Jean-Noël Wetterwald, un « incorrigible naïf »

Venir en aide aux réfugiés partout dans le monde, c’est le métier qu’a exercé ce suisse pendant 33 ans. Délégué du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), il publie le mois passé un témoignage historique et personnel. Rencontre avec un homme qui termine un parcours dans l’humanitaire, avec le sourire.

Sion, sur une terrasse, par une chaude journée d’ascension. Une silhouette à vélo s’approche. C’est notre homme. Rien ne le distingue d’un autre, si ce n’est son sac jaune d’«Amnesty International». Jean-Noël paraît tout de suite à l’aise. Il a l’habitude du contact humain, et n’a ainsi aucun mal à me raconter ses péripéties allant d’Indochine au Guatemala, de Hong-Kong à Berlin, de New York en Colombie, et bien d’autres destinations entrecoupées de quelques séjours à Genève.

Un équilibriste

Jean-Noël évoque les puissants qu’il a pu rencontrer, les réfugiés qu’il a tenté d’aider. Mais surtout sa famille qui l’a suivi inlassablement. Au fur et à mesure de notre entretien, il m’apparaît évident que Jean-Noël est un équilibriste. La corde raide sur laquelle il s’appuie est tissée de sa soif d’aventures humaines. « Un filon qui ne tarit jamais », me lance-t-il. Tout commence en 1979, après des études en Droit à Neuchâtel, lorsqu’il décroche un stage au HCR. Envoyé au Vietnam pour une mission temporaire, et guidé par son enthousiasme, il ne réalise pas qu’il entreprend la carrière de toute une vie.

Le jeune Jean-Noël voulait changer le monde. Celui que je découvre en face de moi ne semble pas bien différent. Pourtant, tant de désillusions. Face à la misère des exilés, le poids des contraintes administratives et des forces politiques peut vous rendre cynique. « Est-ce que le monde s’est amélioré ? Non, au contraire. Le nombre de réfugiés n’a cessé d’augmenter. Mais ma motivation, ce qui m’a fait tenir, c’est d’avoir fait la différence au niveau d’individus. Je reste un incorrigible naïf. »

Un sentiment de culpabilité

Jean-Noël ponctue son récit de gestes et de rires. Sa main frappe inlassablement la table, juste assez pour faire trembler son café. Soudain, tous ses tics s’arrêtent lorsqu’il évoque un souvenir, un moment dans son parcours où il a perdu l’équilibre, où il a failli basculer. Sarajevo. Les mains du jeune retraité se rassemblent devant son visage, comme pour le cacher, ou comme pour une prière. Il raconte les circonstances qui l’ont mené par hasard dans cette ville au tout début de son siège, comment lui et ses collègues ont décidé d’aider la population, le moment où il s’est retrouvé au milieu de tirs croisés. Mais surtout, Jean-Noël parle du retour en Suisse, de son sentiment de culpabilité, des heures passées devant le petit écran à se noyer sous les infos, et de certains cauchemars minés. Il s’est senti vaciller. Mais Jean-Noël est un bon équilibriste. Ses mains se délient.

« Soulignez bien que l’héroïne de toute cette histoire, c’est elle, pas moi ! »

Il reprend sa gestuelle habituelle et me révèle son plus grand défi : concilier un travail nomade avec sa mission de père et d’époux. Olivia, il la rencontre il y a 30 ans au HCR. Une écossaise qui quitte tout pour le suivre, et qui ne le lâchera jamais. « Soulignez bien que l’héroïne de toute cette histoire, c’est elle, pas moi ! » Au fil de l’aventure, le couple fonde une famille de trois enfants, chacun né dans un pays différent. Des chiens et chats rejoignent le clan qui se déplace tous les trois ans au gré des missions. « On voulait transporter avec nous, comme des escargots, notre maison avec les animaux, les jouets, les livres. Ainsi, on a créé de la stabilité dans l’instabilité. » Et pour offrir leur équilibre à ses enfants, il accepte à plusieurs reprises des postes au siège de Genève, le temps qu’ils se creusent des racines. Une autre fois, il refuse un poste en Croatie où sa famille ne pouvait le suivre. « On est indispensable à sa famille, mais on n’est pas indispensable à sa profession. »

Une vie à aider les réfugiés

Pourtant, le HCR, c’est toute la vie de Jean-Noël. Il y a reçu son premier et son dernier chèque de paie, y a rencontré sa femme, élevé ses enfants. Lorsqu’il émet des critiques à l’égard de cette organisation, c’est toujours avec beaucoup d’hésitation et de nuances. Il n’ose dire qu’à demi-mot que sa montée dans la hiérarchie l’a éloigné de l’essence même de sa motivation. Trop de contraintes administratives, pas assez de terrain. Au bout du compte, Jean-Noël a senti son équilibre se rompre. A 57 ans, il prend une retraite anticipée. Un bon équilibriste sait quand il faut arrêter son numéro.

« D’exils, d’espoirs et d’aventures »

Et pour déposer son sac à souvenir, Jean-Noël se décide à écrire un livre. « D’exils, d’espoirs et d’aventures* » , qu’il le nomme. 231 pages retraçant les parcelles d’Histoire qui ont rythmé sa vie et celle de sa famille. « Je voulais ainsi tourner le chapitre. Mais je crois que quelque part, j’ai échoué ». Le HCR l’a récemment rappelé pour quelques missions temporaires. Il ne peut y résister.
Le voilà reparti sur son vélo. En bon équilibriste qu’il est, il doit continuer à avancer, ne basculer dans aucun extrême, ni enfer, ni paradis. Peut-être qu’au fond, pour Jean-Noël Wetterwald comme pour certains philosophes, « le bonheur se trouve dans le purgatoire ».

 

Wetterwald, Jean-Noël, D’exils, d’espoirs et d’aventures. Un suisse à la rencontre des réfugiés, Editions du Belvédère : La Chaux-de-fonds, 2014

Mouna Hussain (Volée 6)
Atelier rédactionnel politique internationale; responsable Pierre Hazan
Article publié par la Tribune de Genève

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