Les rédactions des grands médias français ont dû apprendre à s’organiser avant, pendant et après le confinement. Le quotidien Le Figaro ne fait pas exception: comment planifier le déplacement de ses 2100 employés? Ses stratégies en quelques dates clés.
Le silence et le vide: c’est peut-être ce que retiendra Samuel Potier, rédacteur en chef au Figaro, de ces huit semaines de confinement appliquées strictement dans toute la France. Les 20’000 mètres carrés du bâtiment principal du journal, à Paris, ont été désertés. Actuellement, seule une petite trentaine de personnes, le “noyau dur“, est encore autorisée à se rendre sur place. Soit 2% des effectifs.
Une ambiance surréaliste, rendue seulement tangible par les photographies des bureaux abandonnés. “Il faut se pincer pour y croire“ affirme le journaliste. Dans la newsroom dépeuplée où Samuel Potier a pris ses quartiers, ce sont ordinairement cent collaborateurs qui travaillent dans une ambiance frénétique. Désormais, ils ne sont plus que deux à se partager le QG du quotidien, le cœur du réacteur, autrefois grouillant d’énergie.
Un plan d’urgence pour faire face au confinement
Peu de temps avant le confinement du 17 mars appliqué dans toute la France pour endiguer l’épidémie de coronavirus, tout se précipite pour le Figaro. “Deux semaines avant déjà, on se préparait à un confinement total. Ce qui se passait en Italie nous avait mis la puce à l’oreille. C’était hallucinant, cela nous paraissait si loin. Mais on a commencé à organiser un déménagement provisoire des équipes“, raconte Samuel Potier. Le travail d’évacuation virtuelle est gigantesque: il faut permettre aux 450 journalistes qui alimentent quotidiennement le journal de pouvoir travailler à distance, avec tous les accès nécessaires.
Quelques jours avant l’annonce des mesures par le gouvernement, des premiers tests sont effectués avec certains rédacteurs en télétravail. “Une semaine avant que ça coupe, on était prêts. Mais on n’arrivait pas à y croire. On se sentait encore sûrs de nous, sûrs de maîtriser le virus“. Le 17 mars, pourtant, il faut s’y faire.
Un quotidien plus combattif que jamais
Derrière cette apparente inactivité, la rédaction fonctionne à plein régime pour offrir un journal aussi fourni que d’habitude, publicité en moins. Assurer l’édition et la continuité de l’information est essentiel. “Cela implique un véritable planning de guerre. Nous avons créé des boucles pour communiquer, organisées par équipes, par typologies d’articles (les gratuits et les payants) et par types d’effectifs“. Samuel Potier concède que cette nouvelle manière de concevoir le journal est laborieuse, “fatigante et chronophage. Ce sont des milliers de messages échangés par jour pour garder fluidité et rapidité“.
Pour le rédacteur en chef, une journée-type dure 14 heures: elle commence à domicile le matin, puis en rédaction à partir de 12h, et se prolonge jusque tard dans la nuit. La pression de rester constamment réactif implique un rythme de travail effréné. Difficile, mais les résultats sont là: “Grâce aux lignes mises en place, aux innombrables conférences téléphoniques, il n’y jamais eu de rupture ou de problème sur le fil du journal. Pas de couac, c’est impressionnant pour un bureau de ce nombre de personnes“. Malgré tous ses journalistes confinés chez eux, le Figaro a prouvé qu’il pouvait continuer à tourner.
Planifier tous les scénarios possibles
Le 6 mai, le gouvernement français entame une nouvelle étape décisive dans sa lutte contre le COVID-19 et annonce un début déconfinement le 11 mai. Se pose désormais la délicate question de l’après. Le 7 mai, la direction générale du groupe décide de repousser cette étape cruciale au mois de juin. En effet, le déconfinement de Paris et l’Ile-de-France sera plus lent et plus dur que le reste de la France – et par conséquent, plus progressif. Cette période, qualifiée par Samuel Potier de “1.5“ avec des restrictions de liberté encore importantes, aurait entraîné un retour à la normale trop complexe pour le quotidien. “A partir du moment où le gouvernement recommande le télétravail massif plusieurs semaines encore et que les conditions à Paris restent compliquées, notamment avec la limitation des transports, la décision était naturelle et logique“.
Un déconfinement de la rédaction sans précipitation débutera donc dès le 2 juin. Un maximum de 25% des effectifs fera progressivement son retour dans les locaux, par vagues, dans le strict respect des conditions sanitaires. Port du masque obligatoire. Cette rentrée se basera sur un volontariat intégral: “On ne forcera personne à revenir, et surtout pas les personnes à risque“, confirme Samuel Potier.
Entre août et septembre, les mesures pourraient éventuellement s’assouplir. Après cela, toutes les possibilités d’un retour à la normale restent envisageables et dépendront du bon déconfinement du reste de la France. Il s’agira d’observer les évolutions semaine après semaine et d’agir en conséquence: “Il faut s’organiser comme si le scénario le plus noir et le plus catastrophique pouvait se réaliser“, souligne le rédacteur en chef.
Une nouvelle organisation dans un nouveau monde
Un retour complet aux conditions “pré-coronavirus“ reste peu envisageable avant 2021, pas avant la découverte d’un traitement. La crise aura cependant permis aux médias, dont le Figaro, de tirer des enseignements: “Avant, il était tout simplement inenvisageable que des collaborateurs demandent de faire du télétravail. Désormais, ce sera plus facile. C’est la fin d’un monde“. Et le début d’un tout nouveau pour l’organisation des rédactions.