu des Vert-e-s, qui, pour la législature en cours, ont déposé 306 objets relatifs à l’agriculture, contre 174 pour le parti d’extrême-droite.
En termes proportionnels, les résultats sont encore plus flagrants. Les Vert-e-s sont le parti qui dépose le plus d'interventions relatives à l'agriculture, et ce depuis la législature de 2003-2007. Pour la législature en cours, un membre des Vert-e-s a proposé en moyenne 8,74 interventions relatives à l'agriculture, soit trois fois plus qu'un élu UDC (2,81 propositions).
Si les écologistes sont donc le parti proportionnellement le plus fertile à déposer des objets en lien avec l’agriculture, selon Oscar Mazzoleni, un transfert de voix de l'UDC vers le parti écologiste semble peu probable, tant les deux partis ont une vision diamétralement opposée du développement agricole en Suisse.
"Nous pourrions imaginer un glissement des voix de certains agriculteurs UDC vers un parti à la fibre plus libérale tels que les Vert'libéraux, mais de là à voter pour un parti de gauche, j'en suis moins sûr", postule le professeur en sciences politiques. Qui reconnaît néanmoins que le climat risque de devenir un point de basculement potentiellement crucial entre les agriculteurs et le groupe d'extrême-droite. "En 2019 déjà, des sondages menés au sein de l'UDC sur la protection du climat pointaient certaines divisions internes", indique Oscar Mazzoleni.
Des sensibilités différentes qui se matérialisent déjà en pratique: alors que l'UDC et l'Union suisse des paysans (USP) votent normalement de concert sur les objets agricoles, le parti d'extrême-droite sera seul à s'opposer à la loi sur la protection du climat soumise en votation populaire le 18 juin prochain. L'USP a en effet annoncé soutenir le contre-projet indirect à l'initiative populaire "Pour un climat sain (initiative pour les glaciers)" en raison de "l'importance de l'impact du changement climatique sur l'agriculture".
Et du côté des agriculteurs?
Selon Sandra Holfenstein, porte-parole de l’Union suisse des paysans, l’UDC n’est pas le parti agrarien par excellence. “La plupart des paysans ont une orientation bourgeoise et votent donc en premier lieu pour l'UDC, Le Centre et le PLR.” Cependant, la communicante mentionne également la présence de représentants paysans parmi le PS et Les Vert-e-s, qui ont pu profiter de la vague verte des élections fédérales de 2019, “le climat étant certainement un sujet qui préoccupe les exploitations agricoles”.
Sandra Holfenstein précise que la tendance de vote des agriculteurs dépend également de leur implantation géographique. “Dans certains cantons, l’UDC est historiquement très ancrée, par exemple dans les cantons de Berne et de Zurich. Elle y est encore aujourd'hui le parti dominant parmi les paysans.” En Suisse centrale et dans les régions marquées par le catholicisme, les paysans sont traditionnellement membres du PDC, devenu Le Centre, explique la porte-parole, qui précise qu’en la Suisse romande, le PLR est également bien représenté chez les paysans.
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