De nombreux photojournalistes se sont retrouvés “coincés” chez eux, à la suite des mesures de confinement imposées par les gouvernements dans le monde entier. Comment photographier cette crise inédite? C’est la question que certains professionnels de l’image se sont posés. Certains ont choisi les réseaux sociaux, notamment Instagram, pour promouvoir leur travail, mais aussi informer leur public.
Difficile d’être photojournaliste aujourd’hui. La crise du Covid-19 a drastiquement changé les habitudes de travail de nombreux photographes de presse. Depuis le début des mesures de confinement, nombre d’entre eux se sont tournés vers les réseaux sociaux et l’application Instagram pour montrer et documenter cette période spéciale. C’est le New York Times qui a dressé ce constat. Des photographes de renom ont ainsi publié, de manière régulière, des photographies depuis leur balcon, par exemple, ou des images de rues complètement désertes des capitales en confinement. Chez eux ou en chemin, ils photographient sans relâche. Une façon pour eux de promouvoir leur travail et surtout montrer la vie en temps de pandémie.
[aesop_parallax img=”http://jam.unine.ch/wp-content/uploads/2020/05/000_1QP6BB-scaled.jpg” parallaxbg=”on” parallaxspeed=”4″ caption=”Des pigeons sont assis sur des câbles de trolley dans une rue déserte du centre d’Athènes le 20 avril 2020, lors d’un confinement visant à freiner la propagation de l’infection Covid-19 causée par le nouveau coronavirus. (ARIS MESSINIS / AFP)” captionposition=”bottom-left” lightbox=”on” floater=”on” floaterposition=”left” floaterdirection=”none” overlay_revealfx=”off”]
Instagram est déjà largement utilisé par les photographes de presse et ce, bien avant l’épidémie. Cette application a pour vocation la mise en avant de contenus visuels, tels que des images et des vidéos. Elle offre aussi à des personnalités, artistes, leaders d’opinion ou influenceurs la possibilité de promouvoir leurs œuvres, leur travail et même leur vie quotidienne. Pour les photographes, c’est la même chose : une mise en avant de leurs productions. Mais dans le cas précis de la crise du Coronavirus, cette application a pris de plus grandes dimensions en ce qui concerne le partage du travail des photojournalistes.
Ils ont montré qu’ils ont pu s’adapter à cette situation exceptionnelle. C’est le propre de chaque professionnel de la photo de presse de pouvoir s’intégrer à l’environnement qu’il va observer et photographier, mais aussi les possibilités avec lesquelles son travail aura une portée. Les nouveaux supports qu’offrent les réseaux sociaux deviennent ainsi complémentaires aux publications classiques des journaux et agences.
Des rues vides
Une partie des publications sur Instagram concerne surtout des images de rues désertes, de monuments abandonnés par leur public et, dans certains cas, de soldats et policiers patrouillant les routes. Ce sont des scènes qui n’ont pas été vécues depuis la Seconde Guerre mondiale, en témoignent les images du photographe documentaire italien Alessandro Penso. Elles sont très impressionnantes et déstabilisantes à la fois: on a l’habitude de voir les rues de Rome regorgeant de vie et ses monuments noirs de monde.
Ces photographies nous montrent la conséquence du confinement en Italie: le vide. C’est le cas dans tous les pays l’ayant imposé à leur population. Même si ce néant peut générer une certaine frayeur chez le spectateur qui regarde ces images, une personne intéressée pourrait voir la dimension artistique de ces photos. Elles nous montrent des bâtiments sous divers angles, des rues qui s’étalent à l’horizon et même de simples oiseaux, perchés sur des câbles.
Instagram se prête particulièrement bien à ce genre de photographies et plus généralement à montrer des oeuvres artistiques. Dans le cas des photojournalistes, ces mêmes images seront publiées aussi dans le média pour lequel ils travaillent. Leur travail esthétique devient aussi informatif. C’est le cas de Alessandro Penso, qui a été publié dans le New York Times. Pour Angelos Tzortzinis, photographe indépendant basé à Athènes, “c’est une occasion à saisir. Jamais plus on ne vivra une telle situation. Pour moi, photographier les rues vides de ma ville c’est un peu comme une nature morte en peinture.”
