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Environnement: tensions au Moyen-Orient

L’urgence de la crise climatique a fait passer les articles environnementaux des dernières pages des journaux aux premières. Le journalisme environnemental gagne en responsabilité. C’est le cas au Moyen-Orient où l’environnement est devenu une arme de guerre et un enjeu politique, demandant une couverture médiatique très intense.

Peut-on traiter de Daech ou de la guerre syrienne sans parler des puits de pétrole volontairement incendiés ou des sources d’eau délibérément polluées? “Non, car le quotidien et le futur des civils sont durablement affectés”, répond Wim Zwijnenburg de l’organisation Pax for Peace et contributeur du site d’investigation Bellingcat.

Une marée noire se propage dans les rues de la ville de Qayyarah, en Irak en janvier 2014. Daech a délibérément incendié des puits de pétrole, causant des dommages environnementaux et économiques et de gros risques aux habitants. Photo par Wim Zwijnenburg

Au Moyen-Orient, l’environnement est à la fois un facteur régional de stabilité et cause de conflits. Son dérèglement ou sa pollution entraîne des impacts sur la santé des habitants et sur l’agriculture.

La pollution, une arme de guerre

En Syrie, l’eau est utilisée comme moyen de pression sur les populations. L’accès à cette ressource a régulièrement été coupé par les parties au conflit. Daech et le régime syrien ont, par exemple, volontairement bombardé les châteaux d’eau. “En bloquant l’accès à l’eau et aux ressources naturelles, les belligérants visent les civils, les obligeant soit à se soumettre à la puissance occupante soit à se déplacer”, explique Elodie Feijoo, mémorante au Graduate Institute à Genève, qui fait actuellement des recherches sur la gestion de l’eau durant le conflit syrien.

Pour le moment les victimes de pollution lors de conflits se sentent rarement entendues, selon Wim Zwijnenburg. C’est pourquoi il est essentiel pour les journalistes de couvrir les tensions en tenant compte des enjeux environnementaux:

En plus des conflits, la géographie et les températures arides du Moyen-Orient augmentent les tensions autour des ressources naturelles. Un exemple parlant: uniquement 4% des terres égyptiennes sont arables. La croissance de la population porte la sécurité alimentaire et la densification au coeur des enjeux politiques.

Le Caire est une des villes les plus polluées au monde. Coincée entre deux bandes de désert, les particules fines des industries et du trafic se mélangent à la poussière de sable.

La pollution préoccupe la population. Les agriculteurs, mis sous pression par des récoltes de moins en moins productives à cause du dérèglement climatique, sont toujours plus nombreux à rejoindre les villes. Les métropoles n’ont pas les infrastructures pour absorber cette augmentation d’habitants et les nouveaux-venus sont plongés dans la précarité.
Les responsables politiques égyptiens ont récemment perçu les revendications environnementales comme de potentiels dangers pour leur maintien au pouvoir. Louise Sarant, journaliste environnementale indépendante, a couvert durant une douzaine d’années l’actualité égyptienne. Elle a été à la tête de la première rubrique environnementale d’un média égyptien:

Nous étions les premiers à faire du journalisme environnemental, alors on nous laissait tranquille car personne ne comprenait vraiment ce qu’on faisait.

La révolution égyptienne de 2011 menant à la démission de l’ex-président, Hosni Moubarak, a fait émerger un espace de plaidoyer pour l’environnement. Un constat qu’a fait Louise Sarant, alors journaliste pour le journal Al-Masry Al-Youm: “Lors de ces manifestations, les Egyptiens ont vu qu’ils pouvaient avoir un impact sur leur société. Cela a permis de créer des dynamiques en faveur de l’environnement, une prise de responsabilité”.

 Pressions sur le gouvernement

Puis, le gouvernement a compris que l’environnement pouvait être source d’instabilité politique et a rendu l’accès aux données plus difficile pour les journalistes environnementaux.

Rencontrée dans un café, Louise Sarant livre ses explications quant à l’émergence des sujets environnementaux dans les médias et pourquoi l’Egypte rencontre des difficultés à obtenir un environnement sain.

“Le journalisme environnemental n’est plus une section en elle-même, elle est transversale et touche à tous les sujets”, insiste Bel Trew, correspondante au Moyen-Orient, lors d’une conférence au festival du journalisme à Perugia. Avant de lancer un appel: “Les journalistes environnementaux sont mis sous pression par de nombreux régimes à cause des sujets qu’ils couvrent, mais c’est notre responsabilité de montrer que l’environnement est central pour traiter l’actualité. Nous n’avons plus le temps de le considérer autrement”.

A lire aussi: Réponse médiatique à la crise climatique

Légende photo: Une pollution causée par les hydrocarbures dans le Tigre, en Irak, suite à la destruction d’une pipeline par Daech en 2014. (Sans copyright)

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