La culture à quel prix? Le combat des artistes pour leur sécurité sociale – JAM

La culture à quel prix? Le combat des artistes pour leur sécurité sociale

À l'intérieur du Musée des Beaux-Arts de la Chaux-de-Fonds.
Avoir une bonne couverture sociale, c’est souvent impossible pour beaucoup d’artistes suisses. (Photo: Idan Matary)

Des contrats courts aux faibles revenus, la précarité des artistes suisses se transmet de génération en génération. Experts, syndicats et institutions appellent à repenser un système de protection sociale inadapté aux réalités du milieu culturel.

« Mon papa était artiste, je le suis également et je ne veux pas que mon enfant vive la même précarité que moi. » Au bord des larmes, ce témoignage d’une artiste Chaux-de-Fonnière a résonné dans les murs du Musée des Beaux-Arts de la métropole horlogère le samedi 8 mars, à l’occasion d’une table ronde sur les conditions de travail des artistes.

En Suisse, ce discours fait plutôt office de norme: plus des deux tiers des artistes ont de faibles revenus (40’000 CHF ou moins par an) selon l’enquête de 2021 de Suisseculture Sociale, organisation faîtière nationale qui œuvre à l’amélioration de la sécurité sociale des actrices et acteurs culturels. En conséquence, ces maigres revenus rendent difficiles pour les artistes de cotiser régulièrement aux régimes de Sécurité sociale volontaires, tels que les deuxième et troisième piliers ou les assurances privées.

Dans un article publié en novembre 2024 sur JAM, nous nous étions intéressés aux conditions de travail des techniscénistes du Théâtre du Passage. Nous y illustrions la difficulté des employés sous contrat à durée déterminée de moins de trois mois à accéder à une stabilité financière. Cette précarité s’explique par l’incertitude liée à l’enchaînement des contrats, due à la rareté de l’offre sur le marché du travail.  De plus, ces mandats courts n’imposent pas de cotiser à l’Allocation perte de gain (APG), ce qui engendre une grande insécurité vis-à-vis du système d’assurance sociale. Quels sont donc les dispositifs prévus par la loi pour aider ces travailleurs à joindre les deux bouts?

Béquilles légales et cercle vicieux

« La protection sociale dépend du statut professionnel de l’artiste, s’il s’agit d’un salarié ou d’un indépendant », détaille Anne-Sylvie Dupont, professeure aux facultés de droit de Genève et Neuchâtel. Spécialisée en droit des assurances sociales, elle précise qu’à l’heure actuelle, deux articles spécifiques existent dans l’Ordonnance sur l’assurance-chômage (OACI) pour améliorer la protection sociale des artistes: « Pour les personnes qui travaillent dans le secteur culturel avec des contrats temporaires, les 60 premiers jours de leur contrat comptent double pour leurs droits au chômage [selon l’Article 12a]. Concrètement, quand un techniciscéniste travaille pendant trois mois, c’est comme s’il avait travaillé cinq mois pour le calcul de ses allocations de chômage ».

Si l’on veut mieux payer les artistes, il faut plus de ressources: soit augmenter le prix des billets du spectacle, soit augmenter les subventions.

Anne-Sylvie Dupont, professeure en Droit à l’Unine et Unige

Ces dispositions légales demeurent insuffisantes pour assurer une couverture sociale complète, servant davantage de solution temporaire et excluant les travailleurs indépendants. L’augmentation de la rémunération des artistes, solution préconisée pour améliorer la protection sociale, soulève d’autres questionnements chez Anne-Sylvie Dupont: « C’est un peu le serpent qui se mord la queue; si l’on veut mieux payer les artistes, il faut plus de ressources: soit augmenter le prix des billets du spectacle, soit augmenter les subventions. Dans la majorité des cas, le manque de ressources force souvent un recours au bénévolat qui est une forme de précarisation. » 

Selon une étude de 2024 de l’Observatoire romand de la culture (ORC), une caractéristique importante du parcours professionnel des artistes est la pluriactivité, alternant pratique artistique et métier annexe. C’est pourquoi Anne-Sylvie Dupont insiste: « Si tous ces jobs deviennent bénévoles, il n’existera plus de travail pour les personnes non qualifiées dont nombre d’artistes ont besoin pour compenser leurs manques à gagner. C’est tout un écosystème à valoriser. »

Neuchâtel aux côtés des artistes

Au niveau du canton de Neuchâtel, « le service de la culture n’a pas de compétence directe en matière de sécurité sociale », comme l’indique par courriel la cheffe du service de la Culture, Marie-Thérèse Bonadonna. Elle ajoute qu' »une rémunération appropriée est la condition première d’une couverture sociale adéquate. C’est pourquoi le Canton de Neuchâtel intègre ces enjeux dans sa politique de soutien: nous veillons à ce que les projets que nous soutenons prévoient une rémunération appropriée et des conditions de travail décentes. »

Il faut que les artistes retrouvent un sentiment d’unité, se syndiquent et se battent ensemble pour de meilleures conditions.

Isabel Amiens, secrétaire générale du Syndicat Suisse Romand du Spectacle

En complément du soutien financier, la Plateforme Culture NE, bureau cantonal d’aide aux artistes inauguré en octobre 2024, « tire un bilan très positif et les retours sont enthousiasmants », toujours selon la cheffe du service de la culture. Le bureau organise deux permanences mensuelles pour les acteurs culturels sur des défis rencontrés par la branche: recherche de fonds, communication, dossier de subvention, entre autres.

Le 7 mai prochain, une permanence juridique sur le droit du travail et des assurances sociales sera animée par Isabel Amiens, secrétaire générale du Syndicat Suisse Romand du Spectacle. Contactée par téléphone, elle constate un milieu culturel disséminé: « Il faut que les artistes retrouvent un sentiment d’unité, se syndiquent et se battent ensemble pour de meilleures conditions. »

Par Idan Matary
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse II », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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