Humaniser la crise
D’autres photographies posent un regard bien différent: elles montrent les acteurs de la crise sanitaire. Les portraits de livreurs, d’infirmie.è.r.e.s, de caissie.è.r.e.s ou encore de victimes du coronavirus, foisonnent sur les réseaux sociaux. Ce style se prête aussi très bien au modèle d’Instagram: sans le filtre “médiatique”, le photographe met face à face la personne photographiée et le spectateur. Un des nombreux exemples est celui du photographe Michele Borzoni, qui nous livre plusieurs récits individuels sur sa page.
Un travail qui montre la façon avec laquelle beaucoup de professionnels de l’image de presse ont cherché à humaniser la crise du coronavirus. Une manière en plus d’informer le public de ce qu’il se passe “dans l’ombre” du Covid-19. Cette volonté est d’autant plus grande avec la proximité générée par les réseaux sociaux.
D’autres photographes ont décidé de documenter différemment cette crise: ils sont restés chez eux. Dans ces cas précis, il s’agit d’images de leur propre famille en confinement. Un exemple proche serait celui du photographe David Marchon dans le canton de Fribourg. Il a pris des clichés de ses enfants et de sa femme en télétravail, pendant des activités dans le jardin ou lorsqu’ils regardent la télévision. Une approche différente, qui humanise tout autant le visage de la pandémie.
C’est un type de travail qui peut paraître désuet à première vue. Il fait cependant écho à des millions de personnes: c’est leur quotidien depuis près de deux mois. Le photographe de presse casse alors la barrière du “simple” professionnel qui publie son travail dans les journaux. Une séparation qui est d’autant plus invisible avec les réseaux sociaux.
Un regard en avant
En publiant des images de la vie quotidienne au temps du coronavirus, les photographes de presse ont contribué à créer un récit photographique qui touche une grande partie des populations confinées. Les photographies font bien plus que d’informer dans ce cas là: elles font appel aux émotions de ceux qui les regardent. Elles nous aident à mieux comprendre et mieux accepter ce qui arrive. Les publications des photojournalistes sur les réseaux sociaux comme Instagram, en plus des médias, ont participé à ce que le quotidien genevois Le Courrier a nommé, “la création d’une mémoire collective”.
[aesop_parallax img=”http://jam.unine.ch/wp-content/uploads/2020/05/000_1QX8I0-scaled.jpg” parallaxbg=”on” parallaxspeed=”4″ caption=”Les membres du syndicat grec du travail (PAME), respectant les distances sociales contre la propagation du nouveau coronavirus, Covid-19, protestent devant le Parlement grec lors de la manifestation de la fête du travail à Athènes le 1er mai 2020. (Photo Aris MESSINIS / AFP)” captionposition=”bottom-left” lightbox=”on” floater=”off” floaterposition=”left” floaterdirection=”none” overlay_revealfx=”off”]
Cependant, même si un rapprochement peut être observé entre le reporter et son public, l’élément informatif ne s’efface pas: le photojournaliste reste un professionnel qui se doit d’informer. “Les réseaux sociaux sont utiles pour se promouvoir mais surtout, pour informer. Les photos que l’on va publier sur le site de l’agence ou du journal, on peut aussi les mettre sur notre page Instagram. Mais il faut garder une certaine distance: plus que de simplement montrer, on doit informer” insiste Aris Messinis, photographe en chef du bureau de l’AFP à Athènes.
L’utilisation des réseaux sociaux par les photographes de presse a contribué à la création de cette mémoire. Ils se sont d’autant plus appropriés ces outils pour mieux informer et montrer une situation exceptionnelle. Les récits photographiques qu’ils ont créé sur Instagram vont contribuer à construire l’évènement symbolique que deviendra cette crise du Coronavirus dans les temps qui viennent.
Ce travail journalistique est issu du projet #médiasconfinés (cours “Compétences numériques pour le journalisme”) dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.