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Le nombre de dictateurs en voyage à Genève a chuté durant la pandémie

epa01554068 A general view of the Middle East Business Aviation (MEBA) Exhibition in the airport of Gulf Emirate of Dubai, United Arab Emirates,18 November 2008.Middle East Business Aviation (MEBA) is an event for companies and individuals involved in the chartering, leasing, selling, purchasing, operating and servicing of business and VIP jets for private or corporate use.The Middle East is now the worlds fastest expanding market for private jets. Industry experts forecast that the region will account for $720 million of the private jet market this year .(EPA PHOTO/ALI HAIDER) EPA/ALI HAIDER

En résidence au bord du lac, en voyage d’affaires ou en mission diplomatique à l’ONU, les raisons des déplacements des hauts dignitaires de pays autoritaires à Genève sont aussi multiples que difficiles à expliquer. La pandémie a stoppé net leurs déplacements. Parmi les principaux concernés, les Émirats Arabes Unis ont disparu des radars durant plus d’un an. Tentatives d’explications.

Grâce au traqueur Dictator Alert (voir encadré en fin d’article), à chaque fois qu’un avion d’une flotte dictatoriale atterrit, impossible pour lui de passer incognito car sa présence est immédiatement annoncée sur Twitter. Un premier pas vers la transparence des activités des dictateurs en Suisse. Notre analyse met en lumière une baisse de ces voyages qui coïncide avec les restrictions d’entrée dans le pays dues au Covid.


Les dictateurs ont-ils arrêté de se déplacer à Genève durant la pandémie?

La Suisse ferme ses frontières le 18 mars 2020. Elle les rouvre le 16 juin aux pays européens, puis progressivement dès le 28 juin pour les pays extra-européens. De nombreux États restent cependant soumis à des tests ou à des impératifs de quarantaine pour entrer en Suisse. 

Dans ce contexte, l’analyse des vols de dictateurs atterrissant à Genève montre que leur nombre a bel et bien chuté avec les restrictions sanitaires (voir graphique ci-dessous). La levée des restrictions strictes du 28 juin n’a pas pour autant engendré de retours immédiats de ces vols.

Un boom de dictateurs un an avant le Covid?

Le pic frappant de décembre 2018 à mars 2019 est difficile à expliquer. Une piste : en février et mars, les Nations Unies ont accueilli la 40e session du Conseil des Droits de l’Homme à Genève. L’occasion pour plus de 100 hauts représentants étatiques de participer à l’événement. Plusieurs avions en provenance du Qatar, de l’Algérie et d’Arabie Saoudite, par exemple, atterrissent à la veille de discours donnés par des dignitaires de ces pays. 

Mais est-ce que seule la diplomatie explique la venue de 21 jets des Émirats, 13 du Qatar, 8 de l’Azerbaïdjan et 5 du Bahreïn durant cette période ? Difficile à dire, mais le cas des Émirats Arabes Unis suggère que non. 

Pourquoi les Émiratis ont-ils déserté la Suisse pendant un an?

Près de la moitié des vols de dictateurs enregistrés par le GVA Dictator Alert proviennent des Émirats Arabes Unis (EAU). Outre un haut lieu des Nations Unies et une place financière importante, Genève est une destination de vacances appréciée des Émiratis. 

La famille royale ainsi que plusieurs dignitaires du pays possèdent des propriétés sur les rives du lac Léman. Cela pourrait expliquer l’afflux continu, hors période de pandémie, de jets privés en provenance des EAU et les augmentations durant les périodes hivernales et estivales (visible sur le graphique ci-après). 

L’absence totale de vols émiratis entre mars 2020 et avril 2021 pourrait s’expliquer par la situation sanitaire. Après la réouverture des frontières en juin 2020, les EAU ont été placés dans la liste des pays à risque par la Suisse. Jusqu’à en être retirés en avril 2021.

Cette absence pourrait aussi être due à la nécessité des dignitaires de gérer la situation dans leur pays. Par ailleurs, la perspective d’un isolement de 10 jours à l’entrée en Suisse pourrait les avoir refroidi de rejoindre leurs résidences sur les rives lémaniques. 

Nos recherches ne nous permettent pas d’expliquer l’absence de données d'atterrissage des avions du gouvernement ou de la royauté des EAU en mai et juin 2021. Le retour d’un trafic soutenu en juillet et août pourrait cependant s’expliquer par les vacances de la famille royale émiratie dans l’une de ses propriétés en France voisine. 

 

Les données doivent toutefois être analysées avec prudence. Il reste possible que des événements diplomatiques ou économiques soient à l’origine de certains de ces vols. 

Qu’est-ce que le projet Dictator Alert ? 
Initié par Emmanuel Freudenthal et François Pilet, deux journalistes d’investigation indépendants, le bot GVA Dictator Alert annonce les arrivées et départs des dictateurs à Genève.

Comment traquer les avions des dictateurs? 
Dictator Alert exploite les données de communication non cryptées des avions. Il utilise les données de ses propres antennes et celles d’ADS-B Exchange pour suivre les avions utilisés par les régimes autoritaires.

Comment définir un régime autoritaire? 
Dictator Alert se base sur l’index de démocratie établi par le groupe de presse The Economist Group. Des notes sont attribuées en fonction de 60 critères regroupés en 5 catégories : le processus et le pluralisme électoral, les libertés civiles, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique et la culture politique. Le bas du classement regroupe les régimes considérés “autoritaires”.

Le bot Dictator Alert publie un tweet à chaque fois que l'avion d'un dictateur arrive et part de Genève

Crédit photo mise en avant : Keystone

Par Samuel Bonvin et Mathias Délétroz

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Publication, édition et valorisation numérique”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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