Cet homme de 45 ans apprécie tout particulièrement s’inspirer des médias scandinaves. Il considère que la Norvège, le Danemark et la Suède sont en avance en ce qui concerne l’innovation dans les médias. Dans ce pays nordique, l’avenir de la presse est repensé et le journal papier bientôt n’existera plus. « Mon travail consiste notamment, mais pas que, à voir ce qui se fait ailleurs [comme en Norvège] et de voir comment l’adapter pour innover à la RTS», explique-t-il.
Eric Borgo est un globetrotteur des métiers: il a fait sciences politiques avant de se lancer dans le marketing digital et l’innovation. Pour lui, « les compétences générales et mes expériences passées sont utiles pour mon métier». En effet, son œil extérieur permet de pallier la peur du changement que subissent certains médias. Il est souvent difficile d’innover dans ce secteur, par peur parfois de ne plus représenter le journalisme dit traditionnel. Il devient pourtant essentiel de s’adapter au mode de consommation des auditeurs, lecteurs et spectateurs. D’où l’intérêt des soft skills : « c’est hyper important d’avoir de l’empathie, d’écouter ces gens et d’aller chercher des personnes qui ne sont pas journalistes mais qui pourront être vos meilleurs diffuseurs d’informations ».
C’est pourquoi il est primordial de faire de la veille stratégique et d’essayer de nouvelles méthodes. Les métriques – l’utilisation des données des utilisateurs – est une étape essentielle dans la démarche à l’innovation. Autre méthode également, le panel: « on fait des focus groupes pour discuter des attentes de l’audience».
Nouveauté de la RTS : Info35. S’appuyant sur de la data et des panels et d’études, Eric Borgo a participé au groupe de travail mené par Amélie Boguet. Ils ont cherché à savoir quand les personnes consomment de l’information et de quelle manière elles aimeraient être informées selon le moment de la journée. Nous nous sommes basés sur des études internationales et locales « On a cherché à savoir quand les gens consommaient de l’information et si c’était des soft news-actualité légère- ou des hard news-actualité brûlante-». C’est donc selon l’humeur et la disposition à l’information que le contenu d’Info35 a été pensé : « Info35 sera complètement détaché de ce qu’on appelle le broadcast linéaire ».
À l’heure actuelle, il est aussi question de la recherche d’informations via les conversations de l’application WhatsApp. « Aujourd’hui, on est dans un changement de paradigmes. Les groupes WhatsApp et le dark social représentent 60% du partage d’informations: email, WhatsApp, Messenger, etc. » selon Eric Borgo. « Un facteur super important mais aussi extrêmement compliqué d’accès pour un média sans que cela ne soit mal perçu ». Il s’agit de l’un de ses gros combats depuis une année et demi.
Il essaie de parvenir à ce qu’il appelle un « feu de camp numérique ». Il s’explique: « on a envie d’être avec des personnes que l’on apprécie. Les réseaux sociaux sont comparés à un “hall d’aéroport”, on est entouré de gens avec qui on n’a pas envie d’être, on y est confronté et on n’a pas le choix. On essaie donc d’aller vers ces feux de camp numériques mais cela demande des journalistes ultra spécialisés et des personnes qui se sont faites intégrées par ces micro-communautés ». Beaucoup de travail et de temps car « aujourd’hui les médias, c’est plutôt du one to few [une personne à destination de peu de personnes] ». Eric Borgo évoque un autre problème : les changements d’algorithmes. Une réalité informatique qu’il est nécessaire de prendre en compte.
Un des mediums sur lequel Eric Borgo et son équipe travaillent actuellement sont les newsletters, «Cela fait partie des vecteurs qui participent à l’avenir du média parce qu’il y a vingt ans quand vous ouvriez un journal, vous le fermiez et vous estimiez que le choix éditorial qui avait été fait était le bon et vous vous sentiez informés. La newsletter c’est exactement ça, j’ai le choix de l’ouvrir quand je veux, d’arrêter la lecture quand je veux, de la mettre de côté et d’y retourner. C’est le retour de l’écrit ». De plus, selon Eric Borgo cela permet d’avoir des formats très longs et d’atteindre aussi les jeunes, même si on pourrait croire que cela fait ringard « c’est le média qui arrive à couvrir le plus de population et de public cible potentiel ».
Quand on lui demande comment la RTS se positionne et se montre réceptive à l’innovation la réponse est claire. « Je suis très têtu, je peux revenir trois fois avec le sourire et quarante-sept fois sans sourire. Donc non ce n’est pas facile mais c’est un changement de paradigmes et je ne peux pas non plus en vouloir aux gens ».
Ce qui l’étonne c’est que les plus grandes résistances qu’il a pu rencontrer ne sont pas forcément de la part des journalistes les plus âgés. Des rubriques ou émissions à identité marquée avec un public assez captif sont moins enclines à basculer sur des formats plus innovants. Avec ces émissions à forte audience et des parts de marché conséquentes, les producteurs ne voient pas l’intérêt d’accentuer sur le digital. Ce qui peut s’expliquer dans un contexte compliqué, les ressources sont amenées à se réduire et il ne faut pas abandonner une part du public. C’est un jeu d’équilibristes.
« On doit toujours faire avec des petits moyens pour le public à en devenir » constate Eric Borgo. Autrement dit, les moyens dégagés pour le public qu’on souhaite toucher restent moindre. Il en vient à parler de Tataki qui a de quoi attirer un public différent, « ils permettent de diffuser certaines idées, certaines réflexions et sujets de société de manière beaucoup plus efficace auprès d’une partie de la population qui ne regarde pas forcément la télévision.
Le ministère de la santé allemand sur TikTok pour répondre à l’énorme besoin d’information des plus jeunes.
Merci @Arnaud_Bonvin pour l’info. https://t.co/V36hR5USlt— eric borgo (@ericborgo) March 26, 2020
L’application TikTok, comme tant d’autres, fait partie de la veille stratégique quotidienne d’Eric Borgo. Un média à ne pas négliger pour atteindre le jeune public.
La RTS est un média de longue date et l’innovation représente aujourd’hui un point capital pour Eric Borgo. Les nouveaux moyens de diffusion leur font de l’ombre, comme la manière constamment changeante de consommer de l’information. S’adapter, comprendre les désirs du public, faire évoluer la mentalité des journalistes représentent un enjeu de taille pour ce spécialiste.
Clotilde Loup & Tiffany Terreaux
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Information et médias numériques” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.