Le contexte particulier du coronavirus a créé une relation exceptionnelle entre les médias télévisuels et leur public. Empêchées de fonctionner aux modalités habituelles, les télévisions suisses ont particulièrement mobilisé leur audience durant la crise sanitaire, à travers diverses initiatives.
Le Covid-19 n’a pas non plus épargné les médias. Alors qu’une grande partie de la planète se confine, les rédactions ont dû elles aussi s’adapter aux difficultés imposées par le virus. À la télévision, peut-être plus encore que dans d’autres médias, la contrainte du confinement complique le travail des journalistes. Comment filmer ce qui n’est pas accessible, pour raison de sécurité? Plusieurs médias en Suisse ont choisi de rapporter le quotidien de la population à travers des vidéos filmées par le public lui-même, avec ses propres moyens, faute de pouvoir aller à sa rencontre.
Au-delà de l’aspect participatif, ces vidéos en temps de crise ont aussi pour effet de rassembler la population. ″C’est une période que nous n’avons jamais connue. En tant que service public, nous avons joué le rôle de place du village, raconte Bernard Rappaz, rédacteur en chef à l’actualité TV et multimédia de la RTS. Nous étions tous ensemble à vivre une crise inédite.″ Preuve de l’exceptionnalité de la situation, la télévision a lancé Antivirus, une émission quotidienne spécialement créée ″pour et par le public″.
Alors que la démarche était jusque-là plutôt inhabituelle à la RTS, les vidéos d’internautes étaient déjà régulièrement publiées sur les canaux des médias locaux. Hormis la particularité du contexte, ″ça ne change pas énormément estime Jérémy Seydoux, rédacteur en chef adjoint à Léman Bleu. Les gens ont toujours eu la possibilité de nous envoyer des témoignages″ qui étaient parfois diffusés.
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Comment faire lien avec un public confiné chez lui? Ici un exemple de Léman Bleu, avec un appel de recettes en vidéo
L’utilité publique comme priorité
La fiabilité de l’information a constitué – et constitue toujours – un défi de taille durant la crise sanitaire. Rumeurs et autres fake news sur le Covid-19 ont pullulé un peu partout, et notamment sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, le public cherche à trouver des réponses à son incertitude. Les télévisions ont réagi en essayant d’apporter un cadre factuel au climat anxiogène engendré par la propagation rapide d’un virus à l’échelle mondiale.
″Nous avons vraiment eu un rôle centralisateur, à la fois de ces rumeurs qui circulaient et de l’avancée des recherches médicales, affirme Jérémy Seydoux. Je pense que nous avons joué une mission phare dans cette période, et c’est ce qui fait que les gens nous suivent plus.″ Car à Léman Bleu, depuis le début de la crise le taux d’audience a triplé. Même constat à la RTS: le téléjournal de 19h30 a connu des pics d’audience, atteignant 80% de parts de marché au plus fort de la crise.
Je pense que nous avons joué une mission phare dans cette période, et c’est ce qui fait que les gens nous suivent plus
Mais comment informer correctement la population et répondre à leurs inquiétudes? Beaucoup de médias ont choisi d’ouvrir leurs portes virtuelles afin de répondre à toutes les questions liées au coronavirus avec l’appui d’experts. Une manière d’établir un dialogue entre journalistes et publics, tout en s’assurant de fournir des informations fiables. Les télévisions ont particulièrement exploité le format des vidéos en direct sur Facebook (live Facebook) durant lesquelles les questions des internautes étaient directement posées aux différents invités.
Ces formats interactifs ont bien fonctionné car il y avait dans ces circonstances ″un besoin d’information quasi illimité″ de la part de l’audience, selon Bernard Rappaz. ″On s’est rendu compte que le public avait besoin d’éclairage et d’expertise, explique Jérémy Seydoux. Je pense que les médias ont montré leur utilité dans cette période de trouble.″
Et après?
Le Covid-19 n’a pas fini de chambouler les habitudes. Nous le savons, nos vies devront s’acclimater au virus pendant encore un bon moment. S’il est difficile à ce stade de tirer un bilan définitif de l’impact de la crise sur la relation du public aux médias, quelques apprentissages se dessinent déjà au sein des rédactions. Le coronavirus aura-t-il réussi à rapprocher les médias de leur audience? À Léman Bleu, ″on a pu mieux se rendre compte des attentes et savoir là où on était utile et là où on l’était moins. Les priorités ont été revues″. La question du relationnel se pose aussi à la RTS: ″Cela fait 20 ans que nous nous demandons comment nous pouvons mieux établir un lien avec le public″.
Cette crise sanitaire nous a montré que nous pouvions imaginer des formats plus ambitieux mais qui ont aussi leurs limites
La façon dont les médias considèrent ″l’après-Covid″ est animée par une volonté de fidéliser le public qui leur a accordé leur confiance lors de cette crise. ″Cela nous motive à faire notre travail avec encore plus de rigueur et se rapprocher des préoccupations des gens, déclare Jérémy Seydoux. Nous avons maintenant besoin de retrouver une forme de sobriété et d’humilité dans l’information.″
Peut-on envisager une forme de journalisme d’engagement dans les médias traditionnels, avec un public davantage impliqué, jusque dans la production éditoriale? Un exemple récent réalisé par la RTS a montré que cela était possible. Des familles confinées se sont filmées pendant huit semaines et ont été encadrées par une équipe de professionnels. Ensemble, les deux parties ont scénarisé leur confinement pour l’émission Mise au point. ″Cette crise sanitaire nous a montré que nous pouvions imaginer des formats plus ambitieux mais qui ont aussi leurs limites, constate Bernard Rappaz. Nous avons tous compris qu’il faudra être plus attentifs à cette cocréation, mais on s’aperçoit quand même que pour qu’un produit soit bien réalisé, scénarisé et raconté, il faut tout de même des professionnels. Je pense qu’il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse et se dire que ce virus nous aura montré que nous n’avons pas besoin de journalistes ou de cameramen.″
Ce travail journalistique est issu du projet #médiasconfinés (cours « Compétences numériques pour le journalisme ») dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.